Elle sourit, attend poliment qu’on la questionne près de la porte de son appartement-ateliers de Malakoff où elle a déposé ses valises et ses aiguilles à tricoter au début des années 1980.
Fidèle et enracinée, elle est restée vivre ici. Il y a chez cette femme un mélange séduisant de distance et de timidité. De discrétion aussi. Et de douceur, beaucoup de douceur que tout, chez elle, exprime : sa voix, ses gestes, sa façon de vous précéder pour vous conduire à son atelier… D’ailleurs, Annette Messager ne marche pas, elle vole, et vous avec.
« Il faut savoir se préserver »
Direction le premier atelier, le plus petit, où l’artiste se replie pour dessiner. Partout, des œuvres en devenir se reposent à l’abri des regards. « Il faut savoir prendre le temps d’arrêter une œuvre, ne pas l’exposer tout de suite », confie-t-elle avant d’avouer avoir besoin de « circuler, toucher, manipuler » et de vivre au milieu de son travail. Au sol sommeille La Petite Série noire, une nouvelle installation composée d’objets fabriqués recouverts d’un voile. Annette Messager en fait le tour, branche un ventilateur qui extirpe l’œuvre de sa torpeur et fait s’engouffrer l’air sous le tissu, comme une houle. Une marée noire miniature s’agite alors sous nos yeux qui semble rejeter d’étranges petits cônes : « C’est vrai, il y a beaucoup de cônes. Je ne saurais pas expliquer pourquoi… »
À cet instant, Annette Messager n’a rien cédé de sa réserve. « Il faut savoir se préserver, dit-elle. Mais n’imaginez pas que c’est un signe de modestie de ma part, c’est tout le contraire. » De toute façon, « il faut être drôlement prétentieux pour être artiste ». Difficile ainsi de réaliser que ce petit bout de femme, d’apparence si fragile mais « au regard grave » (Anne Tronche), est l’une des grandes dames de l’art qui parcourt le monde d’expositions en rétrospectives. Tokyo, Séoul, Espoo (Finlande), Londres, Moscou, Varsovie, Mexico l’ont accueillie depuis sa rétrospective au Centre Pompidou en 2007.
De retour de New York, où elle a exposé cet été ses Continents noirs chez sa galeriste Marian Goodman, elle peaufine les derniers réglages de sa prochaine exposition qui ouvrira ses portes dans quelques jours au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. Rien n’est laissé au hasard. « La lumière et les pièces électromécaniques demandent beaucoup de préparation en amont. » Surtout quand il s’agit de prévenir les sautes d’humeur d’un électricien mexicain, « c’était un vrai râleur ».
« Rien n’est jamais gagné »
En route pour le second atelier, le plus grand. Sur le chemin, nous croisons des peluches qui attendent leur tour qui ne viendra peut-être plus. Nouvelle installation composée d’objets et de cônes. Mais cette fois, en son centre, une mappemonde se gonfle et se dégonfle au rythme d’une respiration artificielle. Sans titre, mais un nouveau continent où, décidément, le noir domine.
« La femme, ce continent noir », disait Freud. La femme, justement, a-t-elle toujours toute sa place chez celle qui, depuis les années 1970, fait d’un personnage appelé Annette Messager une œuvre, avant même d’en faire une vie ? « Bien sûr, rien n’est jamais gagné. Regardez Cécile Duflot dont la robe déclenche aujourd’hui l’hilarité des députés. On rêve ! »« Vous permettez ? », demande le photographe. « Faites comme si je n’étais pas là », répond l’artiste. Le temps pour nous de percevoir dans un coin une reproduction peinte en noir de L’Homme qui marche : « J’aime beaucoup Giacometti. » Dans un autre, un lit plutôt spartiate mais bien utile pour se reposer des séances de travail nocturnes, « lorsque le temps vous appartient ». D’une pile de bouquins émergent Walter Benjamin et Hervé Guibert ; sans doute dissimulent-ils un roman de Norman Spinrad, cet auteur américain de science-fiction à qui Annette Messager a confié le soin d’écrire un texte pour le livre qui accompagne l’expo de Strasbourg. Au fait, pourquoi être artiste ? « Parce que c’est le dernier endroit où vous êtes vraiment libre… »
MAMCS, Strasbourg, du 13 octobre 2012 au 3 février 2013, www.musees.strasbourg.eu
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Annette Messager - Ce continent libre
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Abonnez-vous dès 1 €1943 Naissance à Berck dans le Pas-de-Calais.
1971-1972 Après des études
à l’École des arts décoratifs de Paris, elle débute sa carrière avec Les Pensionnaires exposés à la Galerie Germain.
2005 Elle reçoit le Lion d’or à la Biennale de Venise.
2012 Prépare une nouvelle exposition en Australie.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°650 du 1 octobre 2012, avec le titre suivant : Annette Messager - Ce continent libre