La Cité de l’architecture évite soigneusement de porter un regard trop critique sur les mutations des villes chinoises. Et accueille une nouvelle génération d’architectes chinois prometteurs.
Sur le papier, l’idée était séduisante. Consacrer une grande exposition à l’urbanisme chinois, à la fois fascinant et révulsant, semblait opportun à l’occasion des Jeux olympiques de Pékin, dont les grands travaux ont été à l’origine d’un important remodelage de la capitale chinoise. Convoquer pour guider le propos un observateur avisé tel Frédéric Edelmann, critique d’architecture au Monde et arpenteur infatigable du pays depuis dix ans, et l’associer à une sinologue, Françoise Ged, responsable de l’Observatoire de l’architecture de la Chine contemporaine, était prometteur. Las ! D’un si vaste sujet, difficile à appréhender tant par son ampleur que par sa résonance politique, la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, a fait une exposition brouillonne. L’urbanisme, sujet complexe, n’a été qu’effleuré sous prétexte de s’adresser au grand public. L’ensemble est soigneusement aseptisé, plongé dans l’atmosphère nostalgique véhiculée par les belles images sépia prêtées par le Musée Albert-Kahn, à Boulogne-Billancourt. Cela en dépit de la profusion de films, réalisés par le Centre de culture contemporaine de Barcelone (CCCB, coproducteur de l’exposition), dont certains sous la houlette du cinéaste Jia Zhang-ke, Lion d’or à Venise en 2006.
Il y a pourtant de bonnes choses dans cette exposition. L’idée, d’abord, d’envisager la question sous un angle thématique puisant aux sources culturelles de l’empire du Milieu (écriture, rapport aux éléments naturels, feng shui). La volonté, ensuite, de brosser le portrait – à trop larges traits – de villes emblématiques de cette fulgurance urbaine. Ainsi de Suzhou (Jiangsu), l’ancienne « Venise de l’Orient » dont il ne reste plus que 5 % des premières constructions, mais dont la mémoire a été gravée au XIIIe siècle sur de grandes stèles ; de Xi’an (Shaanxi), lieu de découverte, en 1974, des armées de guerriers en terre cuite des Qin, cité paradoxalement détruite en dix ans après son classement au patrimoine mondial ; ou de la terrifiante Chongqing. Située dans la province du Sichuan, en Chine intérieure, cette conurbation au relief accidenté, que l’on peut parcourir grâce à un film tourné depuis le métro aérien, compte aujourd’hui près de 31 millions d’habitants. Elle devra bientôt absorber les populations déplacées par la construction du barrage des Trois-Gorges. Quant à Canton et sa zone économique spéciale de Shenzhen, dans la région du Guangdong, elles ne sont plus qu’une immense zone de production industrielle déversant ses produits dans le monde entier. Dans ce cadre, Shanghaï, où se tiendra l’Exposition universelle de 2010, fait presque figure de ville patrimoniale, avec son quartier Art déco tenant tête à l’arrogance du nouveau quartier d’affaires de Pudong, érigé en quelques années sur d’anciennes terres agricoles de la rive droite du Yangzi. 38 millions de mètres carrés de logements anciens y ont pourtant été détruits depuis 1990. Pékin, symbole de ce marasme urbain, est évoquée grâce à un plan-relief au 1/1 500, fabriqué en 1999 par le bureau de l’urbanisme. Présentant le centre-ville, il est déjà obsolète tant l’histoire s’est accélérée depuis 2001, date du choix de la capitale chinoise pour accueillir les J. O. « Les Jeux olympiques, telle une hormone de croissance, favorisent le développement urbain tout en accélérant ses pathologies », écrit à ce sujet Wang Jun, journaliste chinois et auteur d’un best-seller malheureusement non traduit en français, Chroniques de Pékin (2004). Le quartier historique de Qianmen, situé au sud-est de la place Tian’anmen, visible sur la maquette, a depuis été presque entièrement rasé, balayant les hutong – quartiers de ruelles – et leurs siheyuan, maisons organisées autour d’une cour, et provoquant l’exil des familles au-delà du 5e périphérique. Son classement récent en « zone à protéger » est trompeur : quelques reconstructions se feront en pastichant l’architecture traditionnelle.
Relève brillante
La maquette ne montre pas non plus les nouveaux symboles de la ville, tels l’Opéra, le stade et la tour de télévision, tous confiés à des agences d’architecture occidentales quitte à provoquer la polémique chez des Chinois qu’on pensait plus taiseux, comme en témoigne Wang Jun. Le second volet de l’exposition, consacré à la nouvelle génération d’architectes chinois, montre d’ailleurs que le pays peut se targuer d’une relève dont les réalisations séduiront les revues d’architecture. Sauront-ils se faire entendre dans le vacarme de l’immense chantier de la ville chinoise, magnifiquement résumé dans un montage vidéo, Symphonie des mutations, que les organisateurs de l’exposition ont étrangement relégué à l’entresol ?
- DANS LA VILLE CHINOISE. REGARDS SUR LES MUTATIONS D’UN EMPIRE, jusqu’au 19 septembre - POSITIONS. PORTRAITS D’UNE NOUVELLE GÉNÉRATION D’ARCHITECTES CHINOIS, jusqu’au 7 septembre, Cité de l’architecture et du patrimoine, Palais de Chaillot, 1, place du Trocadéro, 75116 Paris, tél. 01 58 51 52 00, www.citechaillot.fr. Catalogue, coéd. Cité de l’architecture et du patrimoine/CCCB/éd. Actar
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Brouillard chinois
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : Brouillard chinois