ALBI
À Albi, dans l’ancien palais de la Berbie, le Musée Toulouse-Lautrec a rouvert ses portes au public après dix ans de travaux. L’occasion de redécouvrir la plus importante collection au monde d’œuvres de l’artiste.
Après onze ans de travaux de rénovation et de modernisation, le Musée Toulouse-Lautrec d’Albi achève enfin sa mue. Sis dans l’austère forteresse médiévale du palais de la Berbie, ancienne résidence épiscopale, il accueille depuis 1922 la plus grande collection d’œuvres du peintre des chaudes nuits parisiennes. Un écrin majestueux mais surprenant pour un musée dont la genèse est liée à la rocambolesque histoire du legs de la famille Toulouse-Lautrec, étrangement boudé par les grands musées nationaux.
De l’aristocratie albigeoise à la bohème de Montmartre
Issu d’une vieille famille de l’aristocratie du Sud-Ouest, Henri, comte de Toulouse-Lautrec, naît à Albi en 1864. Victime de graves problèmes de santé, il trouve dans le dessin un exutoire pour lequel il se révèle très doué et intègre à 18 ans l’atelier parisien de Bonnat puis celui de Cormon, à Montmartre. Sur la Butte, il découvre un monde chamarré, une vie nocturne trépidante où la bonne société vient s’encanailler dans les cabarets et les maisons closes.
Observateur privilégié et protagoniste de cet univers interlope, il est alors autant connu pour son travail de peintre et d’affichiste que pour son mode de vie débridé. De faible constitution, il ne résiste pas longtemps aux frasques de cette existence de bohème et disparaît prématurément en 1901, à peine âgé de 37 ans, laissant à sa famille une œuvre considérable mais sulfureuse, saluée par l’avant-garde mais fustigée par l’Académie et dénigrée par les institutions officielles.
De cuisants refus des institutions parisiennes
Ami et promoteur du travail d’Henri, Maurice Joyant est chargé par les parents du peintre de dresser l’inventaire des œuvres et du fonds d’atelier et de les proposer au musée le plus à même de les mettre en valeur. Sollicitée pour accueillir une impressionnante collection de lithographies, la Bibliothèque nationale accepte sur-le-champ. Enhardi par cet accord, Joyant propose au Musée du Luxembourg, alors Musée des artistes vivants, un legs conséquent de tableaux, d’affiches et de dessins de Toulouse-Lautrec. La déception est amère, car le musée ne retient que deux œuvres susceptibles de figurer sur ses cimaises.
Comme l’avait déjà démontré, cinq ans plus tôt, le refus initial de la donation Caillebotte, constituée d’icônes de l’impressionnisme, l’avant-garde n’a pas encore droit de cité dans les collections nationales. Le gestionnaire essuie plusieurs refus, mais continue de faire connaître l’œuvre au public au cours d’expositions.
En 1907, la monographie organisée à Toulouse joue un rôle crucial dans le destin du legs. Un notable d’Albi y donne une conférence sur le travail du peintre ; l’idée de proposer les œuvres à la ville natale de l’artiste s’impose donc tout naturellement. La municipalité accepte chaleureusement le legs, y voyant une opportunité exceptionnelle pour le rayonnement de la ville. La création du musée dans le palais épiscopal est rapidement entérinée et n’est ralentie que par le début de la guerre.
Dès 1919, les travaux d’aménagement muséographiques reprennent et les galeries Toulouse-Lautrec sont inaugurées en grande pompe en 1922 par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts Léon Bérard. Une présence officielle qui, de l’aveu même du politicien, a valeur « d’amende honorable ». Vingt ans après les premières démarches de la famille, le ton a changé ; il n’est plus au dénigrement, mais à la reconnaissance.
L'observateur
Représentation sans fard ni complaisance de la vie dans les maisons closes, les œuvres de Toulouse-Lautrec portent un regard dénué d’érotisme et quasi documentaire sur la prostitution. Saisie de manière photographique – une impression d’instantanéité procurée par le cadrage et la position dynamique de la femme au premier plan –, cette scène d’intimité projette littéralement le spectateur parmi les pensionnaires.
Le portraitiste
Surtout connu pour son talent de graphiste, l’artiste s’illustre aussi par ses qualités de coloriste, notamment dans ses nombreux portraits où il cherche à faire émerger la vérité psychologique de ses modèles par-delà le masque des conventions sociales. D’une facture très matiériste, La Modiste joue sur un puissant clair-obscur et des couleurs vibrantes comme le vert tendre de la blouse et la blondeur lumineuse de la chevelure.
L'affichiste
Fasciné par les vedettes des cabarets de Montmartre, Toulouse-Lautrec réalise de célèbres affiches dans lesquelles il renouvelle cet art avec des compositions très graphiques, qui empruntent à l’estampe japonaise : aplats de couleurs et silhouettes sans modelé. Il immortalise la stature d’Aristide Bruant, en traitant son corps de façon presque abstraite tout en rendant avec acuité les traits du visage du chansonnier.
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Toulouse-Lautrec, tête d'affiche albigeoise
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Abonnez-vous dès 1 €Musée Toulouse-Lautrec à Albi. Ouvert tous les jours de 9 h à 18 h durant la période du 21 juin au 30 septembre. Tarifs : 8 et 4 e. www.museetoulouselautrec.net
Inspiration japonaise et vice versa.
Du 28 juin au 22 juillet, l’exposition « Ukiyo-e, les maîtres de l’estampe japonaise » au Musée Toulouse-Lautrec présente la collection d’œuvres gravées de grands maîtres japonais, de Hokusai à Utamaro, du musée Isago no Sato de Kawasaki. L’esthétique de la gravure japonaise qui arrive peu à peu en Occident au XIXe siècle bouleverse les codes de la représentation occidentale et influence les avant-gardes françaises jusqu’au début du siècle suivant. En retour, dans sa confrontation à l’art européen, l’estampe japonaise subit quelques bouleversements perceptibles dans les œuvres les plus tardives de cette collection privée.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°648 du 1 juillet 2012, avec le titre suivant : Toulouse-Lautrec - tete d'affiche albigeoise