Ancienne directrice du Musée Malraux au Havre dont elle a présidé la rénovation complète en 1999, Françoise Cohen est arrivée en 2001 à Nîmes pour prendre les rênes du Musée d’art contemporain de la ville, Carré d’art. Elle commente l’actualité.
Le rapport réalisé par Jacques Rigaud à la demande de la ministre de la Culture réaffirme le principe de l’inaliénabilité des œuvres d’art des collections publiques, y compris pour les FRAC (Fonds régional d’art contemporain). Mais il introduit aussi l’idée de la création d’une commission spéciale susceptible de déclasser certaines pièces des collections des FRAC, qui pourraient alors être cédées sous certaines conditions. Pensez-vous que cette réflexion soit intéressante ?
Je suis très attachée à cette notion d’inaliénabilité des œuvres d’art, pour les musées, mais aussi pour les FRAC, qui ont été constitués comme des collections publiques. D’ailleurs, leur gestion est actuellement très proche de celle des musées. Il serait plus prudent, pour l’heure, de ne pas revendre ces collections. Ce qui est plus intéressant, c’est de réfléchir à nouveau – comme cela a récemment été fait pour le FNAC [Fonds national d’art contemporain] avec un certain nombre de transferts de propriété d’œuvres qui se trouvaient en dépôt dans les musées – à une répartition des collections en fonction de la fragilité de certaines œuvres. On sait que les œuvres contemporaines sont très fragiles. Or les FRAC possèdent des œuvres qui ont été acquises il y a une vingtaine d’années, et qui sont maintenant des œuvres historiques ; elles devraient rejoindre les musées. Le système du dépôt a permis une gestion assez souple. Nous-mêmes bénéficions de dépôts de notre voisin, le FRAC Languedoc-Roussillon. Dans toutes les régions qui disposent d’un musée d’art contemporain, on retrouve ce type de situation, voire des rapprochements encore plus intimes entre les musées et les FRAC, comme c’est le cas pour les Abattoirs à Toulouse. Des passerelles existent. Il n’y a pas que l’acte de propriété qui compte, le but étant, avant tout, de présenter l’œuvre au public ; c’est ce qui prime avant de mettre son nom sur une œuvre.
Actuellement à l’essai dans certains musées nationaux, la gratuité vous semble-t-elle un outil réellement efficace de démocratisation culturelle et cette mesure vous paraît-elle salutaire pour un musée comme le Carré d’art ?
Personnellement, je n’y crois pas du tout. Ces dernières années, nous avons tous expérimenté, à Carré d’art comme dans des musées de plus grande importance, des solutions de gratuité ponctuelle. [La gratuité a pu être mise en place] le premier dimanche du mois, à l’occasion d’un certain nombre d’événements comme les Journées du patrimoine ou la Nuit des musées, en partenariat avec un festival – début décembre, nous avons collaboré au festival électroacoustique qui vient de se créer à Nîmes –, ou encore lors de journées Portes ouvertes en direction des élèves de l’école des beaux-arts et du conservatoire de Nîmes. Pour ce type d’événements ponctuels, la gratuité représente un réel outil d’ouverture vers un public plus nombreux et plus diversifié. Mais, sur le long terme, un affadissement de la mesure risque d’être constaté. Les gens témoignent d’un certain intérêt au début, et puis ils oublient facilement… Nous sommes, malheureusement, à l’ère de l’événementiel. Tout ce qui n’est pas revivifié par des événements est tout simplement oublié.
La Culture vous semble-t-elle une donnée présente dans les débats à l’approche des municipales ? Quel rôle devraient jouer, selon vous, les Villes et collectivités (notamment par rapport à l’État) en France aujourd’hui ?
Nous sommes à un tournant. D’une certaine manière, nous sommes encore dans l’héritage de ce qui a été mis en place dans les années 1980, mais aussi à un moment de redistribution des rôles. Indéniablement, les Villes et l’ensemble des collectivités locales ont un rôle beaucoup plus important à jouer pour la culture. Nous sommes sûrement au début de cette évolution. La grande question concerne la répartition des fonds. Toutes les situations ne sont pas égales. Certaines collectivités sont pauvres, d’autres riches, et cela ne va pas nécessairement avec les charges patrimoniales. Une ville pauvre peut hériter d’un patrimoine excessivement important. Quand on parle d’action en faveur de la culture, il ne s’agit pas seulement de choix politiques. Cela dépend aussi du nombre d’industries installées dans une région, une agglomération. On fait aussi de la politique en fonction des moyens dont on dispose.
Pensez-vous qu’un directeur de musée doive systématiquement avoir le profil d’un conservateur ou un administratif peut-il assumer cette charge ?
