Baromètre incontournable du marché, Art Basel replace l’art au centre de ses priorités. Un impératif pour cette foire commerciale coincée entre la Biennale de Venise et la Documenta de Casse.
Au mois de juin, les collectionneurs devront s’armer d’une énergie de marathonien pour effectuer le « Grand Tour » des festivités estivales autour de l’art contemporain, de Venise à Cassel. Ce faisceau d’événements devrait aiguiser les pulsions acheteuses à la Foire de Bâle. Mais le sentiment de « surreprésentation » ne risque-t-il pas de nuire à certains artistes, à l’instar de Daniel Buren, à l’affiche aussi bien à l’Arsenal à Venise, dans le cadre d’« Art Unlimited » à Bâle (lire p. III) via une installation produite par la Galleria Continua (San Gimignano, Pékin) et sur le stand de Kamel Mennour (Paris) ? « Il n’y a pas d’effet soporifique quand le travail est bon. Les gens qui savent que Buren est sur plusieurs manifestations trouvent cela plutôt normal », défend Lorenzo Fiaschi, codirecteur de Continua. D’autres soulignent que l’exposition de l’Arsenal, qui compte son lot de nouvelles installations produites par les galeries, et donc vendables, concurrence « Art Unlimited ». « Théoriquement, c’est une concurrence, mais en pratique, nous avons eu un record de demandes. “Art Unlimited” donne une visibilité au moins aussi bonne que l’Arsenal, assure Samuel Keller, directeur d’Art Basel. Toute cette constellation stimule le marché et pousse des visiteurs américains à venir en Europe à cette période. » D’ailleurs, la plupart des marchands capitalisent sur l’« effet Venise » en montant en épingle les artistes en charge de pavillons nationaux. La galerie Thaddaeus Ropac (Paris, Salzbourg) affiche ainsi des pièces de Richard Deacon, ordonnateur du pavillon gallois, tandis que Continua expose Nedko Solakov, présent aussi bien à la Biennale de Venise qu’à la Documenta, à Cassel. De son côté, la galerie Daniel Templon (Paris) compte sur la réussite du pavillon argentin conçu par Guillermo Kuitca pour céder l’ensemble de peintures de l’artiste qu’elle avait exposé en mai à Paris. Reste un couac dans ce périple de l’art contemporain, avec l’inauguration de la Documenta en plein milieu de la semaine bâloise. Les exposants d’Art Basel redoutent du coup un week-end plus calme qu’à l’accoutumée, une appréhension à relativiser car les œuvres majeures sont souvent prises d’assaut dès la première heure.
Peut-être sous l’influence conjuguée des trois expositions de Venise, Cassel et Münster (Skulptur Projekte Münster), la foire mise cette année davantage sur l’art que sur le marché. « La raison d’être d’une foire, c’est l’art. Et derrière l’art, il y a l’artiste », résume Samuel Keller. Pour remettre les créateurs au cœur du débat, le salon inaugure dans la section « Art Unlimited » un « Artist Lounge », lieu de rencontres avec ces derniers. Les artistes jouent même au curateur, ainsi Anselm Reyle a-t-il conçu le stand d’Almine Rech (Paris, Bruxelles). Une fois n’est pas coutume, le salon ne valorise pas que les totems du marché ou les jeunes pousses montantes, il accorde aussi une place aux artistes en milieu de carrière. Une inflexion visible sur « Art Unlimited » avec la présence d’œuvres récentes des artistes conceptuels des années 1970 comme David Lamelas ou Allen Ruppersberg. De son côté, Nelson-Freeman (Paris) présente une ligne continue de quatre-vingts toiles multicolores de Mel Bochner.
Ce recentrage n’est qu’un des aspects du brain-storming permanent auquel se livre Art Basel. Ainsi la foire a-t-elle repensé cette année à la fois le contenu et l’emplacement de la section « Art Premiere ». Après un lancement peu probant faute de règles précises, les organisateurs ont cette fois imposé un thème : le dialogue entre deux artistes. Celui-ci se fait entre générations chez Kamel Mennour avec un face-à-face surprenant entre Daniel Buren et Adel Abdessemed. Même parti pris chez gb agency (Paris) qui présente l’œuvre subtile et humaniste de Július Koller en vis-à-vis du travail sur la mémoire de Deimantas Narkevicius. Chez Jocelyn Wolff (Paris), des vêtements posés par Guillaume Leblon sur un muret, régulièrement humidifiés pour simuler la transpiration, traduisent un effacement du corps. Un corps qui se fait à l’inverse exagérément présent dans les poses maniéristes du duo Wolfgang Prinz et Michel Golham. Grégoire Maisonneuve (Paris) s’arc-boute quant à lui entre une vidéo de Kerry Tribe sur « Art Statements » et deux installations de Mathieu Briand sur « Art Unlimited ». Signe que son projet de présenter à Paris Briand sur toute l’année, audace plus digne d’un centre d’art que d’une galerie, a séduit le sévère comité de sélection de Bâle.
Bien que l’art contemporain éclipse l’art moderne par la flambée des prix (lire p. 29), ce secteur reste l’un des points forts de la foire. La Galerie 1900-2000 (Paris) y affiche un Couple de monstres de Francis Picabia et surtout une trentaine d’œuvres de Natalia Gontcharova, prélude à une grande exposition organisée en septembre à la galerie. De son côté, Hopkins-Custot (Paris) présente deux tableaux de Magritte, dont l’un déjà défloré à la foire de Maastricht.
Si l’art fait battre le pouls des collectionneurs, une autre question les tient en haleine : qui remplacera le charismatique Samuel Keller, lequel dirigera à partir de 2008 la Fondation Beyeler, à Riehen (Bâle) ? D’après nos informations, le comité devrait bientôt trancher entre un curateur et un critique d’art, tous deux suisses. Le nom de l’heureux élu devrait être annoncé pendant la Foire de Bâle ou au cours de l’été. Cette succession semble tellement délicate que certains parient sur un fauteuil pour deux, avec un directeur pour Bâle et un autre pour Miami. Le nom de Martin Schwander circule avec insistance. À suivre…
Seconde chance ? Les galeries retoquées de la Foire de Bâle peuvent quand même y apparaître de manière discrète. L’installation de Rafael Lozano-Hemmer, présentée cette année sur « Art Unlimited », est ainsi coproduite par OMR (Mexico) et Guy Bärtschi (Genève), lequel n’expose pas sur la foire. Buren acheté par la Messe Basel C’est une première ! La Messe Schweiz Basel, qui organise Art Basel, a acheté l’installation in situ de Daniel Buren que la Galleria Continua (San Gimignano) présentera sur « Art Unlimited » (ill. ci-dessus). « Cette pièce qui s’étend sur les quatre escalators du hall d’“Art Unlimited”? était tellement onéreuse à installer que nous leur avons proposé de l’acquérir », nous a confié Lorenzo Fiaschi, codirecteur de la galerie.
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Centre de gravité
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Abonnez-vous dès 1 €13-17 juin, halls 1 & 2, Messe Basel, www.artba sel.ch, tous les jours 11h-19h. - Directeur : Samuel Keller - Nombre d’exposants : 300 - Tarifs des stands : 482 francs suisses (290 euros) le mètre carré - Nombre de visiteurs en 2006 : 56 000
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°261 du 8 juin 2007, avec le titre suivant : Centre de gravité