Débuté en 2008, le mandat du président du Musée d’Orsay, auquel est rattaché le Musée de l’Orangerie depuis 2010, arrive a échéance en 2013. Bilan et projets d’un candidat à sa reconduction…
Fabien Simode : Les galeries impressionnistes ont été rouvertes au public à la fin de l’année 2011. Un an a passé, quel bilan tirez-vous du nouvel Orsay ?
Guy Cogeval : Le public parvient à mieux se répartir dans le musée, il perçoit davantage, dès son entrée, les nombreux parcours d’Orsay. Il y a de nouvelles salles, une nouvelle galerie symboliste qui n’existait pas, une galerie postimpressionniste bien plus accessible que ne l’étaient autrefois les Van Gogh et les Gauguin. Si j’en crois le livre d’or du musée, l’organisation des collections a gagné en clarté.
Beaucoup de mes confrères et moi-même avions fini par perdre notre curiosité, avec le temps, pour la collection de ce musée. Nous avions le sentiment que toutes les peintures se ressemblaient et que l’impressionnisme était un seul et même grand mouvement où les tableaux s’équivalaient, car ils étaient mal présentés sur des murs de pierre, éclairés par une lumière indirecte. On ne voyait pas ce qui se passait dans la toile. Nous avons donc créé différentes sources de lumière de grande qualité, multiplié les projecteurs et, surtout, densifié la couleur des murs, ce qui a permis de redécouvrir des œuvres que l’on croyait, à tort, connaître par cœur.
F.S. : La fréquentation du musée a-t-elle augmenté en 2012 ?
G.C. : Oui. Nous avons accueilli plus de 3,5 millions de visiteurs en 2012, ceci est un record. La tendance historique du musée, qui était de recevoir 65 % de public étranger, a été inversée dès la réouverture des nouvelles salles. Davantage de visiteurs français (56 %) nous ont visité. Ce phénomène a duré environ six mois avant de se stabiliser. Nous avons reçu, au dernier trimestre 2012, 50 % de public français, beaucoup de particuliers des grandes villes de province venus se rendre compte de ce que sont les aménagements du nouvel Orsay…
F.S. : D’autres chantiers sont-ils en cours ou programmés au sein d’Orsay ?
G.C. : Les petites salles le long de la galerie des sculptures du rez-de-chaussée sont en travaux. Les premières salles de peinture, assez petites, où il y a toujours ces fameux murs de pierre et cet éclairage indirect, sont en cours de transformation. Virginia Fienga, l’architecte du musée en charge des travaux, fait preuve de plus en plus d’audace dans sa manière d’aborder les espaces. Les salles paraîtront beaucoup plus vastes.
Il faudra ensuite transformer les salles situées de l’autre côté de la galerie Françoise-Cachin, au premier étage, et consacrées à l’art décoratif. Enfin les trois salles sous coupole, côté Seine, où sont présentés l’art réaliste, naturaliste et l’art de la IIIe République, seront rénovées seulement à l’horizon 2015, pour des raisons d’économie.
F.S. : La baisse de 2,5 % de votre budget impacte donc les travaux de rénovation d’Orsay…
G.C. : On replanifie certains travaux, mais nous ne diminuons pas le rythme des expositions ou leur nature.
F.S. : Comment expliquez-vous cette situation favorable d’Orsay ?
G.C. : Par l’attractivité des collections du musée, notamment auprès des institutions étrangères qui sont prêtes à acheter nos expositions clés en main. Nous vivons actuellement une expérience fabuleuse au Brésil où nous montrons l’exposition « Paris : impressionnisme et modernité. Chefs-d’œuvre du Musée d’Orsay » [d’abord présentée à São Paulo, elle s’installe à Rio jusqu’au 6 janvier] : on a atteint 300 000 visiteurs à São Paulo et 500 000 sont attendus à Rio ! En ce moment, trois autres expositions sont inaugurées à Turin, Mexico et Shanghai.
F.S. : Que rapporte la location d’expositions au musée ?
G.C. : Si l’exposition de Mexico est réalisée sur la base d’un échange, les expositions clés en main, elles, abondent les ressources propres du musée. Le mécénat ne couvre que 2 % de notre budget global ; nos ressources propres, c’est-à-dire la billetterie, la location d’espaces, les concessions (librairie, restaurants, audioguides…) représentent 54 %.
En 2009-2010, 10 millions d’euros ont été perçus via la location d’expositions. Mais il s’agit d’années exceptionnelles, car le musée, fermé pour travaux, pouvait se permettre d’envoyer de très nombreux chefs-d’œuvre à l’étranger.
F.S. : Vous revendiquez ce système de location d’expositions, vous déclarez même en être fier. Pourquoi ?