J’aurai la réaction du conservateur : il est très important que le conservateur reste à la tête de l’établissement. Bien entendu, il est épaulé par différents métiers, de plus en plus variés, cela va dans le sens de l’évolution actuelle des musées. Mais il est fondamental que l’artistique et le culturel passent devant et régissent l’établissement.
À l’heure où les budgets d’acquisition sont revus à la baisse et où les prix du marché flambent, quelles sont les solutions d’enrichissement des collections ?
Il faut relativiser. Il ne se vend pas uniquement des œuvres à plusieurs millions de dollars. Il y a sur le marché des œuvres qui se vendent à des prix nettement moindres, et ce, aujourd’hui encore. C’est vers ces œuvres-là que nous nous tournons. À Carré d’art, les acquisitions ont très fréquemment été liées aux expositions temporaires. C’est un travail de fond réalisé avec l’artiste, ses représentants, ses différentes galeries, qui permet parfois d’acquérir des œuvres à des prix plus intéressants. Mais il est vrai que certaines œuvres nous sont interdites. Jamais nous ne pourrons acquérir une peinture d’Andy Warhol...
Le mécénat représente une solution alternative...
Nous y avons eu recours ponctuellement. Mais la France n’est pas encore un grand pays du mécénat. Il est difficile pour une institution telle que la nôtre de trouver des partenaires pour des montants qui ne sont pas anecdotiques. Il est simple de trouver des partenaires pour des petites sommes destinées à financer, par exemple, un programme d’animation, qui plus est, destiné au public local. Pour une acquisition, c’est bien plus difficile. Heureusement, la Fondation Clarence-Westbury nous suit depuis plusieurs années. Il faudra que beaucoup d’eau passe sous les ponts avant qu’une réelle politique de mécénat soit possible en France. Ce n’est pas encore une pratique généralisée dans les esprits.
Que pensez-vous de l’antenne du Centre Pompidou à Metz et de son installation dans les sous-sols du Palais de Tokyo ?
Pour le Centre Pompidou à Metz, j’espère que cela ne fera pas disparaître la politique d’expositions « hors les murs », qui a été celle du Centre depuis plusieurs années et dont nous avons pu profiter par deux fois. Je souhaite que cet effort ne se concentre pas uniquement sur l’antenne de Metz mais continue à irriguer l’ensemble du territoire français. En ce qui concerne le Palais de Tokyo, cela correspond à l’évolution naturelle d’une grande institution comme le Centre Pompidou. Les collections croissent, les besoins en exposition également. À l’instar d’autres grandes institutions centrales en Europe, comme la Tate Gallery en Angleterre, le Centre ressent le besoin d’essaimer.
Que pensez-vous du projet de l’installation d’un parc de sculptures sur l’île Seguin ?
L’idée peut être intéressante, mais en même temps, un parc de sculptures est une institution « difficile » à faire vivre. Rien n’est plus usé dans le regard du public, à mon avis, que la sculpture publique. Au début, on la regarde énormément et, petit à petit, elle entre dans le paysage quotidien avant de s’y fondre à un point tel qu’on l’oublie complètement. Pour qu’un parc de sculptures soit vivant, il faut que ce soit un lieu d’exposition exceptionnel et pas seulement un parc dans lequel on va installer un certain nombre de sculptures figées à des ronds-points et qui ne bougeront plus jamais.
Quelle est votre vision de la scène française ?
Contrairement à ce qui a été dit et entendu, la scène française est dynamique, on voit émerger une jeune génération dont les artistes exposent à l’étranger. On va avoir dans les prochaines années de bonnes surprises. Je pense à Guillaume Leblon, Loris Gréaud, Laurent Montaron, toute une nouvelle génération... Un artiste tout seul a beaucoup de mal à exister ; il faut des moments où plusieurs personnalités émergent simultanément. Je suis assez optimiste.
Une exposition a-t-elle récemment retenu votre attention ?
Je vais être très traditionnelle : j’ai beaucoup aimé l’exposition Courbet (1). C’était un grand moment d’art. Un grand rendez-vous, extrêmement satisfaisant pour l’intelligence et le regard. L’exposition Blinky Palermo à Düsseldorf (2) représentait le même accomplissement.
(1) au Grand Palais, Paris, octobre 2007-janvier 2008.
(2) à la Kunsthalle, octobre 2007-janvier 2008.
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Françoise Cohen, directrice de Carré d’art, à Nîmes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°275 du 15 février 2008, avec le titre suivant : Françoise Cohen, directrice de Carré d’art, à Nîmes