Honneur aux librairies d’art parisiennes

Première constatation : les librairies des musées parisiens n’ont pas cédé aux facilités de la machinerie institutionnelle. Alors qu’il leur suffirait de vendre des guides, des affiches et des cartes postales, elles ont acquis de vraies personnalités et regroupent des libraires qui sont parmi les plus cultivés de Paris. On murmure même que certains conservateurs viennent les consulter. Orsay fait la part belle à la littérature et à la musique du xixe siècle, parti pris intelligent. Au Louvre, on se procure des revues du monde entier, tous les catalogues des grandes expositions des musées de la planète. Posez-leur une colle : une exposition à Cleveland il y a six ans ? Le libraire voit parfaitement, sans même « consulter la base », et vous trouve le catalogue. Au Centre Pompidou, la librairie est une caverne d’Ali Baba bien connue des passionnés d’architecture, de design, de photo, on y achète le magazine de la Tate Modern et quelques romans bien choisis. Vous pouvez y passer des heures. Le musée des Arts décoratifs est aujourd’hui la meilleure librairie de Paris en son domaine. La librairie du Palais de Tokyo a fait parler d’elle dès l’ouverture : bourdonnante, à la mode, son public très « looké » rivalise certains jours avec celui du « rayon livre » de chez Colette. Au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, vous aurez de vraies conversations sur l’art avec le caissier, visiblement de formation universitaire, et qui a passé au crible toutes les nouveautés.

Deux librairies nouvelles à découvrir
Parmi les librairies récentes, où l’on se précipite, celle que ce grand dévoreur de livres d’art qu’est Karl Lagerfeld a installée rue de Lille : on s’y mettra en quatre pour vous faire venir le catalogue, pourtant épuisé, de l’exposition Mario Praz de la bibliothèque Marmottan (éditions Norma). Là aussi, les libraires ont tout lu. Rue Louise Weiss, à l’initiative de Bernard Ruiz-Picasso, éditeur inspiré, la librairie Images Modernes brasse tous les genres. Éclectique, elle joue un vrai rôle de salut public pour les riverains et les habitués des vernissages des galeries voisines : c’est la seule librairie du quartier. Une fois par mois, elle organise, le samedi après-midi, des signatures où collectionneurs et amoureux de l’art, lassés peut-être de l’arrogance des galeristes, viennent se réfugier dans une ambiance chaleureuse et, enfin, amicale. Même les artistes, qui sont de plus en plus nombreux à ne plus supporter la conversation de leurs marchands, s’y installent et improvisent des débats. Quand de vraies discussions se nouent ainsi autour de l’art et des livres, le pari d’une nouvelle librairie, dans une ville qui en compte déjà près de deux mille, est gagné.
Cette chronique est trop courte : que d’oublis injustes ! Il faudrait citer longuement la Librairie du Moniteur, pour l’architecture, Lardanchet, à côté de l’Élysée, institution vénérable qui reste d’une extraordinaire jeunesse, Taschen, où vous achèterez le catalogue raisonné de Piranèse à lire en terrasse rue de Buci, les tables débordantes, alléchantes, de l’Écume des pages boulevard Saint-Germain, l’étage de La Hune, vigie intellectuelle où l’on vous conseillera, au début de la nuit, des images pour nourrir vos rêves.