Pragmatiques, les artistes ne diabolisent pas les foires même s’ils aspirent à de meilleurs contextes de visibilité.
En octobre, trois foires d’art contemporain, Frieze à Londres, la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) à Paris et Art Forum à Berlin (lire p. 39) rivalisent, talonnées de près par la Turinoise Artissima. Autrefois emballés par les transhumances jet-set, les collectionneurs donnent déjà des signes de lassitude. Qu’en est-il des artistes, parfois pressurés pour remplir les stands ? Hormis Anselm Kiefer, lequel interdit à ses marchands de présenter ses œuvres dans les foires, aucun créateur n’assène de sentences définitives à la Hans Haacke. « Bien sûr, la foire peut être un lieu d’hystérie, qui rappelle l’ouverture d’un buffet lors d’un cocktail où l’on fonce sur des petits-fours à 50 000 euros, mais c’est aussi un endroit où on lit le monde économique de manière réaliste », souligne l’artiste Xavier Veilhan. Avec pragmatisme, la majorité de ses confrères ont donc intégré cette donnée dans leur logiciel de carrière. « Quand ils parlent entre eux, les artistes ne se font pas de cinéma hypocrite, affirme Jota Castro. En ce moment, personne ne peut se permettre de dire non aux foires. C’est là où l’on peut vendre sans effort. » Cette Realpolitik anime surtout les créateurs issus des pays émergents, lesquels, par le biais de ces plateformes de sociabilité, ont accès à des commissaires d’exposition occidentaux. Certains plasticiens accordent même à ces événements un crédit tel qu’ils peuvent lâcher leurs galeries si celles-ci ne participent pas aux foires de première division. D’autres se prennent au jeu du commissaire de stand. L’an dernier, Anselm Reyle avait conçu celui de la galerie parisienne Almine Rech à la Foire de Bâle. En 2007, sur Frieze, Rob Pruitt avait transformé l’espace du galeriste new-yorkais Gavin Brown en marché aux puces. Depuis quelques années, les foires elles-mêmes font mine de se draper de vertu en caressant les créateurs dans le sens du poil. Le catalogue de Frieze, foire « bling-bling » s’il en est, met l’accent non sur les galeries mais sur les artistes. De son côté, Art Basel a lancé depuis 2007 un nouveau secteur, « Artist Lounge ». « Le marché de l’art contemporain ne peut pas être uniquement un marché de produits. Mais il ne faut pas instrumentaliser les créateurs et transformer une foire en zoo d’artistes », prévient Martin Bethenod, commissaire général de la FIAC.
Un ensemble qui fait sens
Bien que sans fausse pudeur, les artistes ne savent pas nécessairement où donner de la tête ni comment sélectionner les pièces destinées à ces événements. « Tout dépend de mon actualité à ce moment-là, explique l’artiste d’origine iranienne Avish Khebrehzadeh. Si je prépare une nouvelle exposition, je suis souvent réticente à proposer des choses. Je veux que mes nouvelles œuvres fassent sens ensemble et je produis des pièces en résonance entre elles. Du coup, le choix d’une œuvre pour une foire peut être compliqué. Si je donne une pièce ancienne, je sens une telle distance que je suis hésitante, et pour les œuvres récentes, c’est comme si je n’arrivais pas à m’en détacher ! » Xavier Veilhan a, lui, résolu ce genre de dilemme. Depuis deux ans, lorsqu’il prépare une exposition muséale, il crée simultanément un groupe d’œuvres liées au projet mais non montrées. Ses galeries ont l’opportunité de les présenter sur les foires au cours de l’année ou des deux ans qui suivent.
Produits de consommation
La diabolisation du marché n’est pas de mise, même si le contexte de monstration n’est guère enthousiasmant. « La question n’est pas “est-ce ennuyeux ou pas ?”. Montrer une œuvre, où qu’elle soit, est rarement ennuyeux pour un artiste, indique le Britannique Richard Deacon. Par ailleurs, toutes les foires ne se ressemblent pas. Certaines sont meilleures que d’autres et proposent des initiatives plus intéressantes, comme “Art Unlimited” sur Art Basel ou le programme éducatif de l’ARCO [la foire d’art moderne et contemporain de Madrid]. Bien sûr, le côté supermarché peut être dérangeant pour un artiste qui ne pense pas que l’essence de son travail soit de fabriquer des produits de consommation. » De même, l’artiste suisse John M. Armleder se refuse à tout jugement prétendument « moral ». « Je ne crois pas que les instances qui nous montrent soient si différentes les unes des autres, même si, dans une foire, on peut très vite avoir un sentiment d’indigestion. » Alors, entre un salon, une biennale et une exposition, n’y aurait-il finalement plus guère d’écarts ? Le raccourci est hâtif. Pour l’artiste Saâdane Afif, la foire n’est pas un « enjeu intellectuel », mais un « lieu technique de vérification d’une œuvre » ou de finalisation d’une vente. « Je propose un exercice assez simple pour marquer une différence entre une foire et un musée : avez-vous déjà vu des classes entières faire des visites guidées de foires ? Ou des critiques se rendre dans des foires pour écrire des textes significatifs sur le travail des artistes ? », s’interroge avec justesse Tatiana Trouvé, ajoutant : « Alors, qui leur donne trop d’importance ? Les médias ? Personne n’interdit de parler autrement du travail des artistes qu’au regard des seuls records de prix établis dans des salles de ventes. » Pour l’artiste indien Jitish Kallat, le modèle de ces manifestations devra être repensé d’ici cinq à sept ans, certains étant voués à la maturation, d’autres à la disparition : « Le monde de l’art, en jet-lag [décalage horaire] permanent, va s’épuiser à sautiller de foire en biennale et cherchera un contexte plus contemplatif pour voir de l’art. » Un vœu pieux ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°289 du 17 octobre 2008, avec le titre suivant : Faire salon