G.C. : Le musée prête assez facilement. Conservateur en région, puis directeur d’un musée canadien, j’ai été parfois gêné par le refus de certains grands musées nationaux de prêter leurs œuvres. Je pense qu’il faut être généreux. Les œuvres ne nous appartiennent pas, elles sont la propriété de la Nation. Pour des expositions de taille moyenne, dans le monde entier, Orsay prête environ 2 000 œuvres par an. Du temps de Michel Laclotte, le musée en prêtait seulement environ 400… Nous sommes l’un des musées qui prêtent le plus dans le monde par rapport à la collection.
Il y a bien sûr des contreparties : si les emprunteurs veulent un tableau important, comme Francfort qui montre actuellement une exposition sur Caillebotte et nous emprunte Les Raboteurs de parquet, ils s’engagent à le mettre sous caisson. Ainsi, nous avons fait réaliser un millier de caissons sur nos tableaux les plus importants.
F.S. : Ce procédé de location d’expositions est-il nouveau ?
G.C. : Françoise Cachin [première présidente d’Orsay, ancienne directrice des Musées de France, ndlr] l’a fait de nombreuses fois à l’époque. J’avais même signé un contrat avec elle en tant que directeur du Musée de Montréal. Ce système n’était pas institutionnalisé, mais il existait. La collection de l’Orangerie a ainsi circulé dans le monde. Il fallait à l’époque débourser 5 millions de francs pour la recevoir.
F.S. : Les risques existent pourtant pour les œuvres. Que répondez-vous aux critiques qui vous sont faites ?
G.C. : Qu’il était parfois plus risqué de laisser les œuvres en salle à Orsay face au public parfois incivil qui les touchait et prenait des photos que de les envoyer aux États-Unis, au Japon ou en Chine. Mais il y a des régions du monde où, au vu de la situation politique actuelle, nous ne prendrons pas le risque d’envoyer des œuvres. D’ailleurs, on ne nous le demande pas.
De nombreuses institutions dans le monde, qui ne faisaient pas d’expositions, en proposent désormais. Peut-on dire que le contexte antérieur était plus satisfaisant lorsque seulement cinquante musées internationaux faisaient affaire entre eux ? Je ne le pense pas. Mais il est certain que la situation d’Orsay est enviable dans ce monde toujours plus multipolaire.
F.S. : Quelle est votre politique de prêts en région ?
G.C. : Nous avons prêté nos œuvres de Redon pour l’exposition du Musée Fabre, à Montpellier. Nous prêtons aussi beaucoup pour la prochaine exposition « Le grand atelier du Midi » [dans le cadre de Marseille-Provence 2013]. Il était important d’être présent sur cette manifestation. Nous avons décidé depuis deux ans déjà d’y prêter La Méridienne de Van Gogh, qui ne s’est jamais déplacée en province. Au Musée Bonnard du Cannet, où est actuellement présentée « Misia », un contrat nous permet de prêter beaucoup plus facilement, tout comme à Giverny, dont nous sommes les partenaires privilégiés depuis juin 2009. Orsay n’a pas créé d’antenne en région, il aide les musées existants.
F.S. : Quel est le budget d’acquisition du musée ?
G.C. : Nous restons à 3 millions de budget annuel pour les acquisitions. Certaines années, avec les dons que nous recevons, c’est beaucoup plus. Cela a représenté 45 millions d’euros en 2011 avec la donation, pour l’heure anonyme, de 141 œuvres, dont des Bonnard et des Vuillard, que nous avons reçue sous réserve d’usufruit.
F.S. : Quel public le Musée d’Orsay doit-il toucher aujourd’hui ?
G.C. : Le public de banlieue et les jeunes ; comme tous les musées, Orsay accuse un déficit de public entre 18 et 30 ans. Il n’existe pas encore d’association des jeunes amis du Musée d’Orsay, mais il faudrait la créer, à l’instar des musées américains et anglais.
F.S. : Créerez-vous des sociétés d’amis d’Amérique du Sud ou d’ailleurs ?
G.C. : Nous allons créer une société d’amis internationaux avec des Japonais, des Coréens, des Brésiliens… La seule qui sera conservée sera celle des Amis américains, pour des raisons historiques. Cette association, que nous avons fondée il y a deux ans, fonctionne très bien. Nous avons trouvé la personne relais installée aux États-Unis chargée de trouver des capitaux. L’apport des Amis américains commence à être conséquent et est en progression constante. Peter J. Solomon, un grand homme d’affaires new-yorkais, en est le président. Prochainement, un important donateur américain devrait même nous faire don de sa collection…
F.S. : Combien de personnels comptez-vous à Orsay ?
G.C. : Près de 600 personnes et 17 conservateurs. C’est idéal pour un musée comme Orsay. Surtout que nous n’avons pas perdu de postes de conservation. On a fait savoir à la ministre qu’on ne pouvait descendre en dessous d’un certain seuil. On nous promet une stabilité en personnel, il est temps, car nous avons beaucoup souffert auparavant. Nous avons été très impactés par la RGPP [Révision générale des politiques publiques], plus que d’autres établissements, et nous avons perdu bien plus d’un fonctionnaire sur deux pendant deux ans.
