Du 16 au 21 avril 2008, le Salon international du meuble de Milan a tenté d’apporter des premières réponses aux problèmes économiques et environnementaux posés par la société actuelle. Avec plus ou moins de bonheur...
Elle aura pris son temps, mais cette fois, ça y est ! La « green attitude » s’est emparée, pour la première fois aussi frontalement, du Salon international du meuble de Milan, dont la 47e édition s’est déroulée du 16 au 21 avril dernier. Nombre d’expositions et de produits y vantaient une écologie à tous crins, usant à l’envi de vocables tels que « éco-design » ou « design vert », voire « éco-responsable ».
Même si, pour l’heure, la démarche semble relever davantage du marketing que d’une vraie réflexion de fond. Car derrière l’alibi écolo, le défi du développement durable implique, de fait, une mutation complète de l’industrie du meuble. Ce qui n’est pas une mince affaire.
La fin du pétrole, une opportunité ?
Pour autant, à entendre le designer gallois Ross Lovegrove, il n’y a aucune raison de perdre espoir. Lors de la conférence intitulée « Green Energy Design », qui s’est tenue en ouverture de l’exposition éponyme, il a ainsi déclaré : « La fin du pétrole est une opportunité pour tout re-concevoir, pour inventer une nouvelle esthétique. » Bref, « c’est une très belle époque ! », estime Lovegrove. En clair : il faut savoir optimisme garder.
Son confrère Philippe Starck, lui, en a rajouté une louche en plaidant pour « l’écologie démocratique » : « Aujourd’hui, insiste-t-il, la seule façon de faire du design, c’est la politique et l’écologie. » Emblème de son nouveau cheval de bataille : une mini-éolienne destinée aux particuliers, que le designer a mise au point avec la firme italienne Pramac, et qui ressemble tout bonnement à une grosse sucette translucide.
Dans un registre proche, le collectif batave Droog Design, avec une présentation intitulée « A Touch of Green », a fait l’éloge des économies d’énergie. Ainsi, l’Helvète Adrien Rovero a dessiné la collection de suspensions Saving Grace destinées à dissimuler les fameuses ampoules à économie d’énergie, généralement laides. Tandis que le duo d’architectes berlinois SMAQ – Sabine Müller et Andreas Quednau – a imaginé l’étonnante chaise longue-radiateur Cosy, en acier inoxydable, qui permet « d’avoir de la chaleur, exactement là où on en a besoin ». Attention toutefois à bien protéger ses arrières !
Au Salon satellite enfin, espace dévolu aux jeunes designers – ils étaient 570 en 2008, réunis sous la bannière « Vive le vert ! Go Green ! » –, le quatuor de Finlandaises Fokus Fabrik a exhibé toute une collection de textiles aux graphismes originaux, tissés en coton ou en chanvre… biologiques, cela va sans dire.
La palme du mauvais goût va au fessier pour la chaisse Panton
Comme toujours dans un salon, il y a les objets qui marquent et ceux qui n’imprègnent même pas la rétine. Côté « bonnes surprises » se détache notamment la chaise Myto (Plank) imaginée par l’Allemand Konstantin Grcic. Ce dernier a ainsi conclu de belle manière un exercice périlleux : le siège en plastique « cantilever », autrement dit « en porte-à-faux ».
Chez Classicon, son compatriote Clemens Weisshaar, jeune designer de 31 ans, signe une élégante table haute pour sa collection Triton. Tandis que chez Moroso, Ron Arad, de retour sans doute d’une virée à la Chaussée des Géants (Irlande du Nord), a dessiné le canapé Do-Lo-Res, constitué d’une suite de blocs à différentes hauteurs et néanmoins confortables. Au rayon « adeptes du cuir », en tout bien tout honneur s’entend, s’affichent plusieurs tentatives réussies, telles les chaises Bull (Mario Bellini, Cassina), Back (Patricia Urquiola, B&B Italia) ou Teepee (Konstantin Grcic, Cassina).
