Contraint par l’état des finances publiques, le débat sur la Culture au cours de la campagne présidentielle a fait émerger peu de propositions précises.
Cette fois encore, la campagne présidentielle n’aura pas véritablement permis un grand débat sur la culture. Mais comment peut-il en être autrement alors que les préoccupations, légitimes, des Français vont d’abord à l’emploi, au pouvoir d’achat, à la sécurité, à la santé ? Comment peut-il en être autrement alors que la nécessaire réduction du déficit budgétaire fait peser de fortes contraintes sur les ministères « dépensiers » ? Comment peut-il en être autrement enfin, alors que le jeu médiatique oblige les candidats à s’exprimer « par petites phrases » et à éviter à tout prix la gaffe qui provoquerait l’hallali des autres candidats et des commentateurs politiques ? Il faut aussi admettre que la France, depuis André Malraux puis Jack Lang, et la mise en place de son « exception culturelle », n’a pas, relativement aux autres pays, à rougir de sa vie culturelle. François Hollande relevait à juste titre dans son discours de Nantes en janvier que « jamais les Français n’ont ces derniers mois autant fréquenté les musées, les spectacles, les cinémas. » Voilà pourquoi tous les candidats, du moins ceux qui aspirent à gouverner, se rejoignent pour souligner l’importance de la Culture à travers des envolées lyriques qui contrastent avec la minceur et l’absence de précision des propositions concrètes. Il est nécessaire d’interpréter leurs propos pour comprendre leurs intentions.
Un débat Paris-Régions
Ainsi en est-il du budget de la Culture. Fini le temps du 1 % pour la Culture, autour duquel tournaient les débats. Les deux principaux candidats des sondages, François Hollande et Nicolas Sarkozy, parlent de « sanctuarisation » du budget de la Culture, entendez : ni une baisse ni une augmentation. Le candidat PS a remisé au placard le vœu de sa rivale aux primaires, Martine Aubry, qui souhaitait augmenter de 30 % à 50 % le budget Culture, préférant « remettre à plat » le budget actuel et « rendre des marges de manœuvre », sans indiquer cependant comment vont s’opérer les transferts. En revanche, Jean-Luc Mélenchon veut augmenter les crédits publics dans la dépense culturelle – qu’il estime à 14 milliards alors que le total du budget du ministère est moitié moindre – de 7 milliards sur cinq ans, sans pour autant expliquer par quels procédés. Plus réalistes, les Français, interrogés dans un sondage BVA en mars 2012, considèrent à 53 % qu’il vaut mieux rechercher de nouveaux financements des activités culturelles et artistiques par le biais des recettes commerciales plutôt que par celui du public (29 %).
Fini aussi (temporairement ?) le débat sur le regroupement du ministère de la Culture avec celui de l’Éducation. Subsidiairement, les uns et les autres semblent ne pas vouloir modifier le périmètre de la Rue de Valois. Nicolas Sarkozy fait valoir que jamais ce périmètre n’aura été aussi large que sous son quinquennat, pour y avoir ajouté la direction des Médias. Le candidat PS veut, lui, plutôt corriger les effets négatifs de la révision générale de politiques publiques. Plus audacieux, celui du Font de Gauche veut en faire un ministère d’État. Mais un autre débat, plus électoraliste mais sans doute plus déterminant, a pris sa place : celui de l’équilibre Paris-régions. De nombreux candidats sont favorables à la décentralisation, soulignant, à l’exemple de François Hollande à Nantes, que lorsque Paris dépense 1 euro dans la culture, les Régions dépensent 2 euros. Ils voudraient même que le budget national irrigue plus la province que Paris, pour éviter « les stériles copinages » selon Marine Le Pen. Mais que faut-il comprendre d’un François Bayrou qui veut mettre en place des conventions de développement d’une durée de cinq ans entre l’État et les collectivités locales, ou d’un François Hollande non « favorable à ce que [..] les territoires s’emparent d’une compétence qui était jusque-là, au moins pour l’orientation de la politique culturelle, celle de l’État » ? Le jacobinisme culturel semble continuer à prospérer. Ce n’est en tout cas pas le point de vue d’Eva Joly, qui compte bien, si elle était élue, organiser en régions « des États généraux des droits culturels pour élaborer avec toutes les actrices et tous les acteurs, les politiques culturelles ».
Sensibilisation à l’art
Alors que la démocratisation culturelle, considérée par 62 % des Français comme une priorité (sondage BVA), est au cœur du discours des candidats, les propositions concrètes pour faire venir dans les musées les nouveaux publics, principalement les publics défavorisés, ont du mal à émerger. Le candidat Sarkozy souhaite capitaliser sur le succès du Centre Pompidou mobile et installer des « modules » du Centre en région parisienne, actant de la sorte l’abandon d’un musée du XXIe siècle qui figurait dans le « pacte républicain » de l’UMP. Tous les candidats font en fait reposer sur l’école la responsabilité de la sensibilisation à l’art. François Hollande en fait l’une de ses priorités, et propose un « plan national d’éducation artistique, piloté par une instance ministérielle, doté d’un budget propre » et… « rattaché au Premier ministre ». Une manière de surmonter l’embourbement des projets transversaux Éducation nationale-Culture. À Nantes, le candidat socialiste a ouvert la porte à un concours de recrutement spécifique pour l’enseignement de l’histoire de l’art. Par la voix d’Aurélie Filippetti, responsable du pôle culture, audiovisuel, médias de la campagne, il imagine aussi des résidences d’artistes dans les écoles. Nicolas Sarkozy veut reproduire dans les lycées l’effet d’entraînement sur l’enseignement de l’histoire de l’art dans le secondaire provoqué par une épreuve devenue obligatoire au brevet des collèges, ceci en introduisant une épreuve au bac. Seul Nicolas Dupont-Aignan se démarque en considérant qu’il convient d’abord que tous les enfants sachent lire et écrire avant d’introduire l’enseignement artistique.
