La construction de la carrière du peintre préfigure, selon la chercheuse, la façon dont les artistes contemporains contrôlent les conditions d’exposition.
Ingénieure de recherche au Labex Les Passés dans le présent (université Paris-Nanterre), Félicie Faizand de Maupeou est coresponsable du projet « Bibliothèque de Monet ». Docteure en histoire de l’art à l’université de Rouen, elle publie aujourd’hui sa thèse soutenue en 2013, « Claude Monet et l’exposition ». Elle y analyse la manière dont le peintre a construit sa carrière en donnant une importance décisive à l’exposition.
Après la réouverture du Musée de l’Orangerie, en 2006, j’ai commencé à travailler sur la scénographie des Nymphéas et sur sa signification. Je me suis rendu compte que l’ensemble résultait d’une stratégie en matière d’exposition. Ma question, au-delà de Monet, est celle du pouvoir de l’artiste sur sa carrière. J’ai voulu voir comment il s’est servi de l’exposition pour promouvoir ses œuvres et sa carrière d’un point de vue social (se faire un nom), économique (vendre), et artistique à travers la scénographie. Le constat premier est que l’on ne devient pas Monet uniquement en peignant des toiles.
Le Salon, quasiment la seule opportunité alors pour exposer ses œuvres, est remis en cause dès la fin XVIIIe siècle. À cette époque, l’atelier pouvait, occasionnellement, être un lieu d’exposition : David ouvre son atelier pour montrer Les Sabines. À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, Courbet innove avec ses expositions personnelles de 1855 et 1867 et, en 1867, Manet l’imite. Monet en a forcément été inspiré.
C’est un long trajet qui commence assez classiquement. Il adopte la démarche traditionnelle qui consiste à participer à des expositions officielles. Au Salon, à partir de 1865, quelques-unes de ses œuvres sont acceptées, plus ou moins critiquées, mais en tout cas on parle de lui. Après 1867, il quitte la période Barbizon et rentre véritablement dans l’impressionnisme. Les œuvres sont refusées et il est dans l’impasse. Pendant la guerre de 1870 et la Commune, il est exposé à Londres grâce à Paul Durand-Ruel. Mais quand il revient à Paris, il ne s’y passe plus rien et Durand-Ruel est ruiné. Les artistes organisent les expositions impressionnistes qui ne font pas vendre. Finalement, suivant l’exemple de Renoir qui réexpose au Salon en 1879, Monet y revient brièvement. Il participe en 1882 à la dernière exposition impressionniste puis il alterne expositions de groupe et présentations personnelles.
C’est une stratégie. De même, il fait le choix de présenter un éventail d’œuvres depuis le début de sa carrière ou bien des œuvres récentes, empruntées à des collectionneurs ou à vendre : suivant le public, le lieu, il n’expose pas de la même manière. L’une de mes questions a été de savoir qui organisait les expositions. À New York, ce n’est pas Monet qui organise. Les œuvres appartiennent à Durand-Ruel ou à des collectionneurs américains qui prêtent et ce n’est plus une exposition personnelle mais une exposition individuelle car il n’y a pas d’intention de l’artiste.
C’est toute une génération qui réfléchit. Évidemment, son détour par l’Angleterre est fondamental. Il découvre que la coutume est de payer pour voir une exposition. Et il y a une scénographie. Mais, dans une lettre à son fils, Pissarro explique que les impressionnistes avaient eu des initiatives similaires à celles de Whistler. Camille Pissarro et Mary Cassatt sont particulièrement sensibles à la question des cadres. Les artistes se rendent compte que l’environnement a une influence sur la manière dont une œuvre est perçue. Et pour pouvoir contrôler les conditions d’exposition de son œuvre, il faut contrôler l’exposition elle-même. Pour Monet, c’est très vrai au moment des séries : Durand-Ruel s’arrache les cheveux, parce qu’il recule en permanence les dates des expositions. Il veut garder toutes les œuvres chez lui pour pouvoir continuer à peindre en visualisant le résultat final. Il conçoit l’exposition comme un aboutissement et, lors de celle qu’il présente avec Rodin en 1889, il est catastrophé quand celui-ci installe ses sculptures d’une manière qui en contredit le sens. C’est donc l’aboutissement d’une démarche : Monet peint la toile et l’expose dans un même geste artistique.
J’en suis persuadée. Monet souligne le rapport entre l’œuvre et le lieu. Il a en tête la vision du spectateur dans l’œuvre et il pérennise cette installation. Avec les séries, la réflexion est menée très vite. Il ne faut pas avoir l’image d’un Monet calculateur, qui fait du marketing autour de son œuvre et répond à la demande, à l’air du temps. Quand il commence à avoir un peu de succès, non seulement il invite les gens à voir les œuvres d’un seul artiste mais en plus il les convie à voir vingt « Cathédrales de Rouen ». Il fallait oser !
Quelle image avez-vous de Monet à l’issue de ce travail ?
Il a bien senti son temps. Il a compris qu’il se trouvait à une période charnière dans les « mondes de l’art », comme le dit Howard Becker [sociologue], et tenté de trouver son propre modèle. Il n’a pas tout inventé, mais a cristallisé des intuitions et démarches sur la prise en charge par l’artiste de sa carrière. Il s’est montré un gestionnaire formidable sans jamais abandonner la flamme qui le poussait. Il a cherché la réussite. Pour lui, une œuvre prend tout son sens dans le regard du public.
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Félicie Faizand de Maupeou : « On ne devient pas Monet uniquement en peignant des toiles »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°511 du 16 novembre 2018, avec le titre suivant : Félicie Faizand de Maupeou : « On ne devient pas Monet uniquement en peignant des toiles »