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Littérature

Le monde, un regard que l’art vise à changer

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 23 mai 2022 - 435 mots

La poésie est des arts littéraires celui qui s’attarde le moins au récit. C’est aussi souvent un ravage qu’on la donne à récitation.

Elle se montre peu encline aux descriptions sourcilleuses et aux exactitudes, sauf lorsqu’elles visent en elles-mêmes un effet. Le chant du réel n’est que de loin son centre d’attraction, tant qu’il permet d’aller explorer le champ des perceptions. Car c’est avant tout un art de l’image, un art de la suggestion, et de sa mise en son. Avec une palette de mots, le poète imprime sur notre toile intérieure un univers en sensations. Ce ressenti travaille à changer notre manière de percevoir, d’apercevoir. C’est là tout le sens de l’idée d’évoluer, de grandir. Tout le sens de l’idée de créer, au sens des Grecs anciens. La poiêsis, en changeant la forme que prend le monde dans notre regard nous transforme. En changeant notre regard sur le monde, elle crée le monde d’après. La peinture est des arts visuels le plus physique et le plus organique. C’est un art de la situation. Il résulte d’un corps à corps avec la matière pour y projeter son image. Il implique un jeu de proximité et de distance, de positionnement, pour situer son regard, un jeu d’implication dans la chair de la toile pour en ressentir sa présence. Son propos est son essence. La peinture implique un déplacement, changer de position, changer d’angle, changer de corps, pour voir d’un autre œil, pour voir depuis l’œil d’un autre, et changer d’expérience, et changer d’existence, et changer d’être au monde. D’un art à un autre, plusieurs approches se télescopent. Il y a tout d’abord le rapport au vécu intérieur de l’artiste, qu’on peut tenter de dépeindre pour mettre en lumière et en mots son parcours, sa substance, son ego, comme le tente admirablement le poète Carles Diaz à propos du peintre C.A. Simon. Aussi le rapprochement en miroir, en écho, des deux modes mis côte à côte, et le jeu d’aller et retour d’une œuvre à une autre. Ce cheminement implique le choix d’un fil rouge, au moins implicite, comme on le retrouve dans Fleurs aimées, avec l’illustration de l’un par l’autre à niveau égal sous un angle de lecture commun. Encore, faire d’un tableau un poème, d’un poème un tableau. Faire passer la création de l’un au travers de la création de l’autre, comme le fait Giovanni Tesio dans 14 secondes. Et c’est ici, lorsque l’un donne à appréhender ce que l’autre donne à ressentir, que nous reconnaissons peut-être le mieux qu’un tableau peut parfois être à l’image d’un poème sourd ; un poème, un tableau aveugle.

« Fleurs aimées : entre peinture et poésie, »
Hazan, 192 p., 29,95€.
Carles Diaz, « L’Arbre face au monde. Vie et destin de Carl Alexander Simon, »
Poesis, 208 p., 18 €.
Giovanni Tesio (traduit par Perle Abbrugiati), « 14 secondes. L’Art réfléchi dans un sonnet, »
Presses universitaires de Provence, 2021, 21 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°755 du 1 juin 2022, avec le titre suivant : Le monde, un regard que l’art vise à changer

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