MORET-SUR-LOING
Plusieurs sites du patrimoine de Moret-sur-Loing ont été acquis depuis trois ans par des investisseurs chinois. Un cadre au charme typiquement français, dans lequel résidence d’artistes, projets de musée ou hôtel de luxe pourraient voir le jour dans des conditions et avec des objectifs encore bien flous.
Moret-Loing-et-Orvanne.« Fédération mondiale de la calligraphie et de la peinture chinoise ». « Centre de recherche des arts et de la création Jin Shangyi ». Les lettres noires se détachent sur le fond doré des plaques en laiton poli vissées sur le crépi gris crasseux de la façade de la bâtisse. L’École centrale de Moret-sur-Loing rachetée par des investisseurs Chinois ! La folle rumeur a circulé pendant plusieurs semaines dans les rues de la petite cité médiévale avant d’être confirmée par la presse locale en début d’année 2016, puis définitivement accréditée par l’apposition des plaques. Le nouveau propriétaire de cette propriété de 840 mètres carrés en piteux état, située au cœur de la ville, et acquise pour un montant de 510 000 euros, est Gu Fuhai. Ce peintre chinois né en 1952 est à la tête de plusieurs associations consacrées aux arts et à la culture.
Quatre autres plaques dorées fixées sur la bâtisse aux volets fermés semblent vouloir signaler la présence de plusieurs ateliers, ceux de Liu Dawei, Yang Xiaoyang, Yu Zhixue et Qin Guodong. « Ce sont tous de grands artistes chinois. Plusieurs d’entre eux ont une immense réputation dans l’Empire du Milieu », souligne Rémy Aron, membre de l’Académie nationale de peinture de Chine. « Ces artistes vont-ils être impliqués dans la création et la vie de ce centre culturel ? Ou ces plaques visent-elles plutôt à assurer la promotion des lieux ? Difficile de le savoir. Il faut être prudent », poursuit le président de la Maison des artistes. L’objectif de Gu Fuhai ? Créer une résidence d’artistes comprenant des ateliers ouverts à des créateurs du monde entier. Au programme également : des expositions consacrées à la promotion de la culture chinoise et des cours de calligraphie et de peinture.
Un centre culturel chinois au pays de Sisley ; des flopées d’artistes chinois plantant leurs chevalets le long des chemins de halage que l’impressionniste a arpentés… Les Morétains sont secoués et plutôt perplexes. « Ces Chinois font tout très vite, veulent être les premiers partout et n’hésitent pas à transgresser les règles. Il va falloir être vigilant », insiste Luc Paylot, le vice-président de l’Association des amis d’Alfred Sisley. Un accroc aux règles de l’art, observé lors des travaux d’aménagement, a amené les autorités locales à exiger des nouveaux propriétaires qu’ils revoient leur copie et recourent aux services d’un architecte du patrimoine. Pourquoi avoir choisi Moret-sur-Loing ? « Pour y étudier les techniques impressionnistes et s’inspirer des paysages peints par Alfred Sisley dont nombre d’entre eux sont encore visibles aujourd’hui », expliquait Monsieur Gu, en juin 2015, à la Commission cadre de vie de la commune. « Ils idéalisent Moret. C’est pour eux la quintessence du village à la française avec son église, ses beaux monuments, sa rivière, ses artistes et ses pêcheurs », s’amuse Patrick Septiers, le maire de la commune de Moret-Loing-et-Orvanne.
Les travaux d’aménagement de l’École centrale, évalués à plusieurs millions d’euros, devraient être réalisés en plusieurs phases. Après s’être attaqués à la rénovation d’une salle d’exposition côté rue – où une exposition internationale de peinture et de calligraphie chinoise est annoncée pour le mois de mars –, les investisseurs vont devoir restaurer, sur l’arrière, des bâtiments très détériorés datant de la Renaissance qui ont été édifiés au-dessus de vestiges gallo-romains et de caves médiévales.
Après l’école centrale de Moret-sur-Loing, trois autres sites du patrimoine local, une grange de 460 mètres carrés sur les bords du Loing et deux moulins – le moulin Provencher, qui héberge le Musée du sucre d’orge, et le Moulin Graciot – devraient devenir, début 2018, la propriété de Chinois. La signature de l’acte de vente est prévue pour début mars. Yuancheng holding devrait se porter acquéreur de ces trois biens pour un peu plus d’un million d’euros. Ce fonds d’investissement chinois voudrait créer « un musée de l’impressionnisme dans la grange et les moulins et organiser tous les ans, un prix de l’impressionnisme, un peu comme à Cannes. Ils envisagent de relier les moulins à la grange en mettant en place des navettes par bateaux », nous explique-t-on en mairie.
Contacté pour obtenir des précisions sur le projet culturel, Ya Ding, l’intermédiaire francophone chargé de faire le lien entre les autorités françaises et les investisseurs chinois, n’a pas répondu à nos sollicitations. Écrivain et traducteur chinois auteur de plusieurs romans – dont Le Sorgho rouge – publiés en France dans les années 1980 et 1990, Ya Ding est aussi le président de l’Association de développement des échanges France-Chine versée dans l’importation de vins français en Chine et celui de Y. D. Communication, qui vise à aider des entreprises et groupes hexagonaux à s’implanter dans l’Empire du Milieu. L’ancien écrivain foisonne de projets. « Il fait pas mal de choses “à l’arrache” », observe Rémy Aron.
Les investisseurs ont-ils pris la mesure des travaux – conséquents et coûteux – à réaliser ? L’un des moulins menace de s’effondrer. La Grange se résume à quatre murs surmontés d’une toiture. Vont-ils acquérir des tableaux et organiser l’animation des lieux ? « Il ne semblait pas connaître les prix des œuvres d’art. Mais, il m’a dit qu’il avait carte blanche de la part de ses associés », raconte le maire en évoquant le responsable du fonds d’investissement chinois venu à Moret durant l’été 2017. Même sentiment de flou et d’incertitude au conseil municipal qui n’aurait pas été averti, à temps, de la vente des moulins. « Patrick Septiers est toujours très secret. Il communique très peu et cela alimente le soupçon. La commune ayant des difficultés financières, il a sans doute voulu se renflouer en vendant des biens immobiliers. On ne perçoit pas de réelle stratégie, ni de réflexion à long terme », pointe Jean-Christophe Paquier, ancien maire d’Écuelles, dont la commune a fusionné, en 2015, avec celle de Moret-sur-Loing.
Le domaine Sadi Carnot, à Écuelles, est une belle propriété de 80 hectares qui a appartenu au fils du président de la République assassiné en 1894. Celui-ci a été acquis, au printemps 2016, par la New Silk road Company limited (NSR). Ce fonds d’investissement européen – et non chinois comme l’avait annoncé la rumeur – domicilié à Paris, comprend des investisseurs internationaux dont des institutions asiatiques. NSR & Compagnie devrait investir au total 20 millions d’euros pour transformer la propriété en un site touristique, expliquait Nicholas Paillart, le vice-président du fonds d’investissement au Parisien (le 16 mai 2016). Le manoir sera reconverti en un hôtel de luxe et un restaurant écologique, et un chemin de randonnée sera aménagé dans le parc. « Le matin où j’ai signé la vente du domaine qui appartenait à la Communauté de communes, le PDG de [NSR] partait, l’après-midi, acheter un château en Bavière », sourit le président de l’établissement public de coopération intercommunale qui n’est autre que Patrick Septiers.
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Des investisseurs Chinois sur les terres de Sisley
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°496 du 2 mars 2018, avec le titre suivant : Des investisseurs Chinois sur les terres de Sisley