Musées, architectures ou commandes publiques font du Limousin une région résolument tournée vers l'art contemporain. Des prémices du XXe siècle avec Raoul Haussmann et Pierre Chabrol jusqu'aux tendances les plus avant-gardistes avec Élisabeth Ballet ou Braco Dimitrijevic, pour la sculpture, Aldo Rossi ou Massimiliano Fuksas, pour l’architecture.
En tout et pour tout, et toutes époques confondues, le Limousin compte une dizaine de musées. Seul celui de Rochechouart est exclusivement consacré à l’art contemporain. Créé de toutes pièces en 1984 par le département de la Haute-Vienne, il a été installé dans les magnifiques bâtiments d’un château du XVe siècle qui dresse sa masse fortifiée sur un promontoire rocheux au confluent de la Graine et de la Vayre. Nanti de douves, d’un petit pont-levis, d’un donjon, d’une galerie extérieure aux colonnes torses, de deux grandes salles décorées à fresques et d’un immense grenier à la nef charpentée, Rochechouart demeure l’une des plus heureuses confrontations qui soient entre patrimoine ancien et art vivant : les commandes publiques de Giuseppe Penone sur la terrasse et de Richard Long dans l’une des salles peintes en sont une parfaite illustration. Conçu et mis en œuvre par Guy Tosatto, aujourd’hui directeur du Carré d’art à Nîmes, dirigé par Jean-Marc Prévost depuis 1992, le musée de Rochechouart est doté d’une collection de tout premier plan. Elle est pour l’essentiel constituée d’ensembles d’œuvres qui témoignent très justement de l’évolution des formes depuis une trentaine d’années. On y trouve notamment des artistes de l’Arte povera (Fabro, Kounellis, Anselmo), de l’école allemande (Richter, Schütte), de la sculpture anglaise (Cragg, Deacon) mais aussi d’une génération plus jeune (Orozco, Bustamante, Küntzel, Lafont...). Pour la plupart, ce sont d’ailleurs ces artistes qui ont fait le programme d’expositions temporaires au fil du temps, soit sur le mode monographique, soit dans le contexte de propos thématiques.
Depuis bientôt quinze ans que le musée est ouvert au public, collection et programmation n’ont jamais pu être présentées ensemble faute d’espaces disponibles. Cela est d’autant plus regrettable qu’il détient par ailleurs un fonds Raoul Hausmann, reçu en donation de la veuve de l’artiste, et qu’un centre au nom de ce dernier a été créé à l’instar de celui de Berlin. Face à cette situation, le département a donc décidé d’agrandir le musée en opérant le déménagement de certains des autres usagers du château comme le Tribunal de justice et le musée archéologique. Le réaménagement des locaux, confié à l’architecte Jean-François Bodin, devrait ainsi permettre au musée de Rochechouart de disposer à l’horizon 2000 d’espaces suffisants pour faire tourner sa collection, consacrer un lieu propre au fonds Hausmann et développer tout à la fois sa programmation et son action éducative.
Fondé en 1845, le musée de Limoges a pris le nom de l’un de ses bienfaiteurs, Adrien Dubouché, en devenant national en 1881. Exclusivement destiné aux arts du feu, il contribue à la défense et à l’illustration de techniques – poterie, faïence, porcelaine, grès – qui ont fondé de longue date la culture d’une ville et d’une région et qui connaissent depuis quelque temps un certain regain d’intérêt. En quête d’expériences toujours nouvelles, les artistes contemporains sont en effet de plus en plus nombreux à y revenir. Les collections du musée qui offrent l’occasion d’une promenade historique dans l’univers des arts décoratifs, au sens le plus large du terme, des temps reculés de la Renaissance à nos jours, comptent toutes sortes de pièces étonnantes. Versant modernité, le Musée Adrien Dubouché vient de faire l’acquisition d’un extraordinaire vase conçu tout spécialement pour le Pavillon de la VIIe région économique (Limousin) à l’exposition des Arts décoratifs de Paris en 1925. Véritable tournant dans l’art de la porcelaine de Limoges, ce vase haut d’une soixantaine de centimètres a été dessiné par l’architecte limougeaud Pierre Chabrol (1881-1967) et peint par René Crevel de figures de danseuses blanches et de musiciennes noires dans l’esprit de la célèbre Revue Nègre de Joséphine Baker. Sur le versant d’un art pleinement contemporain, le Musée Adrien Dubouché présente toutes sortes de pièces qui ne manquent pas d’intérêt : un jeu d’échecs de Jean-Jacques Prolongeau, un service à thé en forme d’accumulation signé Arman, un service à café aux formes géométriques de Waël Beydoun, un autre très minimal dessiné par Roger Talon, des plats aux empreintes digitales de César. Certaines de ces œuvres ne sont pas inscrites à l’inventaire de ses collections mais font partie de celles du Fonds régional d’Art contemporain.
