CHALON-SUR-SAÔNE
François Cheval, qui va quitter la direction du Musée Nicéphore-Niépce, porte un regard éclairé et critique sur la photographie
En décembre 2016, François Cheval quittera la direction du Musée Nicéphore-Niépce à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Pendant vingt ans, il a mené une politique de conservation et de restauration ambitieuse, et un programme d’expositions, d’éditions qui ont fait du musée une institution de référence. Chargé de 1986 à 1991 de la rénovation et de l’extension du Musée municipal des beaux-arts de Dole (Jura), il a dirigé le Frac [Fonds régional d’art contemporain] Franche-Comté (1988-1991) avant de partir à Saint-Denis de La Réunion pour rénover le Musée Léon-Dierx et constituer sa collection d’art contemporain. Il a été nommé en 1996 conservateur en chef du Musée Nicéphore-Niépce puis a pris la direction des musées de Chalon-sur-Saône en 2000.
L’exposition « L’œil de l’expert. La photographie contemporaire » [jusqu’au 18 septembre] signe une politique d’acquisition marquée par une fidélité à des photographes ; vous avez aussi privilégié des séries complètes, souvent en les produisant. Faut-il y voir un manifeste sur les fonctions et les enjeux d’une collection publique ?
Oui et non. Non dans le sens où, compte tenu de la complexité aujourd’hui de la scène artistique, et de la scène photographique en particulier, il faudrait être présomptueux pour dire que l’exposition est un manifeste. Mais elle l’est dans le sens où la sélection des 50 photographes contemporains, sur les 120 à 130 que nous avons soutenus, donne l’idée d’une continuité et de ses grandes lignes.
Beaucoup de photographes exposés sont français. Le soutien à la scène française a été l’une de vos priorités. Pour quelles raisons ?
Par intérêt pour cette expression française qui réfléchit en permanence à la question de la validité du médium. Voilà pourquoi il fallait donner toute leur place à Patrick Bailly-Maître-Grand, à Patrick Tosani et à Jean-Luc Moulène entre autres, à cette école française jubilatoire de la déconstruction de l’objet photographique. Je ne parlerai pas d’un caractère prophétique de la photographie française à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, mais il y a eu ici une claire conscience depuis la fin des années 1970 que, face à l’image photographique contemporaine, on doit s’interroger sur la nature réelle de cet objet.
Votre politique d’acquisition se caractérise aussi par une grande fidélité envers certains auteurs. Qu’est-ce qui a conduit à ce positionnement ?
Pour comprendre le travail d’un photographe, suivre son cheminement, il faut disposer de séries complètes. Une œuvre photographique ne se réduit pas à une pièce unique. La nature même du médium renvoie à des milliers de négatifs et à des centaines d’images que l’on ne peut pas collectionner comme des œuvres d’art ou des chefs-d’œuvre. Il faut les traiter comme des moments explicatifs du phénomène photographique et reconstituer la cohérence de l’œuvre globale.
Par ailleurs, durant la période où j’ai été conservateur de musée d’art contemporain, j’ai pu relever l’extrême fragilité d’une carrière et les effets parfois dévastateurs des engouements fugaces. Contre l’isolement du producteur, la volatilité du marché de l’art et la paupérisation des photographes, assurer un suivi est par conséquent le minimum que l’on doit demander à un conservateur de musée.
Cet engouement par rapport à certains artistes n’a-t-il d’ailleurs pas été brouillé depuis par le marché de l’art ?
Le fait de diriger une institution provinciale, pas trop éloignée du centre mais quand même située à distance, nous a clairement protégés de ses effets prescripteurs. Je n’ai rien contre le marché, il faut que les artistes vendent, qu’il y ait des intermédiaires… Ce qui m’a toujours inquiété, c’est la position de monopole du marché, seul agent autorisé à dicter les formes nouvelles. J’ai toujours considéré, y compris dans la première partie de ma vie professionnelle, que le temps du musée n’est pas le temps du marché ni celui du collectionneur. Le temps du musée est un temps plus complexe. Il s’agit d’accompagner des artistes qui nous amènent dans des directions inconnues, voire qui nous rebutent. Ce temps est aussi celui des remises en cause permanentes. Il faut savoir revenir en arrière sur des carrières, retravailler les fonds… et reconnaître ses propres erreurs de jugements.
