Depuis la création de Fimalac, Marc Ladreit de Lacharrière fait participer son entreprise à la vie culturelle de la France, par le biais du mécénat ou de l’engagement social à destination des jeunes.
Mécène du Louvre, créateur de la fondation Culture et diversité, membre de l’Académie des beaux-arts, président de l’agence France-Muséums, le patron de Fimalac estime que la réussite financière engendre une responsabilité sociale.
Vous soutenez le Louvre, l’Union centrale des arts décoratifs, la fondation du Patrimoine... Vous sensibilisez les jeunes défavorisés à l’art avec votre fondation Culture et diversité, êtes-vous à l’origine de la fondation Agir contre l’exclusion avec Martine Aubry. Tous ces engagements, sont-ils là pour vous donner bonne conscience, vous qui réussissez brillamment dans la finance via votre groupe Fimalac ?
Marc Ladreit de Lacharrière : Un pays comme la France peut donner toutes les chances de réussite grâce à son attachement aux valeurs de la méritocratie républicaine. Il est donc légitime de redonner à la société française une grande partie de ce qu’elle nous a apporté. C’est une notion de justice et non de bonne conscience, expression que je rattache à la religion catholique. Jamais aux États-Unis, par exemple, on évoquerait mon engagement en ces termes !
Avec Fimalac et votre agence de notation internationale Fitch, vous êtes au cœur des problématiques de la financiarisation de la société et de la mondialisation. La culture est-elle pour vous un moyen de lutter contre l’uniformisation du monde ?
Fimalac est effectivement une entreprise emblématique de la mondialisation financière. Je suis partisan d’une mondialisation « éclairée » et je pense que la culture peut apporter un contrepoids à l’uniformisation, à la standardisation des modes de vie.
Le mécénat privé ne constitue-t-il pas une goutte d’eau face à cela ? N’est-ce pas plutôt au public de jouer un rôle pour éviter cette banalisation ?
Les hommes politiques sont assez conservateurs et gèrent davantage le quotidien. Ce sont les fondations privées comme celle de Bill Gates qui font bouger les lignes et créent des fractures positives à l’intérieur d’un pays. Et puis toutes ces gouttes, tous ces petits ruisseaux, deviennent de grandes rivières et font prendre conscience aux pouvoirs publics de la nécessité de changer les modalités de la société. Dans une économie ouverte, les mécènes privés ont un rôle majeur à jouer.
Quel rôle assignez-vous à la fondation Culture et diversité qui a fêté son premier anniversaire il y a quelques mois et que vous avez dotée d’un budget de dix millions d’euros ?
La fondation s’inscrit dans la tradition de Fimalac, entreprise créée en 1991 et une des pionnières en matière de mécénat. Fimalac s’est, dès sa création, orientée vers les inégalités sociales avec la fondation Agir contre l’exclusion permettant à des jeunes des quartiers nord de Marseille, pénalisés par leur nom, leur origine et leur lieu d’habitation, de trouver un emploi.
Nous avons aussi participé à la même époque au rayonnement culturel de la France en apportant notre soutien au Louvre ou à la fondation du Patrimoine. Avec la fondation Culture et diversité nous avons franchi un pas supplémentaire via un double engagement dans la culture et le social, décloisonnant ainsi ces deux champs du mécénat. Notre ambition est de permettre à plusieurs milliers de jeunes d’accéder à des univers que nous avons eu la chance de connaître par notre parcours, et cela à travers des ateliers artistiques au théâtre du Rond-Point, à La Source de Gérard Garouste ou encore à travers le cursus de l’école du Louvre.
Vous considérez-vous comme un médiateur culturel ?
J’aimerais l’être puisque la fondation Culture et diversité aide ces jeunes à découvrir autant le patrimoine historique que la culture contemporaine. Encore une fois, c’est une contrepartie à notre réussite, une conduite de vie. Cela fait partie de l’ADN de Fimalac.
Quelle est votre plus grande satisfaction en tant que mécène ?
Le témoignage direct des enfants qui ont pu s’approprier des œuvres contemporaines, partager des émois artistiques, pratiquer des ateliers. Des élèves issus de milieux défavorisés sont aujourd’hui à l’école du Louvre et pourront tenter le concours de conservateur jusque-là réservé à des enfants de la bourgeoisie. Tout cela change la donne.
Que pensez-vous aujourd’hui de la loi sur le mécénat, va-t-elle suffisamment loin ?
Dans les pays anglo-saxons, une personne physique donne environ 12 % de son patrimoine à des œuvres caritatives, 25 % à l’État, le reste à ses héritiers. Nous en sommes loin, les personnes physiques en France n’ont pas chevillé au corps ce comportement exemplaire des Américains.