Mais en cette année olympique, l’exploit vient assurément d’outre-Manche, chez l’éditeur britannique Established & Sons. Cette fois, ils s’y sont mis à deux – Terence Woodgate, designer mobilier, et John Barnard, le célèbre ingénieur-styliste automobile et pionnier des coques en fibre de carbone des bolides de Formule 1 – pour produire la table Surface, en... fibre de carbone évidemment, qui comme son nom l’indique semble n’être que de deux dimensions tant elle est mince : deux millimètres pour une longueur de trois mètres.
Côté « déceptions », il y a notamment ce travail lancé par la firme nippone Panasonic afin de faire évoluer l’esthétique des fameux fauteuils « massants ». Peine perdue. Même la talentueuse Espagnole Patricia Urquiola n’y est pas arrivée. Elle a eu beau redessiner la forme de son siège Urban et le planquer sous une fourrure de Mongolie, il n’en reste pas moins que l’allure « usine à gaz » inhérente à ce type de fauteuils persiste.
Autre égarement : la chaise Her de Fabio Novembre pour Casamania. Le designer transalpin a tout simplement « greffé » une splendide paire de fesses féminines à la mythique Panton Chair de Verner Panton. Le résultat est du plus mauvais goût. Le Néerlandais Maarten Baas, lui, a engendré la collection The Chankley Bore : trois étranges meubles en forme de robots qui montreront à nouveau leur vilaine bouille, en octobre, à Londres, au moment de la foire d’art contemporain Frieze Art Fair. C’est là peut-être la seule faute de goût de l’éditeur, l’Anglais Established & Sons. Chez Cappellini enfin, le Français François Azambourg poursuit sa collection d’objets en tôle cabossée – euh pardon, « froissée »... – baptisée Mr. Bugatti, avec deux nouveaux luminaires. Une suite qui montre bien qu’un concept, si drôle soit-il, n’est pas forcément déclinable à l’infini.
Le grand retour des arts décoratifs
Reste que le fait le plus marquant de cette année 2008 se situe sur un autre registre qui n’est pas celui de la grande série mais, au contraire, celui de la série limitée, voire de la pièce unique. En clair : le mariage avec le marché de l’art, initié il y a environ cinq ans, est désormais bel et bien consommé. Pour le projet « reCollections », le duo Kiki Van Eijk et Joost Van Bleiswijk ont œuvré avec la crème des artisans pour réaliser les paravents Domestic Jewels, les commodes Patchwork Cabinets ou ces incroyables meubles en inox poli qui se montent comme un château de cartes, sans vis, ni colle (collection « No Screw, No Glue »).
De son côté, le célèbre antiquaire Mallett (Londres, New York) a exposé le projet « Meta », collection d’objets conçus avec cinq agences internationales : Hani Rashid et Lise Anne Couture (Asymptote), Edward Barber et Jay Osgerby, Tord Boontje, Matali Crasset, enfin Rod et Ali Wales. L’idée est de produire, grâce aux cinquante meilleurs artisans de la planète, les plus belles pièces qui soient. On se croirait revenu au bon vieux temps de l’« art décoratif ». Ainsi Rashid et Couture (Asymptote) ont-ils imaginé Mnemos, série de trois boîtes ou conteneurs pour la table, en or massif. De leur côté, Barber et Osgerby, eux, ont dessiné Cidade, un surtout de table muni de sept bougeoirs, fabriqué, lui, en argent pur. Enfin Tord Boontje a mélangé l’acajou, le bronze et environ cinq cent cinquante kilos d’émail pour concevoir une imposante Armoire, facturée 350 000 euros pièce.
Qui dit exception implique aussi la grande échelle. Le phénomène est flagrant. La manufacture royale de céramique des Pays-Bas (Royal Tichelaar Makkum) a ainsi fait revisiter le célèbre tulipier du xviie siècle par Jurgen Bey, Studio Job, Hella Jongerius et Alexander Van Slobbe. Résultat : quatre Pyramides monumentales éditées à sept exemplaires chacune (en moyenne, 70 000 euros pièce). Dans l’annuel « Crystal Palace » installé par le cristallier Swarovski, la star de l’architecture Zaha Hadid a imaginé le lustre Ré, lequel est « enserré dans un vortex en spirale, dont les cristaux évoquent la force d’une explosion (sic !) ».
