Tout le monde connaît les chefs-d’œuvre de l’art hollandais que sont La Ronde de nuit de Rembrandt ou La Laitière de Vermeer. Mais qui connaît l’histoire de cette collection formidable, créée en 1800 et installée dans un singulier bâtiment néo-gothique en plein cœur d’Amsterdam ? Pour en savoir plus, L’Œil a rencontré son nouveau directeur, Ronald de Leeuw, qui explique ici son projet de réaménagement du Rijksmuseum.
Pourquoi ce gigantesque chantier de rénovation du Rijksmuseum ?
Bien que l’apparence extérieure du bâtiment soit bonne, l’intérieur a perdu une grande partie de son caractère. La raison principale en est que, depuis son inauguration en 1885, le musée a subi d’innombrables modifications sans aucun plan directeur. Nous nous trouvons maintenant devant une telle accumulation de styles différents et de visions différentes que nous devons revenir aux origines du musée, et le restaurer dans la forme générale qu’il avait en 1885. Il s’agit pour l’essentiel de rouvrir les grandes cours intérieures vitrées, de rendre aux galeries principales leurs proportions d’origine et de restaurer une partie du décor intérieur.
Comment compenser la perte considérable de surface engendrée par la réouverture des cours intérieures ?
La solution est très simple. Là encore, il suffit de revenir au projet de 1885. Le musée se déployait alors sur trois niveaux, tandis que le visiteur actuel ne peut plus voir que deux niveaux. Le niveau inférieur a progressivement été occupé par des ateliers, des réserves, des bureaux. Tous ces cloisonnements vont être détruits et le bâtiment du musée sera à nouveau entièrement ouvert au public. Le visiteur pourra ainsi constamment se repérer, grâce à cette cohérence architecturale retrouvée. L’entrée principale, actuellement très étroite et difficile à identifier, se fera à nouveau sous les arcades situées au centre de la façade principale.
Comment réglerez-vous la question épineuse des expositions temporaires qui drainent des foules immenses ?
Un autre point important par rapport à la redéfinition du concept du musée consistera à transférer les salles d’expositions temporaires, actuellement situées dans le corps central du bâtiment, dans l’aile sud qui deviendra ainsi notre Grand Palais.
La présentation des collections est-elle amenée à se modifier à l’occasion de ce redéploiement ?
Nous avons actuellement cinq départements (cabinet des estampes, sculpture et arts décoratifs, peinture, histoire, art asiatique) placés sous la compétence de 24 conservateurs. À l’exception du département d’art asiatique (à moins que la nécessité de certaines comparaisons ponctuelles se fasse sentir) et du cabinet des estampes, tous ces départements vont être mélangés. Ceci ne signifie pas que dans chaque salle il y aura une commode, sur laquelle sera posée une sculpture et au-dessus de laquelle on accrochera un tableau. Toute la collection va être réorganisée selon un déroulement logique nouveau, du Moyen Âge au XIXe siècle.
Cette nouvelle répartition reflète-t-elle le caractère particulier de la collection du Rijksmuseum ?
Il ne s’agit pas seulement de cela. Cette répartition permet également de mieux mettre en valeur cette collection. Ainsi, les niveaux 1 et 2, qui accueilleront le Moyen Âge et le XIXe siècle, possèdent des salles voûtées d’ogives. Les collections se sentiront bien « chez elles » dans ce type d’architecture. Au niveau inférieur, nous allons créer une sorte de trésor, une Schatzkammer, regroupant l’orfèvrerie et la porcelaine, tous les petits objets précieux qui représentent un réel problème dans le circuit principal. En effet, vous tentez de raconter une histoire et, tout à coup, le visiteur doit traverser deux ou trois salles de porcelaines, et il a perdu le fil de l’histoire que vous lui racontiez. Nous allons donc concentrer ces objets dans la Schatzkammer. Ce ne sera en aucun cas une « galerie d’étude », qui impliquerait d’exposer tous les objets importants à l’étage noble, et le reste à l’étage inférieur. Non, tous les objets importants seront dans ce trésor, comme à Vienne. Ce système permettra d’alléger les galeries des niveaux supérieurs. Bien entendu nous ne nous interdirons pas de réintroduire de l’argenterie, de la porcelaine ou de la verrerie dans ces dernières, dans la mesure où leur décor ou une connotation historique particulière impose leur rapprochement avec une autre œuvre.
J’ai parfois entendu certains de vos confrères opposer des arguments de conservation à ce type de présentation mixte d’objets de techniques très diverses. Pourquoi ?
Les conservateurs ont un sens très développé de leur territoire. La théorie est la suivante : les conservateurs sont responsables des objets et le directeur est responsable des salles. Il est bon que le conservateur s’identifie aux salles où les collections dont il a la charge sont présentées. Et nous aurons des salles de sculptures, des salles de peintures, des salles principalement vouées à l’histoire, et des salles de type mixte. Certains disent que l’on ne s’y retrouvera plus. Je crois que s’il y a une logique visuelle et si les objets sont soigneusement identifiés, c’est possible. Ce sera même beaucoup plus stimulant pour le public qui se lasse de traverser 15 salles de peintures à la suite. On n’éprouve pas cette lassitude lors de la visite d’un château anglais. Arrivé à la dernière salle, on s’exclame : « quel dommage, c’est déjà fini ! » Je crois que ce changement d’atmosphère est pour le musée le moyen de devenir plus vivant. Et ceux qui guident des hordes pour voir La Ronde de nuit pourront toujours prendre un raccourci. Mais ils auront rencontré au passage un petit peu d’histoire hollandaise, un petit peu d’art décoratif hollandais.
Quelles ont été les réactions des conservateurs du musée ? Vous devez avoir des réunions très animées.
