Justice - Restitutions

L’Italie gagne devant la CEDH contre le Getty

L’« Athlète de Fano », bronze grec découvert en 1964, fait « partie du patrimoine culturel italien », a tranché la Cour européenne des droits de l’homme, déboutant le J. Paul Getty Museum.

Jeunesse victorieuse - L'athlète de Fano victorieux - Lysippe
Détail de la statue intitulée par les américains Jeunesse victorieuse et attribuée au sculpteur grec Lysippe (v.-395-305)
Photo Wtin

Strasbourg. « L’Italie gagne contre le Getty », titrait en substance orgueilleusement la presse transalpine à l’annonce de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Celle-ci a arbitré en faveur de Rome dans le conflit qui l’oppose au célèbre musée de Los Angeles à propos de la propriété d’une statue grecque découverte il y a soixante ans. L’instance européenne confirme la décision de la Cour de cassation italienne qui exigeait en 2018 de « confisquer » la « Statue de la jeunesse victorieuse » achetée dans les années 1970 par le J. Paul Getty Museum, qui a toujours refusé de la restituer.

L’objet du litige porte sur la propriété d’un bronze datant du IVe siècle avant J.-C., attribué au sculpteur grec Lysippe (390-305 av. J.-C.). Il a été découvert par des pêcheurs en 1964 dans l’Adriatique, au large de Fano sur les rivages des Marches (région du centre-est de la Péninsule). Représentant un athlète nu pour certains, le prince macédonien Démétrios Ier Poliorcète pour d’autres, la statue est surnommée L’Athlète de Fano par les Italiens. Elle est rebaptisée Jeunesse victorieuse après sa traversée de l’Atlantique. Immédiatement et illicitement exportée dès sa découverte, elle change à plusieurs reprises de mains avant que l’État italien puisse exercer son droit de préemption. Elle finit par franchir le seuil du Getty en 1977. Jiri Frel, le conservateur du musée connu pour ses rapports avec le marché de l’art illégal, l’acquiert à l’époque pour près de 4 millions de dollars à des intermédiaires troubles.

Refus américain

La statue devient un symbole des deux côtés de l’océan. Pour l’Italie, celui du combat pour la restitution d’un patrimoine injustement dérobé. Pour le musée californien, celui de la défense de l’œuvre iconique de sa collection. « La statue ne fait pas partie de l’héritage culturel italien, et n’en a jamais fait partie. Sa découverte accidentelle n’en fait pas une œuvre italienne », n’a cessé de professer la Fondation Getty. Celle-ci saisit la CEDH en 2019 pour contester la décision de confiscation émise par les magistrats italiens.

La CEDH a donné raison à l’Italie, les juges estimant que « les autorités italiennes ont démontré de manière raisonnable que la statue faisait partie du patrimoine culturel italien ».« L’acquéreur d’un bien doit vérifier soigneusement l’origine de celui-ci pour éviter d’éventuelles mesures de confiscation », rappellent-ils. Or, « en achetant la statue en l’absence de toute preuve que sa provenance fût légitime et en parfaite connaissance des prétentions formulées par les autorités italiennes à son égard », la Fondation Getty a « méconnu les exigences légales, à tout le moins par négligence, ou peut-être par mauvaise foi ».

Le musée américain refuse catégoriquement de renvoyer l’œuvre en Italie. Les deux parties ont désormais trois mois pour se pourvoir devant la grande chambre de la Cour européenne. Si l’Italie obtenait de nouveau gain de cause, le ministère de la Justice devrait réclamer aux autorités américaines de faire respecter la décision. Les jugements de la Cour qui siège à Strasbourg sont contraignants pour les États européens mais pas pour les États-Unis. L’Italie devrait ainsi saisir un tribunal californien.

Cela n’empêche pas le ministre de la Culture italien, Gennaro Sangiuliano, d’exulter. « Depuis que je suis ministre, des centaines d’œuvres nous ont été restituées par les États-Unis, 750 par le Royaume-Uni, et nous sommes en discussion avec le Louvre pour qu’il nous renvoie des vestiges archéologiques volés. Nous réclamons en outre toujours le retour en Italie du Doryphore. » Acquise pour 2,5 millions de dollars il y a une quarantaine d’années, la statue romaine d’un guerrier armé d’une lance sculptée d’après le chef-d’œuvre classique de Polyclète est conservée au Minneapolis Institute of Art (Minnesota). En février 2022, la justice italienne émettait un décret de confiscation de l’antique statue romaine, la considérant comme le fruit d’un pillage et d’une sortie illégale du pays. « J’ai décidé que plus aucun prêt d’œuvres ne serait consenti au musée de Minneapolis et à tous ceux qui ont un contentieux avec l’Italie », rappelle Gennaro Sangiuliano.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : L’Italie gagne devant la CEDH contre le Getty

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