Une histoire des images

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 2 octobre 2017 - 761 mots

Rebondissant sur l’actualité muséale, les éditions Solar publient une vaste « Histoire des images », signée David Hockney et Martin Gayford. Ambitieux, l’ouvrage alterne poncifs et fulgurances, entre lieux communs et chemins de traverse.

La vaste rétrospective que le Centre Pompidou consacre à l’artiste britannique David Hockney ouvre des occasions et des opportunités. Certains les manquent, d’autres les saisissent, d’autres encore, parfois les mêmes, les ratent. Si la manne est abondante et que la récolte promet fertilité, rares sont les projets à ne pas rencontrer la déception.

Les éditions Solar, confidentielles dans le domaine de l’histoire de l’art, ont fait le pari de la nouveauté et de l’audace. Renonçant à la énième biographie, au catalogue raisonné cyclopéen, au petit compendium à l’usage des néophytes et à l’élégant portfolio, elles publient une courageuse Histoire des images qui, sous la forme d’un dialogue entre David Hockney et Martin Gayford, critique d’art pour The Spectator, envisage de répondre à la question limpidement programmatique qui peuple la quatrième de couverture : « Comment représenter un monde en trois dimensions sur une surface en deux dimensions ? »

Orthodoxe

Le présent ouvrage est la traduction française d’un livre paru l’année passée, chez Thames & Hudson, sous le titre A History of Pictures. Relié, de format moyen (22,5 x 28,6 cm), il dispose d’une jaquette bigarrée, composée à l’iPad par David Hockney, sur laquelle figurent le titre, l’identité des auteurs et des œuvres iconiques de la création, signées Michel-Ange et Van Eyck, ainsi qu’un portrait de Marlene Dietrich, manière astucieuse, quoique cacophonique, de signifier d’emblée l’ambition syncrétique du projet. Les rabats accueillent, d’un côté, une note d’intention explicitant les enjeux d’un ouvrage censé « enrichi[r] notre réflexion sur la représentation de la réalité » et, de l’autre, la courte biographie de chaque auteur.

À la préface et à l’introduction, intitulée « Les images, l’art et l’histoire », succèdent dix-huit chapitres tout à la fois chronologiques et thématiques (« Tracer des traits », « Miroirs et reflets », « La vérité et la beauté à l’âge de raison » ou encore « La photographie, la vérité et la peinture ») puis un appareil de notes, une bibliographie, une liste des illustrations et un index. Limpide et orthodoxe.

Original

Cette épaisse publication est conçue sous la forme d’un dialogue, ou plus exactement d’interventions croisées entre les deux auteurs. En effet, il s’agit moins d’une dispute, au sens ancien du terme, que de remarques alternées, indifférentes aux transitions et aux rebonds qui ressortissent à l’entretien. Efficace, la traduction de Pierre Saint-Jean parvient toutefois à maintenir l’illusion de l’oralité et de la fluidité.

Quand Martin Gayford multiplie les assertions historiques afin d’enraciner le propos, sans toutefois éviter les lieux communs ni les tautologies (« Le défi que doivent éternellement relever les artistes narratifs consiste à raconter une histoire se déployant dans le temps dans une image fixe, immobile »), David Hockney fait montre de plus de liberté de ton et d’esprit, ose des rapprochements hardis, confronte ici le regard magnétique d’Ingrid Bergman dans Casablanca (1942) à celui de Madeleine pénitente (ca. 1560) du Titien, compare là « l’atelier de Van Eyck [aux] studios de la MGM ». Au premier le conformisme, au second l’originalité.

Généreuses, bien que de qualité inégale (ainsi le Jonas de Michel-Ange, parfaitement flou), les illustrations permettent de donner corps aux interventions des auteurs et scandent subtilement une plongée vertigineuse qui, tandis qu’elle convoque les Beatles, Vermeer, Fritz Lang ou Peter Doig, exempte la sculpture de tout pouvoir imager. Curieux.

Inégal

Les images. Peut-être est-ce là que le bât blesse. L’investigation ne semble pas à la hauteur de la promesse, née d’un constat pourtant passionnant : « L’histoire des images et l’histoire de l’art se chevauchent, mais ne sont pas identiques. » Qu’en est-il du hiatus entre le réel et sa (re)présentation ? Qu’en est-il de cet écart fondamental, à l’heure de la sursaturation des signes et des images ? Fort de son œil éprouvé, Hockney n’est jamais meilleur que lorsqu’il explore les révolutions techniques – naissance de la photographie, usage de la lentille optique – et leurs incidences sur Vermeer, Picasso ou Caravage –, celles qu’il avait déjà abordées dans son opus Savoirs secrets (2001).

Tandis que certaines allégations de Martin Gayford eussent laissé perplexes Lacan ou Dubuffet (« Toutes les images – à l’exception, peut-être, des œuvres exécutées par les fous ou les reclus – s’adressent à un public »), on consultera donc ce livre pour les fulgurances d’Hockney en tant qu’elles dessinent une histoire optique des arts et, symétriquement, éclairent sur sa propre création, hantée par ces questions rétiniennes qui, des grottes aux écrans d’ordinateur, ont obsédé les hommes en quête d’images. Et lui, plus que tant d’autres.

 

David Hockney, Martin Gayford, Une histoire des images,
traduction de Pierre Saint-Jean, éditions Solar, 360 p., 39 €.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°705 du 1 octobre 2017, avec le titre suivant : Une histoire des images

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