À Genève comme à Lausanne, les musées sont en ébullition. Tandis que le Musée d’art et d’histoire de Genève finalise son projet d’extension, le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne va déménager dans une halle ferroviaire. L’occasion de reconstruire leur image et de rééquilibrer l’offre muséale le long des rives du lac Léman.
Dans le paysage culturel lémanique, le Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève a longtemps tenu le rôle de la belle endormie. Réveillée en sursaut par les plâtres des corniches de la salle Baszanger qui se sont détachés sans prévenir un matin d’août 2007, l’institution genevoise a dû prendre le taureau par les cornes. Depuis son inauguration en 1910, le bâtiment de Marc Camoletti n’a eu droit qu’à de vagues retouches cosmétiques. Réclamée de longue date mais toujours scandaleusement ajournée, une restauration intégrale des lieux est devenue indispensable.
Lauréat de l’appel d’offres organisé en 1998 puis remisé dans un tiroir jusqu’en 2006, le projet de réaménagement signé Jean Nouvel est à nouveau sur les rails (lire le JdA no 276, 29 février 2008, p. 6). Le programme vise à intégrer un élément moderne au sein de l’architecture de style beaux-arts. Cette extension prévoit l’installation dans la cour intérieure du bâtiment d’un cube de verre – pour un total de 3 800 mètres carrés de surface supplémentaire.
Trois des cinq plateaux (répartis du sous-sol jusqu’au toit) seront reliés au musée par un système de passerelles et laisseront apparaître les façades intérieures. Encore en discussion, un pavillon de verre pourrait se dresser dans le jardin en face du musée. Estimée à 80 millions de francs suisses (55,7 millions d’euros), l’opération relève d’un partenariat public-privé : la Ville s’est engagée à prendre en charge la moitié du coût de construction, dès l’instant où l’équivalent des fonds était apporté par des mécènes.
Mais depuis sa création en 2006, la Fondation pour l’agrandissement du musée, présidée par le député libéral Renaud Gautier, n’est parvenue qu’à réunir 9 millions de francs suisses (6,2 millions d’euros) auprès de fondations (en majorité bancaires), et de particuliers. C’est ici qu’intervient Jean Claude Gandur, richissime homme d’affaires d’origine vaudoise (lire ci-contre). Le collectionneur signe en mars 2010 une convention avec le musée où il s’engage, par le biais de sa Fondation Gandur pour l’art (FGA), à verser le solde sur les 40 millions de francs suisses (27,8 millions d’euros) d’origine privée nécessaires à la réalisation du projet. Soit 5 millions « dès que le projet d’agrandissement aura reçu tous les feux verts administratifs et légaux », et plus d’une vingtaine de millions par la suite.
Un bonheur ne venant jamais seul, le musée se voit confier une partie des prestigieuses collections d’art moderne et d’archéologie de son bienfaiteur pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. D’après les termes d’une convention, la fondation aura son siège au musée, et l’extension Nouvel sera baptisée « Espace FGA ». Le corpus d’art moderne (250 tableaux signés Soulages, Van de Velde, Hartung, Mathieu, de Staël…) y sera exposé de manière permanente, tandis que la moitié (au moins) des objets archéologiques (Égypte, Grèce, Rome, Proche-Orient) fusionneront avec les collections existantes.
La fondation s’engage en outre à financer une exposition tous les deux ans.
Si Genève est une ville où le mécénat est une tradition solide et souvent discrète, le conservatisme architectural y est roi. Le projet n’est pas exempt de détracteurs, les uns soucieux de préserver l’intégrité du bâtiment et sa luminosité, les autres opposés à un restaurant panoramique surplombant le toit du musée. La transfiguration des lieux n’est donc pas à l’abri d’une initiative populaire, pratique référendaire courante en Confédération helvétique. Ainsi le nouveau directeur Jean-Yves Marin s’est-il efforcé de réunir un comité consultatif pour rétablir le dialogue.
Forts du préavis favorable de la Commission des monuments et sites (CMNS), Jean Nouvel et l’architecte genevois Fabrice Juncker s’entretiendront avec les collectifs tels « Patrimoine suisse-Genève » ou « Action Patrimoine vivant ». Si le consensus est obtenu et le référendum contourné, le nouveau musée pourrait ouvrir ses portes en 2016, après deux ans et demi de travaux. Jean-Yves Marin se dit prêt à se battre pour mener le projet à son terme ; et voit dans la finalisation du projet du Musée d’ethnographie un signe encourageant (lire page 7).
D’ici là, Jean-Yves Marin travaille sur la réorganisation du musée. Les départements ont laissé place à deux pôles scientifiques ; un pôle « beaux-arts » (peinture, sculpture, objets d’art, arts graphiques) et un pôle « histoire » (instruments de musique, arts appliqués, archéologie, horlogerie). D’après le directeur, la visite du musée devrait être possible d’un seul tenant. La circulation via la tour centrale permettra de « commencer par l’égyptologie pour finir avec l’art contemporain ».
