Frank Gehry : Un « effet Bilbao » pour New York ?

Frank Gehry y construit son premier bâtiment

Le Journal des Arts

Le 11 mai 2001 - 1029 mots

Frank Gehry n’a jamais construit à New York. Pourtant, ses plans donnés en 1978 pour la rénovation, finalement annulée, d’une maison de l’Upper East Side pour la famille Menil ont prouvé que l’architecte de la côte ouest est à son aise dans le paysage urbain de Manhattan. Plus récemment, Gehry, qui était pressenti pour la construction du siège du New York Times, s’est retiré après avoir été découragé par ses commanditaires. Cette suite de rendez-vous manqués devrait toutefois avoir un heureux dénouement avec ce qui s’annonce comme le prochain grand triomphe de Gehry après Bilbao : la construction d’un nouveau Musée Guggenheim à New York. Estimé à plus de six milliards de francs, ce projet encore au stade de l’esquisse est actuellement exposé à côté d’autres, au Solomon R. Guggenheim Museum, qui consacre à l’architecte une importante rétrospective. L’occasion de rencontrer le père de l’« effet Bilbao ».

L’esquisse du nouveau Guggenheim new-yorkais donne l’impression que le bâtiment est isolé. Pensiez-vous à un contexte précis lorsque vous l’avez imaginé ?
Nous avons effectivement pris une décision d’ordre contextuel en insérant une tour pour faire un lien sculptural avec la ligne des buildings. Cela a donné au projet une sorte de point d’ancrage. Ensuite, pour chaque extrémité – avec d’un côté le théâtre, et de l’autre le port –, nous avons prévu des sortes de boîtes. L’idée est celle d’un nuage flottant, mais au-dessus d’une jetée, arrêté de chaque côté, avec une ancre en son centre. Mais ce n’est pas encore très précis : ces maquettes sont un peu des esquisses rapides que nous finirons par jeter.

Pour poursuivre sur l’architecture new-yorkaise, le gratte-ciel est une forme que vous n’avez jamais expérimentée. Votre projet pour le siège du New York Times, qui aurait dû intégrer le nouveau Madison Square Garden, a été abandonné. Le regrettez-vous ?
J’aimerais effectivement construire un gratte-ciel, mais je ne vais pas me mettre à genoux pour y arriver. Et c’est ce que j’aurais dû faire pour décrocher ce contrat. J’ai eu quelques propositions pour ce type de bâtiments, mais elles ne concernent pas New York. En fait, le projet du New York Times ne correspondait pas ce que je croyais : les commanditaires n’étaient pas suffisamment avertis pour construire un building comme celui que nous proposions. Je pensais qu’ils voulaient mettre l’accent sur la salle de rédaction et cet aspect m’enthousiasmait vraiment. Ils ont apprécié ce que nous leur avons montré, mais ils n’ont pas réalisé comment nous allions le faire. Ils ont essayé de me placer dans un processus de travail qui n’aurait pas fonctionné.

Une autre de vos réalisations, le Walt Disney Concert Hall, est actuellement en cours de construction dans le centre de Los Angeles après des années de tracasseries bureaucratiques. Pour quelle raison les murs courbes en calcaire que vous prévoyiez originellement ont-ils été remplacés par du métal ?
Les clients, parmi lesquels le maire de la ville, l’ont exigé. Après être allés à Bilbao, ils voulaient que le bâtiment brille chez eux aussi. Ils s’inquiétaient de ne pouvoir garder la pierre propre, et j’ai fini par capituler. J’ai essayé de l’imaginer avec un extérieur en métal. Cela aurait pu sentir le réchauffé, mais en fait, c’était plutôt excitant, comme l’excitation du début. Toutefois, la nuit, le métal devient noir ; la pierre, elle, est teintée d’une brillance chaude puisée dans la lumière ambiante propre à une salle de concert. Éclairer du métal est très difficile. Mais nous trouverons une solution.

Pour sortir du cadre urbain, qu’en est-il du musée à la mémoire du céramiste George Orr que vous construisez à Biloxi, dans le Mississippi ?
J’adore ce projet. Son échelle implique que nous constuisions un village des arts. C’est un jeu avec la nature, avec les chênes. On peut danser avec les loups ; moi je danse avec les chênes, je danse avec eux d’une manière sculpturale. Le projet final sera présenté en juillet et nous en sommes à peu près à la moitié. Mais il n’est pas montré dans l’exposition du Guggenheim puisque nous ne pouvons pas déplacer les projets sur lesquels nous sommes en train de travailler. La galerie Corcoran, à Washington, à laquelle nous nous attelons actuellement, ne sera pas non plus exposée au musée.

Quelles pourraient être les conséquences du déclin de l’économie américaine sur votre programme de construction ?
La crise touchera les projets commerciaux. Nous ne sommes pas à l’abri, mais nous avons des commandes pour les deux ans à venir. Et même à l’époque de la dernière grande crise, les gens qui faisaient appel à nos services n’étaient pas du genre versatile. Je devrai peut-être ravaler mes paroles d’ici peu, mais je n’ai jamais souffert de ces périodes de creux.

Toutes les grandes villes semblent désormais vouloir un musée important sans pour autant avoir de collection, ou sans trop savoir à quoi pourrait servir cet équipement culturel. Quelles sont les dérives de l’”effet Bilbao” ?
Les gens pensent qu’ils peuvent acheter un bâtiment comme ils achèteraient des rouleaux de tapisserie. C’est plus que ça. Le Guggenheim de Bilbao représentait un engagement important de la part d’une institution, mais aussi d’un gouvernement qui savait ce qu’il voulait. Il était prêt à investir le projet d’un point de vue émotionnel. On peut toujours contacter un architecte sur Mars, le faire venir, et lui demander de reproduire l’effet Bilbao. Mais s’il n’y a pas derrière un projet, une culture et un client suffisamment averti pour l’accueillir, cela ne marche pas. Il ne suffit pas d’avoir un architecte. Je pense que le petit projet de Biloxi, qui ne dépassera pas les 15 millions de dollars (environ 109 millions de francs), aura des répercussions notables sur la ville. Ce n’est pas la peine d’être grand ; il faut juste savoir faire preuve de goût et enclencher un processus de réflexion. C’est une histoire d’amour, comme l’était Bilbao. Les clients qui viennent me voir pour reproduire Bilbao donnent vraiment l’impression d’être étroits d’esprit. Je ne donne pas suite à leur demande.

- Frank O. Gehry : the art of architecture, du 18 mai au 26 août, Solomon R. Guggenheim Museum, 1071 5th Avenue, New York, tél. 1 212 423 3500, tlj sauf jeudi 9h-18h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°127 du 11 mai 2001, avec le titre suivant : Frank Gehry : Un « effet Bilbao » pour New York ?

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque