Pour sa deuxième édition, la triennale organisée par la Tate Britain récuse toute mission de découvreur et propose une idée plutôt convenue de ce qu’est l’art britannique aujourd’hui.
Ceux qui espéraient découvrir la nouvelle garde de l’art anglais, ou du moins un panorama complet des activités artistiques du Royaume-Uni présenté en grandes pompes, seront forcément surpris par les choix des deux commissaires de cette « cuvée » 2003, Jonathan Watkins, directeur de l’Ikon Gallery de Birmingham, et Judith Nesbitt, conservateur à la Tate Britain. L’exposition, modeste, ne rassemble que vingt-trois artistes mais chacun peut montrer plusieurs pièces, même si la plupart ont été réalisées à la fin des années 1990 ! En terme de nouveauté, tout cela semble donc bien éventé et lorsque l’on sait que la plupart des artistes ont une quarantaine d’années, que le doyen a quatre-vingt-un ans, il est permis de douter de la possibilité d’une éventuelle découverte. Non que la vieillesse handicape toute créativité, mais il s’agit dans ce cas précis de Richard Hamilton, artiste pop renommé et reconnu. Quant au tandem fraîchement plébiscité à New York, Nick Relph et Oliver Payne, respectivement vingt-six et vingt-quatre ans, il cristallise à lui seul la fonction laboratoire inhérente à ce genre d’événement. Parmi les vingt autres noms sélectionnés, certains sont connus – Ian Davenport, Richard Deacon, Peter Doig, Sarah Morris, Cornelia Parker, George Shaw, Rachel Whiteread –, d’autres un peu moins familiers – Kutlug Ataman (auréolé d’une grande exposition à la Serpentine Gallery de Londres), David Batchelor, Tim Head, Jim Lambie, Paul Noble, Susan Philipsz –, et quelques-uns très discrets de notre côté de la Manche comme Margaret Barron, Gillian Carnegie, Nathan Coley, Dexter Dalwood, Ceal Floyer, Mike Marshall et Shizuka Yokomizo.
Quelle est alors la finalité de cette manifestation, discrètement annoncée, qui fait la part belle à des artistes en milieu de carrière ? Quel élément fédérateur lie ces artistes et leurs œuvres exposées ? Réponse difficile à trouver tant au cours de la visite qu’à la lecture du plaidoyer des commissaires. Le maigre point commun brandi comme une excuse est que tous « scrutent le monde ». Tout un programme, qui ne veut finalement pas dire grand-chose. À nous de scruter l’exposition pour en tirer quelques vagues tendances. Qu’ils soient peintres – six le sont, figuratifs et plutôt convenus à l’instar de Barron, Carnegie, Dalwood ou encore Doig –, vidéastes – Ataman, Relph & Payne, Marshall, Morris –, sculpteurs – Batchelor, Deacon –, dessinateurs – Noble, Coley –, assembleurs de son – Cunningham, Philipsz –, la plupart revendiquent l’héritage de Duchamp, une esthétique minimaliste (intense ou superficielle) ou un postulat documentaire de l’image. Voici les grandes orientations visibles dans l’accrochage insipide et inégal de la Tate dont se dégagent heureusement quelques bonnes surprises sur lesquelles on espère pouvoir compter à l’avenir.
So british !
L’humour british – mélange d’absurdité et de décalage – fait encore recette chez certains artistes comme Mike Marshall (trente-cinq ans). Sa vidéo, Someone, somewhere is doing this (1998), combine la contemplation rêveuse du clapotis de l’eau à une bande-son agaçante où l’on entend un homme fredonner toujours la même rengaine. Le non-événement est au centre de cette démarche décalée dont il résulte des petits films drôles, sans début ni fin. Days like these (2002), qui a donné son nom à la triennale, aboutit, après cinq minutes passées à regarder l’évolution d’un arrosage automatique, à une érosion de l’attente pleinement assumée. Cet esprit de contradiction règne aussi dans les pièces de Ceal Floyer (trente-six ans). Autour d’objets quotidiens ou d’émotions familières, la jeune femme a mis au point une stratégie de déconstruction du monde largement inspirée de Duchamp. Dans une des salles, un seau métallique raccordé à un fil électrique résonne d’une goutte d’eau, comme si une fuite au plafond semblait toujours commencer. La scène est grotesque, souligne combien le monde de l’art est artificiel et donne à des choses sans importance une aura esthétique. On regrette juste que son concert de rognage d’ongles ne soit pas diffusé. Avant l’entrée en scène du symphonique de Birmingham, l’artiste s’était installée devant l’auditoire et avait décuplé la sensation d’angoisse qui envahissait justement les musiciens derrière le rideau en se rongeant les ongles. La simplicité remplace chez elle les grands discours, une qualité aussi sensible chez Jim Lambie et David Batchelor, rassemblés dans l’atrium de la Tate. La rencontre entre l’esthétique minimale rigoureuse mais poppy du sol coloré du premier et la tour lumineuse et iridescente de Batchelor provoque une expérience rétinienne des plus réussies. La donnée décorative est pleinement assumée, travaillée par le biais d’une pensée positive certes peu profonde, mais séduisante. On retrouve ce minimalisme allié au chromatisme dans la dernière création numérique de Tim Head, Treacherous Light, un tableau de pixels agrandis et assemblés en temps réel par un ordinateur. Chaque seconde déclenche une œuvre unique, à peine perceptible, au milieu d’une vibration colorée abstraite.
Quant au dernier film de Sarah Morris, un portrait de Miami entre documentaire et fiction sans narration, il réconcilie tout simplement le spectateur avec cette triennale plutôt fade. Belle lecture de l’architecture, de l’industrie du tourisme et du divertissement qui « font » cette ville, Miami, bercé par une bande-son électro minimale mais sensuelle concoctée par l’artiste Liam Gillick, offre un regard désabusé sur le rêve américain. Le toc des scénarios imposés par l’environnement scrutés au cours de cette balade urbaine, contraste avec la réalité de l’exil cubain tout proche que Morris laisse deviner. Une histoire d’apparence qui place l’artiste bien au-dessus des autres réunis pour cette drôle de triennale, ni franchement mauvaise, ni vraiment indispensable.
« Days Like These », triennale d’Art contemporain britannique, Tate Britain, Millbank, jusqu’au 26 mai. Catalogue : 15,99 livres (23,55 euros) pendant la durée de l’exposition.
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Tate Triennial : un non-événement ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : Tate Triennial : un non-événement ?