Il s’est fait l’habitude dans le monde de l’art d’annoncer régulièrement la mort de la peinture, et ainsi sa résurrection. Depuis le haro lancé par Duchamp dans les années 1910, la peinture n’a cessé, depuis, d’être enterrée et proclamée. Ces dernières années, le rythme s’est accéléré et son retour se manifeste à coups de « Cher peintre » ou d’« Urgent painting » pour ne cibler que les cas français. La Biennale de Venise replonge elle aussi cette année dans la rédemption, à moins qu’il s’agisse plutôt d’un enterrement en grandes pompes. En imaginant au musée Correr l’exposition « Pittura/painting : de Rauschenberg à Murakami, 1964-2003 », et en la faisant débuter sur l’année où le néodadaïste Robert Rauschenberg remportait le Lion d’or, Francesco Bonami rappelle le séisme qui bouleversa au cours de cette décennie les us et coutumes picturaux. Pour cela, il s’engage dans une explication chronologique en convoquant certains grands peintres de l’époque comme Warhol, Fontana, Hamilton ou encore Lichtenstein. La commémoration attaque l’extraordinaire ingratitude de la Biennale de Venise dédaigneuse d’une peinture qui n’a pourtant eu de cesse d’aiguiser les plus grands esprits artistiques. L’hommage rendu à cette « relation d’amour-haine que l’art contemporain a entretenue avec le sujet peinture » s’orchestre autour des mandarins du pinceau, Baselitz, Kiefer, Richter, Basquiat, avec une nette reconnaissance de l’hégémonie germano-anglo-saxonne dans ce domaine, mais convoque aussi une jeune garde très sélective concentrée autour de John Currin, Elisabeth Peyton et Takashi Murakami.
À parcourir la liste des artistes qu’il a sollicités pour cette exposition sur la peinture, comme pour les deux autres dont il est le commissaire – « Clandestins » à l’Arsenal et « Retards et Révolutions » au pavillon d’Italie –, force est de croire que Francesco Bonami ne (re)connaît rien à la scène française puisqu’il n’a pas trouvé prétexte à sélectionner un seul de ses représentants – ou plus exactement si, une et une seule, Tatiana Trouvé, pour l’exposition de l’Arsenal. S’il est de son droit le plus strict de juger sans plus d’intérêt la scène française, on peut toutefois s’étonner du mépris total qu’il affiche dans l’exposition du musée Correr. En effet, si celle-ci vise à mettre notamment en évidence ce qu’il en a été des relations de la Biennale vénitienne à la peinture au cours des quarante dernières années, on peut, dès lors, s’interroger sur l’information, sinon sur la fraîcheur de la mémoire du commissaire, au vu et au su d’une présence française notable entre 1964 et 2003. Alors même qu’il prétend « comparer la recherche italienne et la recherche européenne et mondiale, en faisant naître des questions, en soulignant les faiblesses et les forces qui pendant près de quarante ans ont renouvelé le grand mystère de “Où va la peinture ?” », Francesco Bonami ne semble même pas accorder de valeur à la contribution de la France à la Sérénissime durant cette même période. Qu’il s’agisse seulement (!) de celles de Jean Dubuffet en 1984, de Daniel Buren, Lion d’or en 1986, ou de Claude Viallat en 1988, il y avait pourtant de quoi trouver matière à nourrir son propos. Si la « crise » que connaît la peinture à partir du milieu des années 1960 fait perdre à l’Europe sa domination sur la scène artistique internationale, la fortune critique de tels artistes entérine leur contribution majeure et indiscutable au débat amorcé une nouvelle fois quant au devenir du pictural. Ne pas en tenir compte dès lors qu’il s’agit de reparcourir une histoire aussi chargée que celle-ci relève soit d’une amnésie fort regrettable, soit d’un parti pris qui mériterait d’être davantage motivé. On l’aura compris, l’exposition ne semble pas vouloir dépeindre une histoire scientifique des vicissitudes de la peinture, encore moins exhaustive vu le nombre restreint d’élus, quarante ! Compte tenu du nombre exponentiel d’artistes qui se réapproprient ce médium enfin affranchi de sa supposée ringardise, il y a de quoi, alors, rester circonspect devant le peu de représentants de « la » jeune peinture. La mission d’une biennale n’est-elle pas de témoigner des engouements les plus contemporains, davantage que de s’accorder une mission muséale et conservatrice ? Il est alors légitime de demander à Francesco Bonami s’il n’entend pas par là sonner le glas de la vocation première de biennales d’art contemporain comme Venise, toujours plus nombreuses et populaires : témoigner des tendances actives et faire découvrir de nouveaux talents.
« Pittura / Peinture : De Rauschenberg à Murakami, 1964-2003 », musée Correr, Piazza San Marco 52, tél. 041 522 56 25, du 15 juin au 2 novembre.
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Pittura, painting, peinture !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°548 du 1 juin 2003, avec le titre suivant : Pittura, painting, peinture !