Quels sont aujourd’hui les vocations et les enjeux d’un musée consacré à la photographie ?
La question est d’une actualité rare. Alors qu’il n’y a jamais eu autant de productions photographiques, de photographes, d’expositions, de livres, les institutions vouées au médium sont en souffrance en Europe, qu’il s’agisse de Charleroi [en Belgique], d’Essen [en Allemagne] ou de Bradford [en Angleterre]. Le Musée de la photographie de Thessalonique, seule institution sérieuse sur la photo en Grèce, vient de fermer. Nice voit, à la demande de Christian Estrosi (maire LR), le déménagement du Théâtre de la photographie et de l’image [lire p. 3]. Dans une époque où l’on est submergé d’images, où la société du spectacle s’impose, il est étonnant et inquiétant de voir la manière dont les politiques culturelles font si peu de cas du rôle des musées consacré au médium.
Une situation que le Musée Nicéphore-Niépce connaît à son tour avec la remise en cause par l’actuelle municipalité de vos choix en matière d’acquisition. Faut-il craindre des temps difficiles pour ce musée municipal ?
Il semble clairement acquis que la création contemporaine n’est pas une des priorités de la municipalité actuelle alors que le musée est une des rares institutions françaises à soutenir la production photographique. Cette réorientation risque de faire un intervenant de moins dans le paysage photographique à un moment où l’on assiste je le répète, à une forte paupérisation du milieu…
Cela interroge aussi sur le devenir des fonds photographiques. Aucune action concrète n’a été menée par le ministère de la Culture. La proposition que vous lui aviez faite d’accueillir des fonds est restée lettre morte. Pourquoi une telle inertie alors que l’urgence se fait sentir ?
Parce que l’État n’a jamais pu ou su développer une véritable politique photographique en France. Pourtant, il n’y a pas eu un ministre de la Culture qui n’ait eu le désir de développer une politique pour la photographie. Depuis 1996, j’ai dû participer à trois ou quatre commissions. On peut regretter cet état de fait dans un pays qui a vu naître le médium et une grande partie de ses inventeurs, et qui a accueilli des créateurs du monde entier. En dehors de la capitale et des métropoles régionales, la photographie se diffuse avec beaucoup de difficultés. Tout repose au final sur des initiatives locales soumises plus que jamais aux aléas politiques. Autant dans les années 1980-1990, l’envie patrimoniale en régions passait par la création et la rénovation de musées, autant aujourd’hui le personnel politique n’a plus cette appétence.
Les Rencontres d’Arles vont s’ouvrir prochainement. Votre candidature à la succession de François Hébel n’a pas été retenue. Est-ce un regret ?
Pas du tout. J’avais une vision qui reposait sur un certain nombre de fondamentaux : la place du photographe dans un festival, la nécessaire expérimentation contre les habitudes, la relation prioritaire au musée. Un festival est avant tout fait pour rassembler un public le plus large possible et une création sans concessions. Mon seul regret, ce sont les conditions déplorables, sans aucune transparence dans lesquelles s’est déroulé le choix du successeur de François Hébel. Sam [Stourdzé, directeur des Rencontres depuis 2015, NDLR] n’en est pas moins un bon rénovateur. Il correspond à ce que les bailleurs de fonds attendaient, ce qui n’aurait été pas mon cas.
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François Cheval : « Le temps du musée n'est pas le temps du marché »
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Abonnez-vous dès 1 €François Cheval © Photo Matt Frenot
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : François Cheval : « Le temps du musée n'est pas le temps du marché »