Nos réunions sur le nouveau projet sont certes animées, mais il n’y a pas de difficultés majeures. Je dois dire que les trois départements principaux ont montré leur engagement en faveur de cette nouvelle vision. Les personnes qui, en dehors du musée, sont les plus inquiètes sont les historiens. Certains craignent que l’histoire de l’art hollandais n’aille à sa perte. Ma réponse est simple : pour l’histoire, vous avez les livres. Au musée, nous avons beaucoup d’objets, mais il nous en manque également beaucoup. Certaines personnalités historiques ont occupé de hautes fonctions dans la société hollandaise, et qu’avons-nous pour les représenter ? Un portrait, un objet et une brochure. Ce n’est pas avec ceci que nous allons écrire l’histoire. Le Rijksmuseum est un musée d’art, son propos n’est pas d’illustrer la vie quotidienne. Mais nous avons des tableaux de Pieter de Hooch qui peuvent nous donner un aperçu de la vie des classes aisées, nous avons des tableaux de Jan Steen. Je ne pense pas qu’ils soient forcément très typiques, mais ils contribuent à notre vision du passé. L’art ne se lit pas comme un ouvrage. Certains voudraient transformer les musées en livres.
Ce nouveau projet fera-t-il l’objet d’un concours d’architecture ?
Nous devons d’abord identifier le profil de l’architecte à qui nous souhaitons confier ce projet. En effet, il n’est pas souhaitable dans ce genre de s’exposer à des visions trop fantasques. Puis six architectes seront invités à soumettre leur projet. Ils seront sélectionnés par un comité auquel j’appartiens. Parmi les points délicats figurent le traitement architectural des cours intérieures, ainsi que la liaison entre l’aile sud et le bâtiment principal. Les travaux de rénovation commenceront à l’automne 2003 si tout se passe dans les délais prévus, et la réouverture aura lieu au printemps 2006. Il faut tout d’abord évacuer un million d’objets du musée, c’est une opération considérable.
Le musée sera donc fermé pendant des années.
Pendant les travaux, le musée ne sera pas complètement fermé. La Ronde de nuit, La Fiancée juive, tous les Vermeer et une sélection d’œuvres seront présentés dans l’aile sud. Une version réduite du Rijksmuseum.
Venons-en à votre exposition « La gloire du siècle d’or ». Le titre n’a-t-il pas un parfum de déjà vu ?
Nous n’avons encore jamais utilisé ce titre pour une exposition. Il a l’avantage de pouvoir être traduit dans beaucoup de langues de manière relativement similaire. Surtout, il a l’avantage d’être vrai. Pour la première fois nous abordons ce sujet avec une grande richesse d’œuvres (environ 300 en tout), une somme de recherches publiée dans un épais catalogue. Le XVIIe siècle est déjà « surexposé ». Nous n’avons pas besoin d’explorer ce « siècle d’or », ce qui a déjà été fait par le passé dans de nombreuses expositions. Il s’agit d’en célébrer en quelque sorte les canons : quels sont aujourd’hui, à nos yeux, les maîtres les plus importants du XVIIe siècle ? C’est le choix de l’an 2000, qui diffère de celui qui a été fait vers 1800 lorsque le musée a été créé, aussi bien que de celui de la grande exposition de la National Gallery il y a environ 25 ans. Le goût a changé. On y verra le classicisme et le maniérisme, deux courants auparavant absents.
Dans l’exposition de peinture, sculpture et arts décoratifs, près de la moitié des œuvres proviennent de vos collections. N’y a-t-il pas là un signe de paresse ?
Pour fêter le 200e anniversaire du musée, nous avons tenté de créer un musée idéal. 100 œuvres proviennent de notre propre collection, 100 autres que nous aimerions posséder ont été empruntées aux musées et collectionneurs du monde entier. Je ne voudrais pas sembler arrogant, mais il était souvent difficile de trouver à l’extérieur mieux que ce que nous avions, notamment pour les arts décoratifs. Dans le domaine de la peinture, certains de nos tableaux sont évidemment incontournables. Le Mauritshuis de La Haye nous prête La Leçon d’anatomie du Dr Tulp de Rembrandt qu’en temps normal il ne prête jamais. Nous n’avons pas recherché ce qui était représentatif de la période mais plutôt l’exceptionnel, l’extraordinaire. Pour la première fois, nous pourrons confronter Les Régents de l’hospice des vieillards du Frans Hals Museum de Haarlem aux Syndics de Rembrandt, les deux grands portraits de corporations que nous connaissons tous par les livres, dus aux deux grands maîtres à nos yeux rivaux. Nous avons rapproché peinture, sculpture et arts décoratifs et ici aussi, il y a de passionnantes confrontations. Parmi les prêts exceptionnels, nous avons ce candélabre provenant du Japon, une « pièce de résistance » qui se trouve devant le même temple depuis qu’il a été offert au Japon par la jeune République néerlandaise au XVIIe siècle. Il y a aussi des coups de chance comme la restauration du tombeau de Guillaume le Taciturne dans la Nieuwe Kerk de Delft, qui nous permet d’emprunter deux sculptures importantes et de les replacer dans un contexte exceptionnel où elles seront vues par des centaines de milliers de personnes. Nous avons également Le Verre de vin de Vermeer, conservé à Berlin et qui ne figurait pas à la grande exposition Vermeer de La Haye. Je suis également très fier d’avoir pu emprunter à une collection privée tchèque un extraordinaire service de table de Delft, absolument unique.
- AMSTERDAM, Rijksmuseum, 15 avril-16 juillet.
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Ronald de Leeuw : Le Rijksmuseum fête ses 200 ans
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°515 du 1 avril 2000, avec le titre suivant : Ronald de Leeuw : Le Rijksmuseum fête ses 200 ans