Chris Smith, le ministre de la Culture britannique, a couronné ses quatre années d’activité au gouvernement de Tony Blair en annonçant la généralisation de la gratuité dans les musées anglais. Il n’a d’ailleurs pas manqué de souligner cette victoire à travers un véritable manifeste qui semble annoncer le programme électoral à venir des travaillistes. L’occasion, quelques semaines avant les élections législatives anglaises, de dresser un bilan des actions de l’actuel gouvernement britannique dans le domaine de la culture.
LONDRES (de notre correspondant) - Le 19 mars dernier, Chris Smith a publié un texte ambitieux rédigé sur le thème suivant : “Culture et créativité : les dix prochaines années”, un plan à long terme pour le prochain mandat législatif. Précédé par une introduction du Premier ministre, Tony Blair, ce manifeste d’avant campagne offre une vision quelque peu “populiste” de la Grande-Bretagne, pays où la culture est présentée comme facilement accessible à tous et où les “creatives industries” prospèrent. Il lance l’idée d’une nation où les masses auront “la possibilité de s’amuser, la possibilité de participer, la possibilité de créer”. Après l’annonce, le mois dernier, de la généralisation de la gratuité dans les musées, Chris Smith a décidément le vent en poupe. Il est parvenu à obtenir du Trésor public non seulement un abattement fiscal qui permettra aux musées jusqu’alors payants de supprimer les droits d’entrée, mais aussi de récompenser les institutions qui avaient su résister à la tentation de faire payer leurs visiteurs. Tous les directeurs qui s’étaient plaints des difficultés financières et de l’ingérence des fonctionnaires, ont chanté les louanges du ministre de la Culture. Épidémie de fièvre aphteuse oblige, la date des élections législatives anglaises a été fixée tardivement, et elle se tiendra le 7 juin. Sauf retournement radical de l’opinion publique, les travaillistes pourraient retrouver une majorité confortable et Chris Smith être reconduit : il a accompli sa tâche avec raison. Cependant il n’est pas question pour l’instant de lui confier un ministère plus important.
Le mois dernier, un événement imprévu est pourtant venu ébranler ce pronostic sans faille : plusieurs signes ont indiqué que le ministère de la Culture, des Médias et des Sports (DCMS) pourrait être supprimé. Le 10 Downing Street aurait l’intention de dissocier ses responsabilités : l’art, la Loterie nationale et les sports seraient confiés au ministère de l’Éducation et de l’Emploi, tandis que les “creatives industries” et les médias seraient à la charge du ministère du Commerce et de l’Industrie. Cette rumeur a été démentie par le gouvernement, mais elle continue d’inquiéter le monde de l’art. Une telle mesure ferait de la Grande-Bretagne le seul pays d’Europe sans ministre de la Culture ! La polémique et les échéances électorales sont en tout cas l’occasion de dresser le bilan des quatre dernières années d’un ministère qui a changé de nom à l’arrivée de Chris Smith, abandonnant le Patrimoine national au profit de la Culture, des Médias et des Sports. Un passage symbolique du “patrimoine”, associé au passé, à la “culture” qui prend en compte le présent.
De patrimoine à culture
Mais le véritable changement institutionnel concerne l’intégration de la commission des musées et des galeries, et de la commission des bibliothèques et de l’information, dans Resource, le Conseil des musées, des archives et des bibliothèques, officiellement en place depuis avril 2000. L’efficacité de cet organe de conseil du gouvernement reste d’ailleurs encore à prouver.
Le subtil glissement sémantique du “patrimoine” à la “culture” reflète toutefois le désintérêt notable du DCMS pour les témoignages du passé. Cette désaffection a entraîné une réduction importante des subventions accordées à l’English Heritage. L’organisation semble pourtant réussir à accomplir ses missions, et sa stratégie a été présentée en décembre dernier dans un rapport intitulé “Power of Place”. Une réponse détaillée du ministère à ce sujet est attendue avant la fin du mois de juin.