Viaducs, gares et villas
En matière de patrimoine architectural, le Limousin n’a pas attendu le phénomène de la décentralisation tel qu’il s’est développé au cours de ces quinze dernières années pour entrer en modernité. On relève ici et là à travers la région un certain nombre d’édifices, aujourd’hui protégés, qui témoignent d’une évidente attention aux formes et aux technologies nouvelles. Tantôt publiques, tantôt privées, de plus ou moins grande importance, ces constructions sont toutes soucieuses de faire signe et de marquer leur époque. Ainsi, en Corrèze, à cheval sur les communes de Lapleau et de Soursac, le viaduc des Rochers-Noirs, construit de 1911 à 1913, est constitué d’une superbe travée unique de 140 mètres qui franchit la vallée de la Luzège. Ainsi, à Limoges, la Gare des Bénédictins, construite de 1925 à 1929 par Gonthier et Julien, est célèbre pour son campanile haut de plus de soixante mètres, son ample dôme en caissons façon Panthéon romain et sa façade ornée de figures évoquant les activités industrielles de la ville. Ainsi, encore à Limoges et du même Gonthier, le Pavillon du Verdurier qui sert de lieu municipal d’exposition, fut construit en béton armé en 1919 sur un plan octogonal et se trouve orné d’un intéressant décor de mosaïque et de grès cérame. Enfin, à Saint-Martin-Terressus, à un quart d’heure de Limoges, la villa La Texonière, construite entre 1931 et 1934 par Pierre Chabrol, caractéristique de l’architecture moderniste, est implantée dans un site exceptionnel sur les monts d’Ambazac et dans un parc paysager planté d’essences rares.
Sur le plan contemporain, ce goût pour la modernité trouve notamment à s’exprimer dans un ensemble de bâtiments construits au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, parfois des plus audacieux. À tout seigneur, tout honneur : il revient au Centre d’Art de Vassivière d’avoir osé l’un des gestes architecturaux les plus avancés qui soient en invitant l’architecte italien Aldo Rossi à concevoir un bâtiment surprenant. Cliché privilégié de la caméra héliportée du Tour de France qui trouve à Vassivière les raisons d’une étape contre la montre sans pareille, le Centre d’Art que l’architecte italien, associé au clermontois Xavier Fabre, y a imaginé est une vraie réussite en matière d’inscription dans le paysage. Constitué tout à la fois d’une galerie toute en longueur et d’une tour tronconique, indépendantes l’une de l’autre, l’ensemble gagne son unité dans la tension qui existe entre les deux éléments qui le composent. L’une, aux allures d’une nef en partance, épouse la prairie en direction du lac ; l’autre, dressée à la lisière de la forêt, présente l’aspect d’un phare qui la retient. Construit en granit et brique, implanté au centre et au sommet de l’île, le bâtiment de Rossi fait signe de toutes parts. Il offre l’occasion tant aux artistes de bénéficier d’un lieu privilégié de création qu’aux visiteurs de profiter d’un belvédère unique en son genre.
Architectures d’avant-garde
Capitale régionale, Limoges jouit pour sa part d’un certain nombre de constructions récentes qui ne manquent ni de panache, ni d’originalité. Inaugurée le 12 septembre dernier, riche d’un fonds de quelque 450 000 documents, tous supports confondus, la toute nouvelle BFM (Bibliothèque francophone multimédia) compte parmi les plus réussies. Œuvre de l’architecte Pierre Riboulet, elle présente tous les avantages d’un bâtiment fonctionnel et convivial, largement ouvert sur l’extérieur, fait de matériaux simples et nobles, constitué d’espaces dépouillés. Riboulet a dit avoir cherché à traduire « le double caractère du livre, à la fois repli sur soi et ouverture au monde ». Ce qui frappe est tant l’ampleur de son bâtiment que ce qu’il offre de possibilité à l’isolement, tout particulièrement le jardin d’hiver, semblable à une serre, où il fait bon lire. Dans le quartier Saint-Michel, la réalisation de l’Italien Massimiliano Fuksas, chargé de réorganiser sur le plan urbanistique un espace appelé à accueillir à terme le premier cycle de la faculté de Droit, n’est pas moins étonnant avec sa façade bulbée et ses petits amphithéâtres. Enfin l’ensemble qu’a imaginé et réalisé Jean Nouvel au Pôle de Lanaud, en collaboration avec Edouard Boucher, est absolument unique en son genre. À 15 kilomètres au sud de Limoges, c’est un véritable pool pour jeunes taureaux reproducteurs qui lui a été commandé. Comme une espèce d’école supérieure chargée de prendre en charge les sept cents meilleurs jeunes taureaux venus de toute la France et leur offrir les conditions d’une préparation la plus performante qui soit. L’ensemble est composé de deux bâtiments tout en longueur, à flanc de colline, qui s’étagent sur plusieurs niveaux et dont les lignes et les pentes anguleuses épousent la topographie du site. On distingue, d’une part, un bâtiment administratif qui rassemble tous les partenaires concernés, de l’autre, un amphithéâtre des ventes aux enchères et un pavillon d’accueil et de restauration. Tout entier conçu en baies vitrées et en bois Douglas, c’est une création exemplaire de l’utilisation d’un tel matériau. On y retrouve des éléments architecturaux chers à Jean Nouvel, comme une immense nef, des plateaux, des claires-voies et des écrans. S’il s’est agi pour lui « de se poser le plus délicatement possible sur le sol » et de « prendre le paysage d’une seule brassée », c’est que le site offre un magnifique panorama et qu’il imposait d’y prendre place de la façon la plus discrète qui soit.