Je suis allé voir Aurélie Filippetti [la ministre de la Culture] pour lui dire qu’il nous fallait absolument recruter un responsable du service culturel et pédagogique, parce qu’il est trop grave de ne pas avoir quelqu’un en place au nom de la RGPP. Il y avait un grand espace réservé aux enfants et à la pédagogie en 1986, près de 400 m2 ; aujourd’hui, nous ne disposons plus que d’une salle de 20 m2 qui permet de recevoir onze personnes par session. C’est scandaleux.
F.S. : La pédagogie est le parent pauvre des musées en France…
G.C. : Et c’est fâcheux par rapport notamment aux musées anglo-saxons. Je pense également à l’atelier pour enfants du Musée Pouchkine, à Moscou, qui est immense et sublime. Pour le système éducatif français, voir une exposition ou visiter des collections n’est pas une priorité. Alors qu’il est fondamental dans la plupart des pays européens d’aller au musée, de connaître les collections de la ville et de faire un voyage à l’étranger pour visiter des musées. Nous sommes plus littéraires en France.
F.S. : Pour vous, l’un des autres enjeux du musée est de varier les présentations. La scénographie spectacle est-elle une direction que doivent prendre les musées pour rester « attractifs » ?
G.C. : Au Centre Pompidou, le plateau immense des collections est superbement présenté, mais il y a peu de visiteurs au regard des publics qui se concentrent à la bibliothèque ou dans les expositions temporaires du sixième étage. À Orsay, le public se répartit beaucoup plus dans le bâtiment. Certaines journées, nous sommes à 15 000 visiteurs, et l’on en compte « seulement » 6 000 dans une exposition comme « L’impressionnisme et la mode ». L’essentiel des visiteurs se dirige donc vers les collections.
F.S. : Vous êtes à l’origine du Club 19, qui réunit des musées français du XIXe siècle. À quoi sert ce club ?
G.C. : Il regroupe des directeurs de musées de province ayant des collections du XIXe siècle. Et, par pur hasard, il se trouve que 19 personnes forment ce cercle. C’est un club informel. Il sert avant tout à nous rencontrer et à discuter de nos projets respectifs, à voir si on peut aider certains musées de province. Cela manquait à tout le monde. Depuis que les grands services centraux des musées ont régressé, on vient moins à Paris. On ne se parle plus, et chacun vit plus isolé dans sa réalité régionale. L’an prochain, après « L’ange du bizarre », nous projetons de monter une exposition sur le naturalisme « de Rosa Bonheur à Staline ».
F.S. : Candidat à votre reconduction en mars 2013, quels sont vos projets ?
G.C. : Déjà, cette exposition sur le naturalisme, qui sera très nouvelle et assez provocante. En 2013, nous enverrons aussi Olympia de Manet pour la première fois à Venise, durant la Biennale. Le tableau n’a jamais voyagé. En retour, j’ai demandé le prêt de la Vénus d’Urbin de Titien, conservée aux Offices à Florence et qui a peu voyagé à l’exception du Japon. Mais nous devons encore convaincre le musée italien. Mais si je suis reconduit à la tête du musée, mon projet sera orienté sur l’éducation artistique. J’ai déjà un certain nombre d’idées à proposer à la ministre. Je rêve par exemple d’envoyer des conservateurs en banlieue dans les écoles pour faire de la médiation…
F.S. : Pensez-vous possible de convaincre vos conservateurs ?
G.C. : Détrompez-vous ! Les jeunes conservateurs ont un tout autre esprit. Le Musée d’Orsay que j’ai trouvé en arrivant, il y a cinq ans, était un musée où l’on disait que les sculptures ne pouvaient pas être déplacées et que fermer la galerie impressionniste pour la refaire revenait à tuer la poule aux œufs d’or… Non seulement nous l’avons fermée, mais nous l’avons rouverte avec succès !
1955 Naissance de Guy Cogeval à Paris.
1988-1998 Professeur d’histoire de l’art du XIXe siècle à l’École du Louvre.
1998 Commissaire de l’exposition « Le temps des Nabis » présentée à Florence et à Montréal.
1998-2006 Directeur du Musée des beaux-arts de Montréal.
2003 Publication du catalogue raisonné Edouard Vuillard. Le regard innombrable (Skira/Le Seuil/Institut Wildenstein), catalogue qui fait l’objet d’un litige judiciaire.
Depuis 2008 Il est président du Musée d’Orsay et du Musée de l’Orangerie qui ont été réunis au sein d’un même établissement public en 2010.
2013 Commissaires de l’exposition « L’Ange du bizarre » à Orsay et de la rétrospective Vallotton au Grand Palais.
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Guy Cogeval - « La situation du Musée d’Orsay est enviable »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°653 du 1 janvier 2013, avec le titre suivant : Guy Cogeval - « La situation du Musée d’Orsay est enviable »