Trop de droits d’auteur nuit aux auteurs, tel est, en gros, le résultat de notre dossier-enquête confié à des journalistes et des juristes spécialisés.
Le droit d’auteur a été instauré pour permettre à celui-ci de contrôler l’usage qui est fait de son œuvre et pour lui permettre de profiter de plus-values éventuelles. Or les abus actuels de certains ayants droit nuisent gravement aux artistes et à la notion d’œuvre d’art elle-même.
Ceci est d’abord dû à la dérive « commerciale » de certaines successions qui n’hésitent pas à transformer un nom, une signature et même une image, en marque commerciale. Le plus célèbre cas est la succession Picasso qui n’a pas craint d’apposer la signature de l’artiste sur une voiture désormais baptisée Xsara Picasso, nom composite qui n’a pas fait long feu : « une Picasso beige dans dix minutes » annoncent sans rire les compagnies de taxis. Sur le net, des annonces au masculin jouent sur l’équivoque : « Votre Picasso moins cher » ou encore « Un Picasso d’occasion ? » « Un Picasso, une Poubelle » avait titré Libération lors de l’article de Gérard Régnier (Jean Clair), directeur du musée Picasso qui dénonçait autant le procédé que les redevances fixées par la succession pour les oriflammes marquant l’entrée du musée « Picasso ». Dérive qui n’est pas le fait uniquement des « grosses successions » puisque l’ADAGP dans son article 15-6 envisage la possibilité de « l’utilisation du nom ou de la signature de l’artiste à titre de marque ou utilisation du nom ou de la signature sans lien direct avec la reproduction d’une œuvre ». Dérive commerciale également lorsque la compagnie Disney exige de profiter du délai de quatre-vingt-quinze ans pour la propriété intellectuelle arguant qu’elle est une entreprise.
Par ailleurs, la diffusion de l’œuvre d’art par le biais de l’édition est considérablement entravée par l’allongement de la durée des droits (soixante-dix ans après le décès de l’artiste, comme aux États-Unis) mais aussi par le phénomène de leur superposition : pour une seule photo d’intérieur, il faut payer les droits de l’architecte mais aussi ceux des artistes dont les toiles sont accrochées au mur et les sculptures posées sur les tables basses, sans oublier les auteurs des cadres des tableaux ou ceux des tables basses. Dernier phénomène, l’émergence de nouveaux droits : celui de présentation implique l’autorisation préalable de l’artiste pour toute présentation de son œuvre lors d’une exposition temporaire ou permanente, droit qui redouble celui de reproduction de l’œuvre dans le catalogue.
Mais, avant de publier, encore faut-il analyser et étudier une œuvre. Ici ce sont les critiques et les historiens d’art qui sont pénalisés. Profitant de leur autorisation préalable à toute reproduction de l’œuvre, certains ayants droit, parfois avec la complicité de leur société de perception, s’adonnent à un véritable chantage, subordonnant leur autorisation à telle coupe ou modification d’un texte. Phénomène qui touche les universités puisque certains ayants droit, non seulement ont demandé des droits de reproduction pour l’illustration d’une thèse mais y ont exigé des coupes en s’adressant, par-delà le jury, au président de l’université. Alarmés, les services juridiques des universités s’inquiètent et plaident pour une exception du droit de reproduction dans le domaine scientifique et pédagogique. (Voir L’Œil n° 548.)
Plaider pour l’exception, ce n’est pas innover c’est revenir au bon sens et à l’article 122-4 (3° a) du code de la propriété intellectuelle : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source, les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées. » Règle qui a conservé sa valeur dans le domaine littéraire ou tout texte déjà publié peut être incorporé au titre de la « courte citation » dans un texte critique. Ce n’est malheureusement pas le cas dans le domaine visuel où la « courte citation », encore en usage dans les années 1920, est aujourd’hui assimilée à une contrefaçon.
L’ont appris à leurs dépens les rares émissions de télévision à se hasarder dans le domaine de l’art : ainsi pour Chefs-d’œuvre en péril, consacrée au jardin des Tuileries, où la caméra avait eu le malheur de s’attarder sur les charmes de bronze des statues de Maillol. Pour un Du côté de chez Fred tourné au Théâtre des Champs-Élysées où l’émission, avant de se pencher sur les invités, avait montré les décors peints par Vuillard, Roussel et Denis : contrefaçon ! En 1999 la cour d’appel de Paris a condamné un journal télévisé de 20 heures pour avoir présenté quelques œuvres d’Utrillo « dans leur intégralité » lors de la présentation d’une exposition de l’artiste au musée Fleury de Lodève. Voilà qui ne va pas encourager les producteurs de télévision, déjà très réticents, sur le chemin des arts plastiques.
Aujourd’hui les périodiques « papier » ne peuvent exercer librement leur devoir d’information sans payer des droits de reproduction : seul un petit nombre d’œuvres, choisies par l’organisateur de l’exposition, restent « libres de droits » le temps de l’exposition, d’où l’uniformité croissante de la presse en matière artistique. Qu’on ne s’étonne pas non plus de la faiblesse des éditions d’art, et nous ne parlons pas ici des « beaux livres » destinés aux tables basses. La différence de niveau – dans les domaines de la recherche et de l’édition – entre l’histoire de l’art et l’histoire de la littérature, pour ne prendre que cet exemple, est flagrant.
Évoqué à l’avant-dernier Mai du livre d’Art lors d’une table ronde à Nantes à laquelle participaient juristes, enseignants et un représentant de l’ADAGP, le droit à la courte citation visuelle doit retrouver son statut, tel qu’il a été conservé par la courte citation littéraire. Ce serait une juste compensation à l’extension européenne du droit de suite et permettrait de présenter les œuvres plus librement.
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Un Picasso d’occasion ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : Un Picasso d’occasion ?