Xavier Dectot, directeur du Louvre Lens, évoque les enjeux et objectifs du nouvel établissement culturel de la région Nord-Pas-de-Calais.
Conservateur du patrimoine, Xavier Dectot a pris, au printemps dernier, la tête du Louvre-Lens, établissement public de coopération culturelle. Chartiste, ancien élève de la Casa Vélásquez, docteur en histoire de l’art et archéologie, il a travaillé dix ans au Musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny, à Paris, où il était en charge des collections de sculpture, d’ivoire et de faïence.
Daphné Bétard : Comment allez-vous travailler avec la maison mère et quelle sera votre marge de manœuvre par rapport à l’établissement parisien ?
Xavier Dectot : L’idée fondamentale est que le Louvre-Lens soit un autre Louvre. La galerie du Temps, parcours semi-permanent, offre un autre regard sur ses collections. Les expositions temporaires s’inscrivent dans la tradition des grandes manifestations du Hall Napoléon avec un but scientifique, un vrai propos, une réelle exigence. Des expositions de grande ampleur donc, mais qui devront prendre en compte la spécificité du public local.
Nous sommes un musée qui traverse six millénaires d’histoire de l’art ce qui signifie que, à la grande différence du Centre Pompidou-Metz, nous ne pouvons pas mener seuls notre politique d’exposition. Nous nous appuyons sur les conservateurs du Louvre ; il serait ridicule ici d’essayer d’avoir des spécialistes de tous les domaines. Ce lien très fort entre les deux institutions est incontestable. Nous ne sommes donc pas indépendants. Mais, en revanche, il est important que nous soyons autonomes, avec notre propre politique et notre propre vision, et ce parce que, tout d’abord, nous n’avons pas les mêmes publics. Deux types de visiteurs sont attendus à Lens : ceux qui viennent de l’international et ceux du territoire. Les premiers sont connus : il s’agit du public habituel des grandes expositions. Les visiteurs du territoire du bassin minier sont, pour beaucoup, éloignés des pratiques culturelles. C’est eux que nous devons conquérir. Il faut repenser notre relation au public en fonction de ce territoire, en proposant, donc, des solutions très différentes de ce que fait le Louvre.
D.B. : On a reproché au projet du Louvre-Lens son manque de contenu scientifique. Comment concilier une programmation de qualité avec des objectifs de fréquentation, chiffrés à 500 000 visiteurs par an ?
X.D. : En s’adressant à un public éloigné des musées, nous avons un impératif de qualité et d’exigence profond. Il faut être dans l’excellence scientifique pour porter un vrai message et parvenir à l’expliquer de façon claire. L’objectif est d’abord que le Louvre-Lens soit un musée populaire, au meilleur sens du terme. La question n’est pas de savoir si il y aura 400 000 ou 600 000 visiteurs par an. La vraie question est de savoir combien de visiteurs allons-nous réussir à conquérir ; combien de gens, qui ne sont jamais venus au musée, vont décider de revenir car ils ont retiré quelque chose de leur visite ? En somme, mon objectif est moins le nombre de visiteurs qui viendront que ceux qui reviendront – nous sommes déjà en contact avec les universités d’Artois et de Lille pour faire réaliser des études à ce sujet. Aujourd’hui, l’enjeu principal est de faire venir le public éloigné des musées. Le musée joue ici un rôle social et économique avec cette idée qu’en transformant l’image du territoire, il peut être un facteur de développement.
D.B. : Qu’est ce que le projet apporte de nouveau pour la connaissance des œuvres ?
X.D. : Durant les huit années de réalisation du projet, il y a eu diverses campagnes de restauration, d’études ; des réattributions aussi comme ce plat attribué à l’école de Palissy et non plus à l’artiste lui-même. Nous rencontrons des surprises à tout moment. Nous exposons un portrait signé de Fragonard qui, selon une thèse, très sérieuse, présentée cet automne ne représenterait pas Diderot comme on l’a longtemps cru. Or, nous avons exposé à côté du portrait de Fragonard le buste de Diderot exécuté par Houdon et il se trouve qu’ils se ressemblent beaucoup ! C’est une invitation à approfondir la question. Le public habitué du musée ne sera pas déçu, car il va trouver à Lens une autre vision des œuvres du Louvre. Le fait de voir réunies en un même espace des objets d’art, des peintures et sculptures crée un nouveau rapport à l’œuvre. Je prends un exemple simple : à côté d’un tableau de Boucher, est présentée une porcelaine de Meissen et le jeu des correspondances fonctionne très bien. Pouvoir confronter des pièces Iznik, de la Majolique et un plat de Bernard Palissy ne se fait jamais. On en vient presque à oublier qu’il s’agit de céramiques faites en même temps pour le même public. La grande galerie n’est pas un grand désordre, elle a été pensée dans ses moindres détails, même si l’on peut y circuler librement sans suivre l’axe chronologique. Cette nouvelle confrontation des œuvres donne de nouvelles idées, crée plein d’envies de visites.