Mais le mécénat d’entreprise a énormément progressé ces dernières années, alors qu’il était quasiment inexistant il y a une quinzaine d’années. Les lois Aillagon l’ont renforcé grâce à un dispositif fiscal quasiment sans équivalent dans le monde. Les entreprises ont ainsi pu mettre en place des opérations de mécénat au moment même où, parallèlement, elles prenaient conscience de leur rôle dans la société : faire du profit ne peut être leur objectif unique, elles doivent contribuer au bien-être social de leurs collaborateurs.
On l’a dit, vous êtes un grand mécène du Louvre et de la fondation du Patrimoine. Le directeur du Louvre lui-même, Henri Loyrette, a prononcé votre discours lors de votre installation à l’Académie des beaux-arts l’an dernier. Êtes-vous aussi sensible à l’art contemporain ?
L’art contemporain m’intéresse depuis mon plus jeune âge, et encore davantage depuis que je vis avec Véronique (ndlr : Véronique Morali, administratrice de Fimalac, présidente de l’association Force Femmes qui aide les plus de quarante-cinq ans à retrouver un emploi, présidente de la Commission du dialogue économique au Medef, elle développe aujourd’hui des projets entrepreneuriaux dont certains en liaison avec Fimalac). Elle m’y a beaucoup sensibilisé.
L’art contemporain éclaire les événements majeurs, les mouvements de société, plus rapidement que ne le font les intellectuels, les patrons ou les politiques. En tant que chef d’entreprise, je partage l’audace des artistes, je ressens une proximité. La création va contre les courants établis, lutte contre les gens endormis. J’éprouve confiance et admiration pour ces artistes contemporains qui prennent des risques, s’élèvent contre le prêt-à-penser, le prêt-à-voir, le conformisme.
En passionné du patrimoine, estimez-vous que l’art contemporain sera le patrimoine de demain ?
Je n’en suis pas certain. Dans le cadre de la mondialisation, on observe une élévation réelle du niveau de vie pour une bonne partie de la planète. Mais dans le même temps, ce mieux-vivre n’est pas vraiment perçu et l’art contemporain se construit trop souvent autour de thèmes sinistres, violents ; il présente le monde dans sa face la plus cruelle.
Étant un optimiste, je ne partage pas cette vision. Il y a un foisonnement d’œuvres dont certaines très obscures, voire désordonnées, élitistes, destinées à un public très restreint. J’espère qu’il émergera néanmoins des œuvres pérennes. En tant que mécène, Fimalac participe à la création, dans les arts plastiques comme dans le spectacle vivant puisqu’elle contribue à faire connaître des auteurs actuels au théâtre du Rond-Point dirigé par Jean-Michel Ribes.
Vos acquisitions sont-elles dictées par le cœur ou la raison ?
Les œuvres que j’acquiers sont des coups de cœur. Il faut qu’un tableau me parle, peu importe qu’il ait été réalisé ou non pendant la meilleure période d’un artiste. Je vais vivre avec lui donc il faut qu’il m’attire, qu’il contribue à guider mon émotion. J’éprouve un grand bonheur lors de l’achat, un acte plus fort pour moi que la possession de l’œuvre elle-même. L’appropriation de l’œuvre est un moment unique et exceptionnel.
Et vos artistes favoris ?
Je ne suis pas un collectionneur monomaniaque, à la recherche d’une pièce unique. Mes goûts sont éclectiques. Ils épousent mes passions, mes fantasmes, évoluent avec ma personnalité. J’aime rapprocher les œuvres : dans mon bureau, des œuvres africaines cohabitent avec des tableaux monochromes. Vous pouvez voir les signatures de Martin Barré, Serge Charchoune. Le mobilier est contemporain. Je suis très attaché à ma liberté. Mon seul impératif : jamais d’œuvres cauchemardesques, violentes, agressives, de mauvais goût, dont hélas l’art contemporain est très coutumier.
Vous avez une prédilection pour les sculptures, je crois ?
J’aime la matière brute, je suis attaché à sa rugosité. De la pierre ou du bois brut. De cette matière dominée par la volonté de l’homme, émane une certaine puissance créatrice. J’effleure ces sculptures, elles me transmettent physiquement leur force silencieuse, je ne me sens jamais seul en leur compagnie. Regardez cette pileuse de mil du xviie siècle : son sourire est tantôt complaisant, tantôt concupiscent, selon les moments de la journée. Elle n’est pas seulement profane, le mil qu’elle moud est constitué de graines religieuses, elle ne peut être que vierge. Sa poitrine pointue est révélatrice.
