Qu'il se consacre à la réalisation de marqueterie en charcuterie, à la fabrication d'étrons ou au filmage d'extractions de comédons, l'art du Belge Wim Delvoye
se nourrit de provocations et de paradoxes. Sa dernière exposition
à la galerie Obadia, ensemble de vitraux réalisés à partir de radiographies,
est l'occasion de revenir sur cette œuvre atypique et triviale.
Gand, où transitèrent quelques-uns des plus prestigieux peintres flamands de la Renaissance dont Hugo Van der Goes ou Jan Van Eyck, abrite aujourd'hui Wim Delvoye, le plus iconoclaste des artistes belges contemporains. Son art explore les différents codes qui forgent notre société pour mieux les détourner en opérant les associations les plus antinomiques et dérangeantes. A la tradition et au savoir-faire, il oppose des objets manufacturés, à la culture savante la culture populaire, à la raison le délire. Son œuvre s'intéresse à des domaines négligés par l'art occidental du XXe siècle, comme la question du décoratif, de l'artisanal ou de la scatologie.
C'est toute l'absurdité des séries de bonbonnes de gaz peintes dans le style de la porcelaine de Delft (1989), des majestueux blasons exécutés sur des planches à repasser (1988-89), des buts de football élaborés en vitrail (1990-91), des alléchantes marqueteries faites de fines tranches de mortadelle, salami et jambon (1999). C'est aussi la grande époque de Micheline, Eddy, Marcel et Arlette, les quatre petits cochons à la couenne tatouée qu'il trimballe en guise d'installations vivantes dans des lieux voués à l'art contemporain. Cependant, ses œuvres ne sont jamais des ready-mades car elles subissent toujours de minutieux travestissements ou sont de pures créations décoratives. Ainsi, lorsqu'il présente à la Biennale de Venise de 1999, puis au Centre Pompidou, un camion-bétonneuse de sept tonnes entièrement réalisé en bois de teck (Cement Truck), celui-ci est-il abondamment orné par des sculpteurs d'Indonésie. La monumentalité le fait sourire, et c'est avec facétie qu'il imagine dans des photographies réalisées à l'ordinateur des parois rocheuses portant des messages surréalistes gigantesques tels que « Rôti froid dans le frigo de retour vers 10 H ».
Une autre préoccupation, et pas des moindres, habite ce Gantois de 36 ans. Il semble obsédé par tout ce qui sort de son corps, par ses tripes, par ses excréments. L'on connaissait en littérature les énumérations des personnages de Rabelais qui inventorient toutes les parties de leurs corps, parlant abondement de fondement (notamment Carême-prenant, l’ennemi de Pantagruel, qui parle « du trou du cul comme un miroir »). On avait noté la fréquence des scènes de lavements chez Molière, sans oublier la célèbre Pompe à merde d'Ubu roi d'Alfred Jarry. L'art aussi a connu des périodes
« fécales » avec les boîtes de conserves de Manzoni (Merde d’artiste, 1961), les peintures d’excréments de Jacques Lizène, ou les grands panneaux de Gilbert & Georges dans lesquels les deux artistes britanniques se représentent en train de déféquer. Mais une machine qui fabrique de la merde, ça non, on n'avait jamais vu ! Pour une exposition au Mukha d'Anvers, ce provocateur patenté s'est en effet consacré à la fabrication d'étrons, à l'aide d’une machine sophistiquée qui reconstitue méticuleusement tous les mécanismes de la digestion jusqu'au résultat final que l'on sait. Nourrie copieusement chaque jour, Cloaca (2000), commise par des scientifiques, ingénieurs, biologistes, livre une précieuse déjection qui recueillie dans un bocal est destinée à être vendue aux collectionneurs du monde entier. Déjà en 1990, juché sur une chaise percée, il s'évertuait à réaliser un étron exemplaire et accomplissant son exploit faisait venir un photographe de mode afin de fixer le motif destiné à être reproduit sur un carrelage en faïence présenté à la Documenta IX de Cassel (Mosaic). Plus tard, c'est une vidéo qui immortalise en très gros plans des extractions de comédons à la surface de l'épiderme sur fond sonore (Landscape, 2000), alors que sur du papier à lettre une empreinte d'anus au rouge à lèvres semble envoyer le plus doux des baisers (sans titre, 2000). Art scatologique, art de l'abject, l'artiste flirte avec le mauvais goût sans dessiller, emporté dans le tourbillon de sa nouvelle entreprise : des vitraux réalisés par le plus important maître verrier de Gand à partir d'images du corps humain prises au rayon X. Les squelettes entrent en scène... de quoi faire encore grincer bien des dents !
- PARIS, galerie Nathalie Obadia, 5, rue du Grenier Saint-Lazare, tél. 01 42 74 67 68, 19 janvier-2 mars et NEW YORK, New Museum of contemporary art, 583 Broadway, tél. 212 219 12 22, 25 janvier-14 avril.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Wim Delvoye
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°533 du 1 février 2002, avec le titre suivant : Wim Delvoye