La plupart des sculptures de Tony Cragg semblent être animées d’un mouvement interne et leurs formes tourner sur elles-mêmes. Elles invitent de la sorte le spectateur à la déambulation et celui-ci les découvre alors dans la pleine richesse
de leur déclinaison.
Treize heures. Cela fait déjà près de quatre heures qu’ils sont sur le terrain au Musée d’art moderne de Saint-Étienne à installer ses sculptures, les uns perchés sur un élévateur à bien stabiliser une imposante pièce en bronze, les autres à disposer au sol toutes sortes de morceaux de plastique bleu sur un papier découpé en forme de croissant de lune, ceux-là enfin à empiler avec délicatesse tout un lot de grosses bonbonnes en verre opacifié. L’heure du déjeuner a sonné. Tony Cragg ne lâche pas ses assistants et tient à partager avec eux ce moment-là aussi. Ils s’attablent donc tous ensemble au restaurant du musée qui accueille le Britannique pour une nouvelle exposition de son travail. Saint-Étienne, Cragg connaît bien, il s’y sent un peu chez lui, le Musée d’art et d’industrie lui ayant offert sa première exposition institutionnelle en France. C’était en 1981, alors même qu’explosait cette « nouvelle sculpture anglaise » issue d’un curieux mélange entre l’héritage d’Henry Moore, la leçon d’Anthony Caro et l’influence du pop art (natif de Grande-Bretagne – faut-il le rappeler ? – avant que de trouver ancrage aux États-Unis).
Comme un souffle qui anime les formes
Originaire de Liverpool, la soixantaine à mi-chemin, Tony Cragg, qui s’est installé à Wuppertal en Allemagne dès 1977, n’en a rien perdu ni de ce flegme souriant, ni de l’allure quelque peu raide qui sont typiquement british. Aux dires de ceux qui le connaissent bien, Cragg a un humour fou. Le cheveu ras, les lunettes claires, il est vêtu ce jour-là d’une simple tenue de travail qui ne le distingue guère de ses collaborateurs. C’est qu’il est aussi un homme simple et serein qui, au travail, fait preuve d’une forte détermination.
À considérer son parcours, on pourrait s’étonner que cet artiste, qui a tout d’abord exploité les ressources plastiques de l’objet de récupération dans des assemblages établis au sol comme au mur, en relation parfois de sens avec l’un de ces objets, en soit venu à utiliser des matériaux davantage traditionnels et à constituer des sculptures en ronde-bosse sur le mode abstrait. C’est précisément ce qu’apprécie chez lui, quelqu’un comme Jean-Hubert Martin qui l’a bien connu du temps où il dirigeait le Kunstmuseum Palace de Düsseldorf : « Tony Cragg a une incroyable capacité à se renouveler, à inventer des formes et à les développer. J’ai toujours été frappé aussi par la façon dont il s’empare de la matière pour lui donner toutes sortes de formes inédites et comment il sait se servir du vide. Il y a une espèce de directive chez lui extrêmement complexe et diversifiée de la forme qui en fait l’un des artistes les plus singuliers qui soient. » Ce sont là en effet les qualités que l’on trouve au Musée d’art moderne de Saint-Étienne dans le rassemblement d’œuvres récentes que Lóránd Hegyi, le directeur, a orchestré en toute complicité avec l’artiste.
Plastique, marbre, acier, fibre de verre, bronze, bois, Tony Cragg joue des matériaux comme un alchimiste pour informer tout un monde de figures étranges qui en appellent à des références paradoxalement familières. Parce qu’elles évoquent la vie et ses mouvements d’humeur, parce qu’elles renvoient à un monde primordial, aussi bien végétal que minéral, et finalement parce qu’elles réfèrent au corps. Quelque chose d’un souffle paraît les animer, entre le vivant et l’artificiel.
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Tony Cragg, la passion des matériaux
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Abonnez-vous dès 1 €Musée d’art moderne Saint-Étienne Métropole, rue Fernand-Léger, Saint-Priest-en-Jarez (42). Tous les jours de 10 h à 18 h, sauf les mardis. Tarifs : 5 et 4 €. Jusqu’au 5 janvier 2014. www.mam-st-etienne.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°662 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Tony Cragg, la passion des matériaux