Malgré quelques notables réserves, un rapport de la Cour des comptes conforte le rôle du Centre des monuments nationaux, ce « colosse aux pieds d’argile ».
PARIS - Si les magistrats de la Cour des comptes n’étaient pas réputés pour leur sérieux, le rapport que trois d’entre eux viennent de produire aurait pu s’intituler : « Comment le ministère de la Culture navigue à vue en matière de politique du patrimoine à travers l’exemple du Centre des monuments nationaux. » Avec comme sous-titre : « Quitte à prendre quelques libertés avec la loi de finances. » Le 19 octobre, devant la commission des finances du Sénat, commanditaire de cette enquête, Jean Picq, président de la 3e chambre de la Cour des comptes, a soutenu que l’établissement était « promis à un bel avenir… pour autant que certaines conditions soient remplies ». Car, comme le met en lumière ce rapport très fouillé, le Centre des monuments nationaux (CMN) n’a eu de cesse de subir les conséquences « de la politique chaotique du patrimoine depuis 2003 ». Soit une cuisine administrative mal maîtrisée et perturbée par la valse des ministres.
En 2006, l’annonce du Premier ministre Dominique de Villepin d’octroyer une taxe affectée – issue d’un prélèvement sur les droits de mutation – aura certes rassuré un secteur en proie à une crise budgétaire sans précédent, mais aussi ébranlé les missions de l’opérateur. Le CMN devait alors percevoir la manne annoncée de 140 millions d’euros et assumer la maîtrise d’ouvrage des travaux de tous les monuments affectés au ministère de la Culture – et non seulement les siens – sans en avoir ni la capacité juridique ni les effectifs. D’où la mise en place d’une véritable usine à gaz administrativo-budgétaire que même la Cour des comptes semble avoir peiné à décrypter.
Une « boîte aux lettres » ?
Le CMN a ainsi rétrocédé la maîtrise d’ouvrage aux directions régionales des Affaires culturelles, alors que les crédits leur étaient affectés par l’intermédiaire d’un fonds de concours – qui normalement ne peut être abondé par des ressources fiscales ! Nouveau virage dès 2007 : cette taxe, censée être pérenne, est alors re-budgétisée sur les crédits du ministère et le CMN recentré sur ses seuls monuments. Mais le dispositif a perduré jusqu’en 2009. Lors de cette audition, le sénateur de l’Oise Philippe Marini, rapporteur spécial de la Commission des finances, n’a pas mâché ses mots : « Amener le Parlement à voter des crédits pour en faire un autre emploi n’est pas acceptable, a tonné le sénateur. Le CMN est-il une «boîte aux lettres» totalement transparente ? Quelle a été la vraie finalité de l’opération ? Sanctuariser des crédits, en faciliter le report ou les soustraire à la norme de la dépense ? »
L’opération a, en effet, permis au CMN d’abonder sa trésorerie de 28 millions d’euros, son fonds de roulement atteignant en 2009 un montant jamais égalé (63 millions d’euros). Si cette somme sera vite absorbée par de nouvelles opérations, elle a donné des velléités à Philippe Marini de suggérer une ponction dans la trésorerie de ce « dodu dormant », ou tout du moins d’en baisser la subvention. Car, si la Cour souligne la bonne gestion de l’opérateur, elle note que ce suréquilibre financier s’est aussi accompagné d’une très forte hausse de sa subvention, passée de 8,3 % de son budget à 23,4 % en 2009, alors que la part des ressources propres diminuait de 90,3 % à 74 %. En parallèle, certaines dépenses ont explosé l’an passé : 800 000 euros de budget pour l’exposition « Psyché au miroir d’Azay » avec un déficit final de 699 000 euros ; 53 000 euros pour un cocktail de lancement de l’ouvrage 100 monuments, 100 écrivains : histoire de France… La Cour relève également la forte hausse des dépenses de la présidence entre 2007 et 2009 : 70 % des frais de conseil et communication et 41 % de frais de réception. Isabelle Lemesle, présidente du CMN depuis mai 2008 s’est justifiée dans une réponse écrite à la Cour : « Plus que la réduction des dépenses, il semble que le CMN doive s’attacher à améliorer son résultat. » Pas sûr que l’argument ait convaincu. D’autant qu’un autre choix de la nouvelle présidente fait l’objet de critiques, à savoir le déménagement partiel des bureaux vers la porte des Lilas – qui génère un surcoût de loyers de 770 000 euros par an – alors que la présidence a conservé ses bureaux dans le prestigieux hôtel de Sully (4e arr.). Par ailleurs, la Cour s’inquiète d’une menace extérieure qui pèse sur l’établissement, celle de l’instabilité de son parc, rappelant là l’épisode de l’article 52 du projet de loi de finances 2010 qui prévoyait une relance débridée de la dévolution des monuments de l’État (lire le JdA no 313, 13 novembre 2009). Au détour d’une page du rapport, on apprend que le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, serait intervenu dès le début du mois de septembre 2009 auprès du Premier ministre et du président de la République, pour obtenir la suppression de cet article. Qui sera tout de même voté par le Parlement puis censuré par le Conseil constitutionnel. Mais la menace pèse toujours, de quoi faire écrire à la Cour des comptes que cette « absence de choix clair ne paraît plus longtemps tenable » et de comparer le CMN à un « colosse aux pieds d’argile ».
La Cour se range donc derrière les précautions énoncées dans le rapport de la sénatrice de la Marne Françoise Férat (lire le JdA no 330, 10 septembre 2010, p. 7). Or cette dernière s’inquiète d’un autre rapport, très libéral, remis récemment par le sénateur d’Eure-et-Loir Albéric de Montgolfier au président de la République. « Le rapport Montgolfier sur la valorisation du patrimoine contient des propositions audacieuses, qui ne laissent pas de nous inquiéter », a déploré Françoise Férat. Privilégiant un principe de précaution, la sénatrice opte pour un autre credo, celui de « l’économie au service de la culture ». Le représentant du ministre de la Culture lui a emboîté le pas. Espérons que, cette fois-ci, le président sache entendre son ministre.
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Diagnostic stationnaire pour le Centre des monuments nationaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°334 du 5 novembre 2010, avec le titre suivant : Diagnostic stationnaire pour le Centre des monuments nationaux