Art moderne

Edward Hopper - Portrait double

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 6 août 2012 - 686 mots

A l’inventaire iconographique des portraits d’Edward Hopper, il existe entre autres deux images – un tableau et une photographie – qui le représentent à plus de quarante ans de distance.

La première est un autoportrait de 1904 qui est conservé au Whitney Museum of American Art de New York. L’artiste s’y montre en buste de profil gauche, la tête tournée de trois quarts vers le regardeur. Vêtu d’une veste noire, il porte une chemise dont le col cassé blanc fait d’autant plus ressortir son visage dans la lumière que le fond du tableau est d’un brun sombre qui confère à ce dernier une note quelque peu vieillotte. Daté de la toute fin de sa période d’apprentissage à la New York School of Art, cet autoportrait montre une figure plutôt grave dont l’intensité du regard pèse d’un silence profond. Ce jeune homme – il n’a que vingt et quelques années – apparaît immédiatement comme un être entier et introverti. Ses yeux grands ouverts disent une sorte d’impatience à découvrir et à apprendre le monde. Celui de la peinture, s’entend. En 1906, Edward Hopper s’apprête justement à traverser l’Atlantique pour aller à la découverte d’autres horizons et d’autres émotions.

Un homme fasciné par la séduction à la française
Celle qu’il fait de Paris et de son architecture – une passion absolue chez lui – sera essentielle, voire déterminante, comme il l’écrit cette année-là dans une lettre à sa sœur le 29 novembre : « Les rues y sont très anciennes, encaissées, et les façades qui s’inclinent en arrière à partir de la base du premier étage confèrent une physionomie massive et très imposante aux maisons. Les débits de boisson et les boutiques de rez-de-chaussée sont de couleur rouge ou vert sombre, ce qui tranche violemment sur le reste de la façade. Sur les toits se dressent des centaines de cheminées avec leur mitre qui donnent un aspect particulier à l’horizon. Les toits sont tous à la Mansard [sic], couverts d’ardoise grise ou de zinc… par temps couvert, ce même gris-bleu en toute chose… »
Outre la ville, Edward Hopper se montre très curieux du mode de vie des Parisiens et ne cache pas être fasciné par le genre de femmes que sont les Françaises, notamment par leur pouvoir de séduction. Nombre de figures féminines de ses tableaux des années 1920, comme Summertime (1923), en portent le puissant souvenir.

Peindre, à défaut d’avoir des mots pour dire
Le portrait photographique que George Platt Lynes a fait du peintre dans son atelier de Washington Square en 1950 montre en revanche un homme d’âge mûr qui, s’il est entré dans l’histoire, se présente de la façon la plus simple qui soit. Hopper est assis sur une chaise, près d’un poêle sur lequel est posée une bouilloire. Les bras appuyés sur ses jambes, la main gauche posée sur son avant-bras droit, il est sobrement habillé d’un pantalon de toile et d’une chemise ouverte, les manches relevées jusqu’aux coudes ; un instant, on pense à Pollock.

Le crâne dégarni, les yeux vifs, le regard appuyé droit devant lui, l’air serein, l’artiste semble s’être posé un moment pour regarder le travail en cours. La grande simplicité du décor participe à renforcer le sentiment de puissante intériorité qui émane de cette image. Quelque chose d’une implacable présence y est à l’œuvre qui nous donne à penser que l’artiste est là devant nous comme si nous lui avions rendu visite à l’atelier.
À l’instar de ses peintures, il y règne un calme absolu. Connu pour ses profonds silences lorsqu’on l’interrogeait, Edward Hopper avait souvent coutume de répondre: « Si vous pouviez le dire avec des mots, il n’y aurait aucune raison de le peindre. »

Biographie

22 juillet 1882
Naissance à Nyack dans l’État de New York, aux États-Unis.

1900
Il entre à la New York School of Art.

1906-1910
Trois voyages en Europe durant lesquels il séjourne la plupart du temps à Paris.

1933
Première rétrospective de son œuvre au MoMA.

1942
Il peint Nighthawks.

1952
Exposition à la Biennale de Venise.

1967
Le peintre décède dans son studio de Washington Square, à New York.

À paraître : la monographie d’Emmanuel Pernoud, Hopper, peindre l’attente

Citadelles & Mazenod, collection « Les Phares », 384 p., 350 ill., 189 e.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°649 du 1 septembre 2012, avec le titre suivant : Edward Hopper - Portrait double

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