Autres mal-aimés de l’administration de Cockspur Street, les musées régionaux ne reçoivent aucune subvention de l’État. Ils ne dépendent pas directement du DCMS, et sont gérés par les autorités locales, les universités ou des organismes indépendants. Nombre de ces musées doivent faire face à de sérieux problèmes financiers entraînés par de sévères coupes budgétaires. Une première campagne de soutien a été lancée avec la création d’un plan d’aide spécifique à ces musées, initiative du gouvernement conservateur qui n’est entrée en vigueur qu’après l’arrivée au pouvoir des travaillistes. Ce plan concerne à présent soixante-deux musées, et a permis de récolter des fonds supplémentaires pour les collections d’intérêt national. En novembre dernier, une commission spéciale a été réunie pour conseiller le ministère dans sa politique d’aide aux musées régionaux. Mais si l’on en croit les plaintes de ces derniers et des institutions artistiques subventionnées par le DCMS, ces établissements peuvent se féliciter d’avoir échappé à une attention trop soutenue. Les cas d’ingérence du ministère semblent en effet s’être multipliés, notamment au British Museum et au Victoria & Albert Museum, à travers des propositions de modification du fonctionnement du conseil d’administration des musées, sans même parler des indicateurs d’activité inutilisables que le gouvernement avait mis sur pied.
Le contrôle que le ministère entend exercer sur ces établissements peut toutefois se justifier vu les sommes croissantes qu’il engage. Les dépenses du DCMS devraient en effet passer de 883 millions de livres en 1997-1998 à 1,074 milliard de livres en 2001-2002, soit une augmentation de 22 % (l’inflation s’élève à 2 % par an environ). Si envié des Français, le système de Loterie pour les arts participe évidemment de cette hausse. Son idée a été lancée en 1994 par les conservateurs, mais ce n’est que sous le gouvernement travailliste que plusieurs grands projets sont arrivés à terme. L’année du millénaire a ainsi vu l’avènement de deux de ses plus grands succès : la Tate Modern et la Great Court du British Museum. Le Parti travailliste est cependant à l’origine du New Opportunities Fund. Enfin, un désintéressement progressif envers les projets de grande envergure au profit de petites structures plus localisées rend difficile l’acquisition d’œuvres ou la rénovation et la subvention pour les bâtiments.
Bénéficiaire de la Loterie et principal organisme de financement des arts, l’Arts Council a connu, sous la présidence de Gerry Robinson, une augmentation significative de ses subventions versées par le DCMS. En effet, les chiffres sont passés de 186 millions de livres en 1997-1998 à 250 millions de livres prévus pour 2001-2002. La musique, le théâtre et la danse se partagent une large part de la somme, tandis que les arts visuels, et en particulier l’art contemporain, sont bien moins lotis. Si l’Arts Council semble avoir honorablement accompli sa tâche, il pâtit toujours d’un budget de fonctionnement très élevé.
Le Dôme, les spoliations et autres petites complications
La question des œuvres d’art spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale a aussi été un sujet important au cours de ces dernières années. Les musées nationaux ont été les premiers à contrôler leurs collections afin d’isoler les œuvres d’art dont la provenance serait douteuse pour la période 1933-1945. Le DCMS a créé, en février 2000, une commission d’enquête pour les œuvres d’art spoliées. Son expertise, rendue en janvier dernier, a été prise en compte à l’occasion de la première plainte déposée, puisque des dommages et intérêts ont été accordés aux plaignants pour une œuvre conservée à la Tate. Une commission a également été créée pour un autre sujet sensible : le commerce illicite des œuvres d’art et des antiquités. Le mois dernier, le DCMS a suivi l’une de ses principales recommandations : l’adhésion de la Grande-Bretagne à la convention de l’Unesco de 1970. Le conseil consultatif souhaiterait que ce premier pas soit suivi de la ratification par la Grande-Bretagne de la convention Unidroit. Les professionnels du marché de l’art, déjà en lutte contre l’harmonisation européenne de la TVA sur les importations d’œuvres d’art et le droit de suite, jugent cette mesure mal venue.
Cependant, l’échec le plus spectaculaire des travaillistes reste celui du Dôme. D’un coût d’un peu plus de 8 milliards de francs, il n’a accueilli guère plus de la moitié des 12 millions de visiteurs attendus. Le DCMS a toutefois réussi à ne pas trop être impliqué dans le désastre, arguant que le projet avait été en grande partie financé par la Millennium Commission, organe de la Loterie. Toutefois, lord Falconer, responsable du Dôme, est membre du Conseil des ministres...
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Au Royaume-Uni, la Culture en Labour
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°125 du 13 avril 2001, avec le titre suivant : Au Royaume-Uni, la Culture en Labour