Suisse, un nouveau musée privé consacré à l’école de Genève

Jussy, Suisse. Parfois, il suffit d’un déclic pour que soient posés les jalons d’une affinité artistique. Pour Yves Micheli, qui expose au public, depuis le début de l’été, sa collection privée dans sa propriété familiale, le château du Crest, tout commence par un souvenir d’enfance : « Mon père a apporté à la maison pour Noël 1946 un petit tableau d’Alexandre Calame intitulé “Dans les bois de Jussy” qui m’a fasciné, voire subjugué, du haut de mes dix ans. Ce premier tableau a été suivi par quelques autres, si bien que je me suis tout naturellement mis à acquérir moi-même des tableaux de peintres genevois. »

Si la région ne manque ni de collectionneurs, ni de mécènes, ni de musées privés, cette collection, abritée au château du Crest, à Jussy, à la frontière avec la Savoie, intégrée depuis 1995 à la Fondation Micheli-du-Crest, a la particularité d’être entièrement consacrée à la peinture de l’école genevoise. En cela, elle constitue une gageure, avec une ligne clairement assumée par le collectionneur octogénaire : « Je crains qu’aujourd’hui il soit de bon ton, socialement parlant, de posséder et d’afficher des peintures modernes susceptibles d’impressionner ses visiteurs, de montrer qu’on est “in” et, subsidiairement, assez riche pour se les offrir ! Lorsque j’ai parlé de mon projet à de prétendus connaisseurs, on m’a parfois traité de “ringard”, voire de “collectionneur de cartes postales”. Peu me chaut, car il y a pléthore de merveilleux artistes genevois souvent méconnus, pour ne pas dire inconnus, que je souhaite faire découvrir, ou redécouvrir. »

Des 200 œuvres qui constituent la collection d’Yves Micheli – qui sera enrichie au fil du temps –, une centaine est présentée dans les nouveaux espaces du musée, constitués de deux grandes salles. On trouve surtout des peintures, quelques sculptures et dessins, tous estampillés « école de Genève ». Le parcours de l’exposition est chronologique, de la fin du XVIIe siècle au milieu du XXe. Les artistes exposés sont nés à Genève, y ont étudié ou y ont effectué la majeure partie de leur carrière.

Dans l’histoire de l’art helvétique, Genève fait office de creuset artistique pour plusieurs générations d’artistes, qui se sont en particulier illustrés dans la peinture de paysage, où les vues de montagnes le disputent à des représentations du lac Léman, véritable joyau pour les peintres régionaux. La « Collection du Crest » est composée d’artistes qui ont dominé la scène genevoise : des portraits au pastel de Jean-Étienne Liotard, des paysages et peintures de genre de Wolfgang-Adam Töpffer, des toiles animalières signées Jacques-Laurent Agasse – une célébrité en son temps qui s’est établi à Londres comme peintre de chevaux et de chiens de l’aristocratie anglaise –, mais aussi des maîtres du paysage romantique suisse (Alexandre Calame, François Diday, Albert Lugardon), sans oublier des tableaux de Barthélemy Menn, qui a formé toute une génération d’artistes à la peinture en plein air – Auguste Baud-Bovy, Albert Trachsel et Édouard Vallet, mais surtout Ferdinand Hodler.

« Partager notre passion en espérant contribuer à la promotion de cette peinture si peu et si mal connue, voire provoquer des vocations ! », annonce Yves Micheli, qui rêve d’allier découverte de l’art local et celle du vin, issu de son domaine viticole. Reste pour ce tout jeune musée à trouver son public alors que cette peinture, naguère collectionnée, est aujourd’hui discréditée pour son régionalisme. Pour Philippe Clerc, historien d’art genevois et conservateur de la collection, « le désintérêt n’est malheureusement pas propre à Genève et me paraît assez généralisé en Suisse romande. La peinture régionale est peu à la mode, laissée de côté au profit des grandes tendances contemporaines ou de grands noms internationaux. Il ne faut pas se leurrer, il y a une certaine forme de snobisme tant chez les collectionneurs que dans les institutions. » Rien d’étonnant donc à ce que cette initiative relève du privé. « L’ouverture de la “Collection du Crest” est un premier jalon important qui, je l’espère, permettra de remettre en lumière tout ou partie de ce riche patrimoine artistique », s’enthousiasme le conservateur.