Revenir à Limoges et aller à la découverte du bâtiment de l’École nationale des Arts décoratifs, construit par Finn Geipel et Nicolas Michelin en 1993-1994, c’est opérer un retour à la ville. Un retour très périphérique d’ailleurs puisque l’ENAD a été installée en périphérie de celle-ci. Un grand volume fait de béton, de verre et de fer, composé d’éléments abstraits, gris et neutres, qui se veulent avant tout fonctionnels. Une architecture économe et résistante.
De Claude Monet à Gilles Clément
En son temps, Claude Monet est venu planter son chevalet au confluent de la Petite et de la Grande Creuse, à proximité de Crozant, laissant une série de peintures puissantes. Par la suite, Armand Guillaumin et Francis Picabia ont eux aussi apprécié les charmes du Limousin. Le jardinier-paysagiste Gilles Clément, qui en est originaire, y puise l’essentiel de son inspiration. À Paris on connaît de lui son jardin sauvage du parc André-Citroën dans le XVe arrondissement où la nature peut pousser librement (L’Œil n°488). Gilles Clément revient sans cesse en Limousin parce qu’il aime y faire l’école buissonnière. À Crozant justement, La Vallée y est son lieu de prédilection, celui d’une enfance passée à apprendre tant les vaches, les herbes et les fleurs que les oiseaux et les insectes. « Un territoire de vie simple » qui rappelle le bonheur qu’avait Rousseau à herboriser sur l’île Saint-Pierre du lac de Bienne. Peut-être Gilles Clément se souvient-il être allé visiter, enfant, le jardin médiéval du château de Mainsat dans la Creuse. Restauré et transformé entre 1930 et 1950 par Marguerite Charageat, il est un de ces lieux protégés du Limousin qui mérite le détour.
Le jeu de piste des commandes publiques
À la façon des deux héroïnes du film que Pierre Coulibeuf a récemment réalisé, l’une des façons d’aller à la rencontre du patrimoine contemporain limousin est de se donner pour jeu d’y pister les différentes commandes publiques. On sait le formidable essor qu’a connu cette pratique depuis une quinzaine d’années en France. Le Limousin n’a pas manqué de répondre à toutes les sollicitations qui lui ont été faites en ce domaine. Si le parc de sculptures de Vassivière avec des pièces signées Vladimir Skoda, Dominique Bailly, Marylène Negro, Jean-Luc Vilmouth, David Nach, Anne-Marie Jugnet, Per Barclay, Marc Couturier ou Jean-Pierre Uhlen en est l’illustration majeure, on trouve ici et là différentes réalisations qui en témoignent. En Corrèze, la petite ville d’Ussel par exemple n’en recèle pas moins de trois à elle seule. Œuvres de Daniel Resal, Alexandre Gherban et Braco Dimitrijevic, elles ponctuent l’espace urbain, chacune sur un mode différent. Composée de l’assemblage abstrait de matériaux divers, celle de Resal joue du contraste dynamique des notions de masse et de fragilité. Enchâssée entre deux blocs de lave, la figure humaine de Gherban qui appartient à sa série des Solitudes et qui est une allégorie de la Nuit mystique, invite à la méditation. Constituée de six bustes en bronze posés sur des socles en marbre, l’œuvre de Braco Dimitrijevic mêle pour sa part les visages familiers de Michel-Ange, de Léonard et de Dürer à ceux de trois passants rencontrés par hasard selon cette façon propre à l’artiste de jouer de l’identité et de la mémoire. En matière de commande publique en Limousin, on pourrait encore citer les exemples de Peter Briggs à Saint-Victurnien, de Robert Jacobsen à Meymac et d’Elisabeth Ballet à Condat-sur-Vienne, où l’artiste a conçu pour le centre-ville une fontaine comme un paysage miniature. On ne saurait manquer de rappeler aussi ceux de Giuseppe Penone et de Richard Long à Rochechouart : deux superbes réalisations, l’une à l’extérieur, sur la terrasse du château, l’autre à l’intérieur, dans un recoin des combles ; ici un geste végétal célébrant l’osmose entre l’art et la nature, là une imposante sculpture faite de blocs de calcaire recueillis dans la région. Il faut enfin signaler que l’œuvre de Zorio, Canoa, qui avait été installée depuis 1987 sous la coupole de la gare des Bénédictins, ne retrouvera vraisemblablement pas sa place suite à l’incendie qui a touché la gare de Limoges il y a quelques mois.