Restent les deux « gros morceaux » de toute politique culturelle : le patrimoine et la création. Entretenir le patrimoine est la première priorité pour 70 % des Français. Aussi François Bayrou et Marine Le Pen en font-ils aussi une priorité de leur programme. Mais lorsqu’il s’agit de construire de nouveaux équipements, contrairement à Jean-Luc Mélenchon qui ne suggère « aucun grand projet en particulier ou alors plusieurs dizaines particulièrement en régions », les deux favoris des sondages considèrent qu’il faut d’abord achever ceux qui ont été lancés sous le quinquennat Sarkozy : le MuCEM à Marseille, le Louvre-Lens (Pas-de-Calais), la Philharmonie de Paris. Si Nicolas Sarkozy s’engage à mener à son terme le projet de la Maison de l’histoire de France, François Hollande ne veut pas prendre position alors que Jean-Luc Mélenchon s’y oppose fermement. Au-delà des déclarations d’intentions, la contrainte budgétaire pèse fortement sur une politique patrimoniale déterminée en grande partie par les budgets alloués. Il en est un peu autrement pour les arts plastiques où, d’une part, les sommes en jeu sont plus faibles (dans un rapport de 1 à 13 si l’on prend en compte le budget du ministère), et où, d’autre part, il est toujours possible de faire plus en imaginant des schémas nouveaux de production ou de diffusion. Côté production, Nicolas Sarkozy veut multiplier les résidences d’artistes dans les quartiers (à l’instar de la « tour Médicis » à Clichy-Montfermeil) et mettre en place l’équivalent du 1 % artistique pour les chantiers urbains du Grand Paris. Jean-Luc Mélenchon mise sur la quantité, affirmant que plus il y aura d’artistes plus il y aura de talents internationaux et esquisse l’idée d’une rémunération publique des artistes. Poursuivant sur cette piste, Jacques Cheminade envisage de verser des subventions à des coopératives d’artistes.
Le rapport Bethenod exhumé
Côté diffusion, c’est le levier commercial qui semble être privilégié avec l’exhumation du rapport Bethenod sur le marché de l’art. Nicolas Sarkozy veut plus spécifiquement relancer une des idées du rapport : le prêt bancaire sans intérêt pour l’achat d’une œuvre d’art. Ironiquement, inauguré quelques jours avant le premier tour, le nouveau Palais de Tokyo qui s’annonce comme un lieu majeur de diffusion de l’art actuel (avec 60 % d’artistes français) sera mis au crédit (dans l’esprit du public) du nouveau ministre. C’est tout le paradoxe, et la cruauté de la politique. Autre paradoxe, qui relativise le débat culturel : en 2007, seuls 16 % des Français faisaient confiance à Nicolas Sarkozy en matière culturelle, contre 30 % à Ségolène Royal, ce qui n’a pas empêché le premier de devenir président de la République. En 2012, ils sont à peine plus, 18 % à lui faire confiance, contre beaucoup plus, 40 % à François Hollande. Résultat le 6 mai à 20 heures.
Au moins les choses sont simples, tous les candidats, à l’exception naturellement de Nicolas Sarkozy sont opposés à la « riposte graduée » mise en place par la loi Hadopi. C’est un marqueur fort de la campagne, au point que le débat sur la culture s’est cristallisé autour de la liberté, ou non, des échanges entre particuliers de musiques ou de films. Mais alors comment rémunérer les auteurs, qui voient ainsi s’échapper une partie de leurs revenus ? Si la lutte contre les sites commerciaux de téléchargement ou de streaming fait consensus, le principe d’une licence globale fait aussi son chemin chez les opposants d’Hadopi. Les modalités de mise en œuvre sont plus floues. S’agira-t-il d’une taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ou d’une contribution spécifique payée par les internautes et transitant par les FAI ? Mais surtout, comment organiser la redistribution de ces recettes, évaluées entre 500 millions et 1 milliard d’euros auprès des ayants droit qui se comptent par milliers ? Avec la renégociation en 2013 du statut des intermittents du spectacle, la licence globale pourrait bien être un rude terrain d’affrontement si elle était mise en œuvre.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
De belles intentions, peu de mesures
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €La Tour Utrillo à Clichy-Montfermeil, destinée - Photo Cécilia Delporte
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°367 du 13 avril 2012, avec le titre suivant : De belles intentions, peu de mesures