Au cours de ses nombreux voyages, qu’il mettait à profit pour découvrir toutes les richesses artistiques des pays qu’il traversait, Rubens ne cessa d’acquérir des œuvres d’art. C’est ainsi qu’en 1607 il acheta La Mort de la Vierge du Caravage, pour Vincent de Gonzague,
seigneur de Mantoue. Mais aussi pour lui-même.
Dès sa période italienne, il acquiert de nombreux dessins qu’il gardera jusqu’à sa mort, spécifiant dans son testament qu’ils devront être conservés ensemble, et légués à celui de ses fils ou de ses gendres qui deviendrait peintre. S’il s’intéresse aux peintres modernes, il est surtout attiré par les témoignages de l’Antiquité. Rubens possède une véritable connaissance de la culture classique. C’est un peintre lettré et même érudit ; il connaît le latin et le grec, et adhère à la philosophie stoïcienne.
Un buste de Sénèque, acquis en Italie, apparaît dans plusieurs de ses tableaux.
« Il avait un si grand amour pour tout ce qui avait le caractère de l’Antiquité qu’il envoya acheter par toute l’Italie une quantité prodigieuse de statues, de médailles et de pierres précieuses gravées… », écrit l’historien André Félibien dans sa Vie de Rubens.
C’est grâce à un de ces émissaires-pourvoyeurs qu’il entre en contact, en 1616, avec l’ambassadeur d’Angleterre à La Haye, Dudley Carleton. Amateur d’art et admirateur de Rubens, celui-ci possède une grande collection d’antiques qu’il cède à l’artiste en échange de douze de ses tableaux. Le décompte envoyé par le peintre à cette occasion fait apparaître les différences d’évaluation entre les œuvres peintes par l’atelier et celles qui sont de sa main (« si j’eusse fait l’ouvrage de ma main propre, il en vaudrait bien le double… »). En 1619, Rubens réceptionne ses nouvelles acquisitions : vingt-neuf statues, quatre torses, cinquante-sept têtes, des piédestaux, des urnes, des bas-reliefs, en tout plus de quatre-vingt-dix pièces, qu’il installe dans un véritable petit musée. Car sa fastueuse maison sur le
Wapper, achetée, agrandie et richement décorée de 1611 à 1616, comporte, outre les parties consacrées au travail, un cabinet d’art, et un espace dévolu à la présentation des sculptures antiques. C’est un petit « musée » en hémicycle surmonté d’un dôme percé d’un oculus, sur le modèle – très réduit – du Panthéon. Les parois sont en marbre, creusées de niches pour y loger les bustes de
philosophes et d’empereurs romains.
Il revendra cette collection au duc de Buckingham en 1627. Mais jusqu’à la fin de sa vie il continuera à collectionner monnaies, médailles, camées et autres gemmes au sujet desquels il correspond avec l’humaniste et « antiquaire » français Claude-Nicolas Fabri de Peiresc, qui admirait son érudition : « surtout en ce qui concerne l’Antiquité, il possède les connaissances les plus universelles et les plus éminentes que j’ai jamais rencontrées. »
Collectionner, pour Rubens, n’est pas seulement une passion. C’est aussi une nécessité professionnelle : pour les dessins surtout, et les estampes, il s’agit de constituer tout un répertoire de formes dans lequel il n’hésite pas à puiser pour ses propres créations. Et c’est encore un moyen d’accroître sa notoriété et de conforter son ascension sociale. Nul doute que sa collection d’antiques, sans parler des tableaux, installée dans son petit « Panthéon », contribuait à faire de sa maison un lieu prestigieux, incontournable (« aucun étranger passant par Anvers ne se dispensait de voir son cabinet », dira Bellori), et digne d’une clientèle aristocratique. Collectionner, dans ce cas, participe également d’une stratégie commerciale.
Rubens garda aussi jusqu’à sa mort une collection de ses propres œuvres. Il ne s’agit pas des dessins et des esquisses correspondant aux grandes commandes, et qui constituaient un précieux fonds d’atelier. Le maître veillait à ce que ces « documents de travail », tous les soirs, soient remis dans son bureau et enfermés à clé. Il s’agit des œuvres de la « collection de l’artiste » comme on dit encore aujourd’hui, celles qu’il a préféré garder, pour des raisons personnelles. Parmi elles se trouvaient les copies, peintes à Madrid, des Titien de Philippe IV ; en réalité ce sont des Rubens d’après Titien (ill. 9), œuvres exceptionnelles témoignant du plus ardent dialogue de peinture qu’un maître ait jamais eu avec un de ses aînés. On y trouvait aussi le fabuleux Silène ivre, aujourd’hui à la Alte Pinakothek de Munich, si emblématique de la création rubénienne ; l’historienne Svetlana Alpers a pu voir dans ce personnage une figure métaphorique de l’artiste lui-même.
L’inventaire des biens de l’artiste établi après sa mort en 1640 fait aussi apparaître son goût de la peinture flamande. Il possédait de nombreux tableaux de maîtres anciens, Jan Van Eyck, Lucas Van Leyden, Pieter Bruegel, mais aussi de ses contemporains : Adriaen Brouwer, dont une Danse de paysans, acquise en 1631, lui aurait inspiré sa fameuse Kermesse du Louvre, Adam Elsheimer, ou Anton Van Dyck, son illustre disciple.
« Une maison d’art », ANVERS, Rubenshuis, Wapper 9-11, tél. 32 03 201 15 22, du 6 mars au 13 juin.
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Rubens, collectionneur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°556 du 1 mars 2004, avec le titre suivant : Rubens, collectionneur