Quel regard portez-vous sur le marché de l’art ?
Il s’est déplacé vers l’étranger, particulièrement vers les États-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne. J’apprécie la proposition de la ministre de la Culture Christine Albanel en faveur de prêts destinés à dynamiser l’achat d’œuvres au sein des galeries, sur le modèle anglais. L’État a compris la nécessité de soutenir l’art, compte tenu de notre recul par rapport aux marchés étrangers. Mais pour revitaliser durablement, il convient d’introduire l’enseignement de l’art à l’école. C’est là que doit s’apprendre la magie de l’art. Dans ce domaine, la France fait figure de parent pauvre, alors il ne faut pas s’étonner…
Mais aujourd’hui l’État a plutôt tendance à se désengager...
L’État a de moins en moins de moyens et c’est un malheur qu’il se désengage. L’appel au mécénat privé est de plus en plus nécessaire. Dans le cadre de ma fondation, nous lançons le programme « Égalité des chances en écoles d’art » pour les élèves de terminale issus d’établissements relevant de la politique d’éducation prioritaire et souhaitant poursuivre des études d’art. Nous leur proposons des forums de découverte, des stages de préparation aux concours d’entrée, etc.
En tant que président de France-Muséums, qui a pour mission de mener à bien l’ouverture du Louvre-Abou Dhabi, quel modèle préconisez-vous pour gérer les musées ?
Le Louvre a été pionnier en matière de mécénat il y a plus de dix ans et dispose désormais d’un département entier dans ce domaine. Je suis pour des musées à statut public, mais bénéficiant de fonds privés importants.
Comment concevez-vous votre rôle de président de France-Muséums ?
Je n’aurais jamais accepté cette présidence si je devais être sous contrôle, je suis attaché à mon indépendance. L’originalité de cette agence, c’est qu’elle va s’efforcer de montrer les collections de tous les musées nationaux. Ils seront tous sollicités par ce musée universel d’Abou Dhabi. L’un des objectifs est d’élargir le cercle aux musées de province. Ma mission est de veiller à ce que le futur musée soit édifié dans le respect des engagements pris, en termes de cahier des charges, de coût, de délai, et que les musées concernés travaillent en harmonie.
Vous avez désigné comme directeur général Bruno Maquart, ex-directeur général du Centre Pompidou, qui a succédé à Jean d’Haussonville, le diplomate qui avait mené toutes les négociations. Pourquoi ?
Cette agence est une société de droit privé, mais a des missions de service public. Il fallait asseoir sa crédibilité en mettant de l’ordre dans ses statuts et en l’entourant des compétences opérationnelles indispensables : Bruno Maquart a dirigé un grand musée. Et en recentrant les missions de l’agence sur le Louvre d’Abou Dhabi parce que c’est la priorité pour l’instant. Ensuite, naturellement, d’autres projets pourront être initiés.
1940 Naissance à Nice. 1968-1970 Élève à l’Ena. 1976-1991 Directeur financier puis vice-président de L’Oréal. 1991 Crée le groupe Fimalac (Financière Marc de Lacharrière). 1999 Administrateur de l’établissement public du musée du Louvre. 2006 Élu à l’Académie des beaux-arts. Création de la fondation Culture et diversité. 2007 Président du conseil d’administration de France-Muséums.
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Entretien avec... Marc Ladreit de Lacharrière
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Abonnez-vous dès 1 €Malik Nejmi Cet ancien animateur pédagogique auprès de travailleurs sociaux, né en 1973 à Orléans, mène depuis 2006 un « récit photographique » sur le handicap dans les pouponnières africaines. L’ombre de l’enfance, le titre du projet, très explicite au regard des images, a reçu en octobre 2007 le premier prix de la photographie de l’Académie des beaux-arts (dotation de 15”‰000 euros). Le choix de Malik Nejmi est cohérent avec l’engagement culturel et social de Marc Ladreit de Lacharrière, à l’origine de la fondation Culture et diversité (lire page suivante), qui soutient le prix. Culture et diversité Fondée par le président de Fimalac, la fondation Culture et diversité s’est donnée pour mission d’aider les jeunes d’Île-de-France à accéder à la culture et aux arts au nom de l’égalité des chances et de la cohésion sociale. Afin de mener à bien cette action, la fondation s’est notamment rapprochée de l’association La Source (créée en 1991 à l’initative du peintre Gérard Garouste afin de venir en aide aux enfants exclus en milieu rural), de l’école du Louvre et du théâtre du Rond-Point à Paris.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°597 du 1 décembre 2007, avec le titre suivant : Entretien avec... Marc Ladreit de Lacharrière