Technologie

Voir l’invisible

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 502 mots

Récemment inventée, la caméra multispectrale permet de s’immiscer au cœur de l’œuvre picturale comme jamais auparavant.

PARIS - L’année dernière, le Musée du Louvre révélait au public les couleurs d’origine de La Joconde après l’avoir virtuellement dévernie. L’opération avait été rendue possible grâce à une numérisation en très haute définition du tableau, fait d’arme d’un nouvel outil de pointe : la caméra multispectrale. Inventée par Pascal Cotte, il y a cinq ans, et diffusée par la société Lumière Technology, cette caméra permet de numériser les peintures avec une définition de 240 millions de pixels, soit une précision exceptionnelle. Chaque pigment du tableau peut être ainsi décortiqué et analysé. Dirigée par Jean Penicaut, Lumière Technology s’est récemment rendue à Cracovie, au Musée Czartoryski, où elle a photographié un autre tableau de Léonard : La Dame à l’Hermine. Rendus publics le 12 novembre, les résultats ont confirmé la présence d’un repeint noir uniforme sur la totalité du fond, à l’origine bleu, qui déborde sur les contours du visage et de l’épaule du personnage féminin, ou encore des repentirs au niveau de sa main et de la manche de sa robe. Ces analyses infrarouges sont venues compléter le travail de Jacques Franck, historien d’art expert de la technique picturale du maître italien, également présent à Cracovie.

Examen visuel
Après la numérisation et l’examen visuel de La Dame à l’Hermine, une restauration virtuelle a pu être proposée (voir photo ci-contre). « Il ne s’agit absolument pas de remplacer ou concurrencer le travail des experts et des scientifiques, mais bien de le compléter et de l’enrichir », insiste Jean Penicaut. Lors des journées du patrimoine 2007, Alain Tapié, directeur du Palais des beaux-arts de Lille, avait salué cette nouvelle technologie à laquelle il avait fait appel pour des démonstrations en public. À cette occasion également, l’historien d’art et des techniques artistiques, William Whitney, avait souligné l’importance de ce procédé « essentiel pour prendre des décisions en vue d’une restauration ». Et d’expliquer : « On évitera de prendre des décisions hâtives ou radicales, comme certains laboratoires nous y inciteraient, en dévernissant, par exemple, d’emblée une peinture, sans prendre la peine d’étudier couche par couche... ». La caméra multispectrale pourrait s’avérer très utile à la restauration et à la recherche, mais aussi à l’enseignement, à l’édition (pour des reproductions de qualité), ou encore à « l’identification des œuvres », ajoute Jean Penicaut, précisant tout de suite qu’il ne s’agit nullement « d’authentification », mais, une fois encore, d’apporter des éléments supplémentaires à l’œil de l’expert. « Nous avons toutes les cartes en mains pour lancer un véritable google-art ! Notre ambition est de créer une vaste base de données mondiale des pigments de la palette des peintres ; un corpus sur lequel pourraient s’appuyer les professionnels du monde entier », s’enthousiasme Jean Penicaut. Reste à convaincre un monde scientifique et des conservateurs aujourd’hui méfiants, voire, pour certains, hermétiques à une avancée technologique issue du secteur privé. Outre un outil formidable pour chacun des domaines évoqués, la caméra multispectrale pourrait mettre en réseau des univers trop souvent cloisonnés : laboratoires d’État, conservateurs, restaurateurs, historiens d’art, universitaires, collectionneurs et marchands.

http://www.lumiere-technology.com 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Voir l’invisible

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