Sorties des ateliers d’Aubusson
Le souhait du Ministère de favoriser le dialogue entre métiers d’art et artistes contemporains trouve par ailleurs en Limousin l’occasion de s’exprimer à travers cet autre medium qu’est la tapisserie. S’il n’est pas le lieu ici de rappeler la longue histoire des ateliers d’Aubusson-Felletin, il est important de dire leur activité contemporaine dont le Musée départemental de la Tapisserie, créé à Aubusson il y a dix-sept ans, s’applique à rendre compte régulièrement au sein de sa programmation. Au cours des dernières années, les ateliers d’Aubusson ont été amenés, par le biais de la commande publique, à réaliser un certain nombre de créations, parfois monumentales, qui signalent leur ouverture à l’art actuel et leurs capacités à répondre aux exigences des artistes. Pour le Pôle de Lanaud construit par Jean Nouvel, Didier Trenet a ainsi imaginé une très amusante tapisserie en forme d’Hommage au François Boucher où triomphe une superbe limousine vautrée sur de moelleux coussins dans un décor exotique et oriental. Pour la cathédrale de Tulle, Opalka a judicieusement repris en compte certains des éléments graphiques du vocabulaire formel qui était le sien du temps d’avant l’énumération des nombres entiers lorsqu’il faisait œuvre de graveur. Pour la Bibliothèque francophone multimédia, Rachid Koraïchi a fait exécuter une immense tapisserie bleue et or de 24 m2, savant mélange de calligraphies et de figures symboliques. Ce ne sont là que quelques exemples auxquels il faudrait ajouter les noms de Fabrice Hybert, Sylvain Dubuisson, John Armleder ou Philippe Mayaux pour mesurer à sa juste valeur la richesse et la diversité d’une telle production.
Vice-président du Conseil régional du Limousin, Daniel Nouaille est délégué à l'aménagement du territoire, à l'aménagement des pays et chargé de la politique d'accueil : « Depuis 1981, le Conseil régional du Limousin a mis en place une politique volontariste en matière d'art contemporain. Il a souhaité que le FRAC voit rapidement le jour et a soutenu la création du Fonds d'Art contemporain du Limousin (FACLIM) auquel adhèrent aujourd'hui cinquante-quatre communes des trois départements du Limousin. La création contemporaine est une façon de revaloriser les hommes, les matières et matériaux dont le granite et le bois, les industries... Au Centre d'Art de Vassivière viennent des artistes du monde entier ainsi que de nombreux directeurs d'autres centres d'art. Il est important que Vassivière devienne un centre de ressources afin que ce soit un élément fort pour convaincre les industriels de s'intéresser encore plus à la création et au design. »
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Une dynamique contemporaine
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Abonnez-vous dès 1 €Aménager harmonieusement le territoire, favoriser la création, diffuser la culture et faire accéder celle-ci au plus grand nombre, sont quelques-unes des priorités de la politique culturelle du Conseil régional du Limousin dont Bernadette Bourzai est la vice-présidente : « Dans le domaine de la recherche, de la création, en liaison avec l’industrie, nous disposons de structures comme le Centre de Recherche des Arts du Feu et de la Terre. Le FRAC, l’Artothèque et son réseau régional font également un excellent travail. Les deux Écoles nationales d'Art décoratif vont prochainement fusionner et nous avons été séduits par la qualité du projet présenté par Otto Teichert. De plus, cette perspective concerne notre souci d'aménager le territoire dans de bonnes conditions. Ainsi, dans ce projet de restructuration, les deux sites sont conservés. C'est important pour Aubusson dont le bassin d'emploi, dû en grande partie à la tapisserie, a besoin d'être revitalisé. Au-delà des commandes publiques, il faut redonner un second souffle à la tapisserie en innovant, en relançant la production.»
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°502 du 1 décembre 1998, avec le titre suivant : Une dynamique contemporaine