Un « fundraiser » et un spécialiste du tourisme
La première étape, en guise de préfiguration, sera la salle d’archéologie romaine. Véritable work in progress, le chantier de ce remaniement est ouvert au public jusqu’à son inauguration, prévue en décembre. Le redéploiement des collections comprend également l’intégration de la collection du Musée des instruments anciens de musique, dont les pièces patientent dans les réserves depuis sa fermeture en 1993. Idem pour les collections du Musée de l’horlogerie, fermé en 2002 à la suite d’un cambriolage – grâce à l’indemnisation obtenue auprès de son assurance, le musée a reconstitué ses fonds. Contestée, cette absorption débutera avec l’exposition d’une sélection de pièces au Musée Rath en décembre 2011.
Et si le musée n’a pas vocation à acheter de l’art contemporain, les artistes actuels seront accueillis pour des performances ou des interventions. Car le MAH doit être un « catalyseur » destiné à donner l’envie de découvrir les musées spécialisés.
En cette année de centenaire, scandée par une centaine d’événements pluridisciplinaires dont le point d’orgue est l’exposition « Corot en Suisse » (dès le 24 septembre, au Musée Rath), le Musée d’art et d’histoire prend un nouvel élan. Parmi ses nouvelles recrues, une responsable du fundraising [collecte de fonds] est chargée de professionnaliser les rapports avec les mécènes et d’élaborer des actions ciblées – ainsi, des visites pour les enfants défavorisés sont organisées avec l’aide d’une fondation pour l’enfance. Un spécialiste du tourisme tentera pour sa part d’étoffer le public (180 000 visiteurs annuels actuellement) en se tournant vers les quelque 4 millions de touristes qui visitent Genève chaque année. Un travail de longue haleine en perspective.
Né en 1949 à Alexandrie, Jean Claude Gandur est devenu collectionneur « par atavisme » à l’âge de 9 ans. L’homme d’affaires suisse a fait fortune dans le commerce du pétrole, et, s’il a acquis par son travail une grande connaissance de l’Afrique noire et du Moyen-Orient (il a même été consul honoraire de la République du Congo pendant dix ans à Genève), son cœur bat avant tout pour l’Antique.
Riche de plus de 800 pièces, sa collection rivalise avec celle des plus grands musées internationaux. Après avoir caressé l’idée d’un « musée Gandur » à Genève, sa rencontre avec Cäsar Menz, alors directeur du MAH, est déterminante. Séduit par la vision de Jean Nouvel, Jean Claude Gandur se décide à aider à la reconversion du musée.
Non sans obtenir l’approbation de la population locale : « Je ne voulais pas que l’on parle d’un "musée Gandur", d’une mainmise sur le projet. Je voulais et veux toujours que cela soit le projet des Genevois, qu’ils l’aiment et en soient fiers. »
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Du nouveau dans les musées suisses
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Abonnez-vous dès 1 €Il y a un an, la nomination de Jean-Yves Marin à la tête des Musées d’art et d’histoire de Genève (MAHs) s’était faite dans un climat pour le moins délétère. Poussé à la démission à la suite d’un audit accablant – et irrecevable aux yeux de beaucoup –, Cäsar Menz bénéficiait du soutien sans faille de la Société des amis du musée. L’accueil de l’archéologue, alors directeur du Musée de Normandie à Caen, ne fut pas des plus chaleureux. Deux membres de la Fondation pour l’agrandissement du musée, le collectionneur Jean Bonna (vice-président) et le collectionneur d’arts premiers Jean Paul Barbier-Mueller (président d’honneur), ont même rendu leur tablier.
Selon Jean Bonna, Jean-Yves Marin était « le moins mauvais » des prétendants : « Vu qu’aucun candidat n’avait le niveau souhaité, j’aurais aimé que l’on fasse un second tour pour aller chercher une personnalité d’envergure », a-t-il élégamment déclaré. Loin d’être un inconnu, Jean-Yves Marin a présidé la section française du Conseil international des musées (ICOM) et il fut l’un des rédacteurs entre 1998 et 2004 du code de déontologie de l’ICOM. Par souci de cohérence, un comité de déontologie municipal a été mis sur pied pour passer en revue les collections des musées de la ville (Gandur incluse), et faire des restitutions le cas échéant. Fort de son expérience à l’ICOM, l’homme se décrit comme un « casque bleunbsp;».
Aussi son premier travail consista-t-il à rassembler les troupes autour du projet Nouvel et de la réorganisation du musée au sens large ; ce dont se réjouit ce bâtisseur, qui avait mené à bien le réaménagement du château de Caen inauguré en 2008. Enfin, Genève, par la richesse de ses collections, la générosité des mécènes, le confort du budget (35 millions de francs suisses [24,3 millions d’euros] par an pour le réseau des MAHs), a tout pour plaire à ce Normand qui revendique son « héritage girondinnbsp;».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°324 du 30 avril 2010, avec le titre suivant : Du nouveau dans les musées suisses