Bertrand du Vignaud

Président du World Monuments Fund Europe

Le Journal des Arts

Le 12 septembre 2003 - 943 mots

Sous-directeur de la Caisse nationale des monuments historiques de 1988 à 1991, puis président de Christie’s Monaco et vice-président de Christie’s France, Bertrand du Vignaud est depuis 1996 le président de la division française du World Monuments Fund (WMF, l’organisation privée la plus importante au monde en matière de sauvegarde du patrimoine architectural). Récemment nommé président du WMF pour l’ensemble de l’Europe, il commente l’actualité.

Dans le cadre du projet de loi sur la décentralisation, que pensez-vous de la possible cession par l’État de monuments historiques aux collectivités territoriales ?
Cette cession ne me semble pas constituer une révolution, mais simplement une nouvelle organisation administrative qui existe déjà en France pour certains monuments importants, et qui est très courante à l’étranger. Ainsi à Venise, le Palais des Doges et le palais royal-Musée Correr (à la restauration duquel le WMF participe) sont gérés par la Ville et non par l’État italien. Cependant, il me semble important que les corps spécialisés et hautement qualifiés de l’État (inspecteurs des Monuments historiques ou équivalents) conservent leurs compétences et continuent à intervenir.

L’accident récemment survenu au château de Chambord (le plancher d’une salle s’est effondré, entraînant la chute de plusieurs visiteurs) pose une nouvelle fois la question de l’entretien et de la gestion des monuments historiques. Les plus importants d’entre eux doivent-ils, selon vous, gérer eux-mêmes le revenu de leurs entrées ?
Les monuments historiques, même peu importants, dès qu’ils reçoivent du public, doivent être parfaitement entretenus et en mesure d’accueillir les visiteurs en toute sécurité, quel que soit leur mode de gestion. Il me paraît évident que, plus le gestionnaire est proche du monument, voire présent en permanence, plus la surveillance est accrue et donc le bâtiment entretenu, à l’image des monuments privés. Par ailleurs, les problèmes liés à la surfréquentation des sites sont à prendre en considération.

Vous êtes depuis peu le président du World Monuments Fund pour l’ensemble de l’Europe. Quels sont vos projets et objectifs ?
Basée à Paris, la division “Europe” du WMF est la première de ce type établie par l’organisation, dont le siège est aux États-Unis. Ce nouveau département coordonne les différents projets et représente la fondation au niveau européen. Mes objectifs sont doubles. Je voudrais tout d’abord essayer de dynamiser en Europe le mécénat en faveur de la restauration et de la sauvegarde du patrimoine architectural. Ce domaine suscite en effet jusqu’à présent peu la générosité des mécènes, ceux-ci préférant généralement soutenir des expositions, des spectacles ou faire des dons à des musées. Afin d’encourager les donateurs, le WMF, grâce notamment à Robert W. Wilson, son vice-président, a mis en place un système fortement incitatif : le “matching fund”, qui permet de doubler les sommes apportées par les mécènes non américains. Ce système original s’applique aux fonds privés et, dans une moindre mesure, aux fonds publics européens, mais la restauration des seuls monuments publics entre dans le champ d’action du WMF. Parmi nos partenaires figurent par exemple des fondations bancaires espagnoles et italiennes, de grandes fondations allemandes, des particuliers et des entreprises réparties dans l’ensemble de l’Europe.
Mon deuxième objectif est de participer à la sauvegarde de monuments de premier ordre, non seulement dans les pays qui en ont le plus besoin, comme l’ancienne Europe de l’Est, mais aussi en France, Espagne, Italie, ou au Portugal, où ces édifices ne constituent pas toujours une priorité pour les États qui en ont la charge. Par exemple, WMF supervise et finance – en totalité ou en partie –, en Russie, la restauration du Palais chinois d’Oranienbaum près de Saint-Pétersbourg, en République tchèque, avec les autorités locales, celle des châteaux de Lednice et Valtice et, en Albanie, avec Patrimoine sans frontières, celle des peintures murales des églises byzantines de Voskopoje. En France, nous allons restaurer le magnifique décor de boiseries du XVIIIe siècle de la sacristie de l’église Saint-Sulpice, à Paris ; en Italie viennent de s’achever les travaux de restauration de l’abside de la basilique de Sainte-Croix-de-Jérusalem à Rome... En outre, WMF Europe “adopte” des monuments importants et prend en charge leur restauration (théâtre de la Reine à Versailles, jardin du palais de Queluz à Lisbonne, église Saint-Georges dans le quartier de Bloomsbury à Londres...). Enfin, à travers le “World Monuments Watch”, liste bi-annuelle des 100 monuments les plus en danger dans le monde (la prochaine sera publiée à la fin du mois de septembre), nous essayons de sensibiliser les responsables, les médias et le public à la protection du patrimoine en péril. Cette action, financée par American Express, a permis, depuis son lancement en 1995, le déclenchement de nombreux processus de sauvegarde et de protection.

WMF est également présent en Irak. Quels types d’actions menez-vous dans ce pays ?
En Irak, WMF s’est mobilisé pour participer à des opérations d’inventaire et de sauvegarde du patrimoine local. En liaison avec l’Unesco et la Getty Conservation Institute, nous sommes en train d’élaborer un plan d’action qui comprend l’inventaire des sites archéologiques à travers trois moments de leur histoire récente – avant la guerre de 1991, au cours des années d’embargo et aujourd’hui.

Des expositions ont-elles récemment retenu votre attention ?
À Paris, j’ai, bien entendu, beaucoup aimé la rétrospective “Jean Fouquet” à la Bibliothèque nationale de France et celle des dessins de Léonard de Vinci présentée au Musée du Louvre. Des expositions à l’étranger ont également retenu mon attention, comme “Les marbres antiques” aux marchés de Trajan à Rome, cadre spectaculaire où étaient exposées les différentes sortes de marbres utilisés dans l’Antiquité romaine, et “L’architecture des théâtres baroques” à la Haus der Kunst de Munich. Prochainement, j’aimerais aller voir “Holbein” au Musée Mauritshuis de La Haye et l’exposition sur l’architecte Scamozzi qui vient d’ouvrir à Vicence.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°176 du 12 septembre 2003, avec le titre suivant : Bertrand du Vignaud

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