D.B. : Certains musées territoriaux pouvaient craindre que la venue du Louvre-Lens ne grève les budgets et ne rendent encore plus difficile les demandes d’emprunts à l’établissement parisien pour leurs propres projets. Qu’en pensez-vous ?
X.D. : Pour ce qui est d’emprunter des œuvres au Louvre, notre arrivée aide plus qu’elle ne complique les choses. Pour l’exposition consacrée à Corot, organisée à Douai l’an prochain, la venue du Louvre-Lens a facilité les démarches. Si le Louvre est venu à Lens, ce n’est pas pour rien : c’était la seule ville dépourvue de musée. Même si chacun d’entre eux accorde des subventions, le conseil général du Pas de Calais, contrairement à celui du Nord, n’a pas de musées départementaux et la région ne gère pas directement de musée. Le Louvre a toujours été très vigilant – et je continue à l’être – au fait que le Louvre-Lens soit inscrit sur sa propre ligne budgétaire, séparé de la ligne culture donc. Si on avait la même ligne culture, il pourrait, effectivement, y avoir un jeu de vases communicants, mais ce n’est pas le cas. Je ne dis pas que les budgets de la Culture dans la région sont en augmentation car, comme toutes les collectivités territoriales, la région est en crise. Mais il y a une vraie attention à ce que Louvre-Lens ne vienne pas grever les budgets. Je pense que les inquiétudes exprimées au départ ont, en majorité, disparu.
D.B. : Le pavillon de verre sera-t-il cet espace privilégié pour développer vos relations avec les autres musées du territoire ?
X.D. : Le pavillon de verre a été effectivement pensé comme un lieu pour faire dialoguer les œuvres du Louvre avec celles des musées de la région. Cela prendra la forme d’expositions dont le sujet sera une sorte de glose d’un thème traité dans la galerie du Temps. Ces expositions dureront dix mois afin de donner un autre rythme au musée. La première, « Le temps à l’œuvre », sera consacrée à la perception et la mesure du temps, aux traces qu’il peut laisser. Entièrement vitré, le pavillon de verre a été conçu comme un lieu de méditation après la galerie du Temps. Il expose les œuvres dans ses trois bulles opaques, mais c’est aussi un lieu où les visiteurs peuvent découvrir le parc et le patrimoine industriel environnant. Le pavillon de verre est une manière d’affirmer notre implantation sur le territoire. Un des objectifs forts du Louvre est d’attirer des visiteurs pour qu’ils aillent ensuite dans les autres musées de la région. Le Nord-Pas-de-Calais est une région très riche en musées, mais dont les habitants ignorent parfois la richesse. L’idée est de réussir, par différents moyens – comme un pass commun –, à faire du Louvre-Lens une porte d’entrée vers les autres musées de la région.
D.B. : Avec la galerie du Temps, le Louvre affirme sa vocation de musée « universel ». Pourtant, certaines civilisations en sont absentes – le musée ne conserve, par exemple, pas d’œuvres d’arts asiatiques. Comment combler ces manques et les porter à la connaissance du public ?
X.D. : Nous avons les mêmes limites que le Louvre. Pour les arts africains, présents au Louvre, au pavillon des Sessions, mais absents ici, nous ne pourrons répondre à la demande du public. Nous rencontrons aussi quelques problèmes avec certains publics, notamment dans le cadre de visites scolaires, qui s’attendent à voir de l’art moderne, des impressionnistes et Picasso, ou à être en prise directe avec les artistes contemporains. Ce n’est pas notre rôle. Il existe déjà de très beaux musées d’art moderne et contemporain sur le territoire et nous avons autre chose à apporter. Nous couvrons 5 500 ans d’histoire dans un domaine territorial qui est vaste, mais qui n’est pas tout. Cela est clairement expliqué à l’entrée de la galerie du Temps avec une table interactive. L’idée du Louvre-Lens et de mettre les collections de l’établissement public parisien, et les périodes qu’elles couvrent, au cœur des expositions même si cela ne nous interdit pas de déborder. On peut très bien envisager une exposition sur le monde perse ou l’Inde islamique qui nous amène à traiter de la Chine ou de l’Inde post-islamique. Pour ma part, je dis que nous sommes un musée encyclopédique mais pas universel.
Budget : 150 millions d’euros (financés à 59 % par la Région Nord-Pas-de-Calais, 20 % l’Europe, 6 % l’Agglomération et la ville, 6 % le département, 5 % le mécénat et 4 % l’État)
Surface totale : 28 000 m2
Galerie du temps et présentations renouvelées : 4 000 m2
Hall d’accueil : 4 000 m2
Expositions temporaires : 1 800 m2
Réserves : 1 000 m2
Auditorium : 950 m2
Superficie du terrain : 20 hectares
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Xavier Dectot, directeur du Louvre Lens - « Le musée joue un rôle social »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°380 du 30 novembre 2012, avec le titre suivant : Xavier Dectot, directeur du Louvre Lens - « Le musée joue un rôle social »