Mieux ou pis, c’est selon, le tandem Studio Job – le Belge Job Smeets et la Néerlandaise Nynke Tynagel – a érigé Globe, une mappemonde géante de 1,75 mètre de diamètre habillée de 500 000 cristaux. De son côté et, cette fois, pour le fabricant italien Poliform, le Néerlandais Marcel Wanders a imaginé My House of Dreams, un intérieur surdimensionné et néanmoins moche avec, entre autres fourberies, un abat-jour à frous-frous et de l’or qui dégouline de partout.
Dans cette course au gigantisme, une question sourd en filigrane : quels seront les futurs Damian Hirst et Jeff Koons du design ? Pour l’heure, il semble bien que ce soit le tandem Studio Job qui tienne la corde. Cette année encore, avec leur installation intitulée Farm, ils ont tenté de faire vibrer la « fibre rustique » des visiteurs en vantant les objets « ruraux » et les « humbles » outils – une vingtaine en tout – de la ferme. Mais rien n’y a fait, ceux-ci étaient bien trop précieux pour être honnêtes. Conçus en bronze et surdimensionnés comme il se doit, ils résultent en fait d’une commande spéciale du musée de Zuiderzee (Pays-Bas), institution où, depuis juin, ils s’exhibent désormais en permanence.
Certes Milan est la ville de l’Espagnole Maria Patricia Cristina Blanca Hidalgo Urkiola, dite « Patricia Urquiola », laquelle s’est installée depuis près d’une vingtaine d’années dans la capitale lombarde. Mais, cette année, ses compatriotes ont volé la vedette aux habituels Néerlandais et Japonais. La vague ibérique de cette édition 2008 aura d’ailleurs parfois donné au quartier Tortona, au sud de Milan, une allure de « rambla » géante. Des designers espagnols de toutes les générations Ainsi, l’exposition intitulée « Spain Playtime/Fresh Air in Spanish Design » y a rassemblé une multitude de créateurs tous domaines et toutes générations confondus. Exemple : Javier Mariscal, l’homme de la mascotte des JO de Barcelone, en 1992, a dessiné, pour Uno, le fauteuil Roca, sorte de petit refuge hissé sur une structure légère en métal. Pour l’éditeur batave Moooi, un collectif venu de Valence et à géométrie variable, CuldeSac, a lui dessiné, avec Héctor Serrano, la suspension Sofa en s’inspirant des fameuses boursouflures du canapé Chesterfield. Toujours pour Moooi, la nouvelle coqueluche hispanique Jaime Hayon a imaginé Elements, une série de sculptures empilables tels des cactus, constituée de plusieurs « éléments » qui deviennent miroir, table ou plateau. Il s’avère que l’Ibère est du genre rusé. Certains designers que l’on avait jadis connus plus délirants savent, à l’occasion, entrer dans le rang pour passer à la grande série. Ainsi, Ana Mir et Emili Padros (Emiliana Design Studio) ont dessiné le paravent Tokyo (Uno), d’une simplicité formelle et d’un assemblage facile. Idem pour Martin Ruiz de Azua et Gérard Moliné, avec leur tabouret légèrement gondolé Azuamoline (Mobles 114). Et même l’électron libre et autoproclamé « Ex-Designer », Marti Guixé, a imaginé un tapis rond et crénelé, baptisé News, pour Nanimarquina. Reste qu’un nouvel arrivant semble marcher sans complexes dans les pas de Guixé : le dénommé Nacho Carbonell Ivars, 28 ans, né à Valence et diplômé de la Design Academy d’Eindhoven. Présentées en « off », ses chaises-cocons en fil de fer et en papier mâché (« Évolution ») ont fait bel effet !
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°605 du 1 septembre 2008, avec le titre suivant : Salon du meuble