Le Musée du Louvre retrace l’histoire du masque en Europe de l’Antiquité à nos jours, de son usage religieux .
En 2008 est apparu un collectif d’activistes sur Internet, un mouvement international et protéiforme résolu à défendre les droits et libertés des utilisateurs du Web. Si son nom, « Anonymous », fait référence à la masse anonyme des personnes ne déclinant pas leur identité lorsqu’elles laissent des commentaires sur les sites participatifs, le collectif a un signe distinctif : un masque représentant le visage d’un homme au sourire narquois et à la fine moustache emprunté à V, justicier et terroriste anarchiste de la bande dessinée V for Vendetta. Ce personnage d’Alan Moore et David Lloyd porte un masque très populaire en Grande-Bretagne : celui de Guy Fawkes, comploteur britannique du XVIIe siècle condamné à mort pour avoir tenté de renverser le roi Jacques Ier. Aussi dérangeant que fascinant, ce masque utilisé par les « hacktivistes » est à triple emploi : il garantit l’anonymat de celui qui le porte, donne un air inquiétant à de simples geeks, et enfin fait ouvertement référence aux valeurs anarchistes de V ainsi qu’au passé terroriste de Fawkes. Ce signe de ralliement est une occurrence rare dans l’histoire occidentale récente, dans laquelle le port du masque tend à se raréfier. « La fascination qu’exerce le masque sur les esprits modernes semble aujourd’hui inversement proportionnelle à l’usage qu’en fait l’homme adulte en Occident : nous collectionnons les masques, nous les étudions, nous les photographions, nous en fabriquons, mais nous ne les portons que très rarement », soulignent Françoise Gaultier et Xavier Salmon dans le catalogue de « Masques, mascarades, mascarons », présentée au Musée du Louvre.
Duplicité du masque
La transparence et l’authenticité de l’émotion seraient-elles devenues les grandes valeurs du XXIe siècle ? L’exposition-dossier organisée conjointement par les départements des Arts graphiques et des Antiquités grecques, étrusques et romaines démontre que réduire le masque à un artifice de dissimulation équivaudrait à en nier les différents usages à travers les siècles. Ainsi, le masque dans l’Antiquité grecque permet « l’expression directe totale » d’un personnage derrière lequel l’acteur se fait oublier. À Rome, la distinction est faite entre l’acteur et son demi-masque, qui lui laisse la possibilité de la mimique. Plusieurs siècles plus tard, la commedia dell’arte renoue avec la tradition antique lorsque ses comédiens adoptent le nom des archétypes qu’ils incarnent. Le masque devient alors un élément de choix dans l’art élaboré du costume au sens large, dans les spectacles en France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Enfin, les fastes du carnaval autorisent des audaces qu’un visage découvert empêche. C’est de là que persiste, à ce jour, l’idée de duplicité du masque.
La démonstration aussi érudite que didactique remonte jusqu’au Ve siècle av. J.-C. dans la Grèce antique avec les usages religieux liés au culte théâtral de Dionysos sous la forme de masques en terre cuite portés par les acteurs et le chœur. Et intègre au XXe siècle les témoignages photographiques d’Eugène Atget.
Précis et d’une grande richesse sémantique, le parcours s’intéresse aussi à la figure de la Méduse pour ses vertus protectives – ornement sur les casques et rondaches ou mascarons sur les portes de l’ancien hôtel de Ville de Paris. Puisant largement dans les fonds du Louvre, l’exposition ouvre un champ de réflexion immense, car, comme le précise Jean Starobinski dans son introduction au catalogue : « La présence du masque, si fréquente, et dans de si nombreuses cultures […], atteste qu’il est, comme le langage articulé, l’une des manifestations révélatrices de la condition humaine. »
Commissaires : Dominique Cordellier, conservateur en chef au département des Arts graphiques ; Violaine Jeammet, conservatrice en chef au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines ; Françoise Viatte, conservatrice général honoraire du patrimoine, ancienne directrice du département des Arts graphiques, Musée du Louvre
Jusqu’au 22 septembre, Musée du Louvre, 75001 Paris, tél. 01 40 20 53 17, tlj sauf mardi 9h-17h30, 9h-21h30 les mercredi et vendredi, www.louvre.fr Catalogue, coéd. Musée du Louvre Éditions/Officina Libraria, 256 p., 32 €.
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Bas les masques !
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Abonnez-vous dès 1 €Fragment de couvercle de sarcophage : Dionysos et Ariane, fin du IIe siècle, marbre, musée du Louvre, Paris. © Musée du Louvre.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Bas les masques !