Pour la première fois, le Getty Conservation Institute s’est engagé dans un projet local à Los Angeles : la restauration d’une peinture murale de l’artiste mexicain David Siqueiros. En dévoilant à nouveau le brûlant message politique de l’œuvre, l’intervention a soulevé une violente controverse, alimentée par les conservateurs.
LONDRES (de notre correspondante) - Le projet de restauration, à Los Angeles, d’América Tropical, œuvre du muraliste mexicain David Alfaro Siqueiros, a provoqué de violentes réactions qui montrent la constance de son message violemment anti-impérialiste, aussi corrosif qu’à l’époque de son inauguration. Le coût de l’opération – trois millions de dollars (18 millions de francs) versés notamment par le Getty Conservation Institute (GCI) – a attisé la colère de ses détracteurs, qui crient au gaspillage.
En juin 1932, F.K. Ferencz, directeur de la Plaza Art Gallery dans Olvera Street, avait commandé à Siqueiros, communiste déclaré, une peinture murale pour la façade de son bâtiment. Un choix cohérent quand on sait qu’Olvera Street est située dans le plus ancien quartier de Los Angeles, le pueblo espagnol à l’origine de la ville. Restaurée en 1930, la rue est aujourd’hui un lieu pittoresque et animé, dont les boutiques pour touristes vendent des sombreros et toute une gamme de gadgets témoignant de son héritage latino-américain.
Le thème du mural de Siqueiros, América Tropical (l’Amérique tropicale), devait donner à la rue l’atmosphère colorée d’une jungle paradisiaque. Assisté par une équipe d’illustrateurs, de muralistes et de décorateurs, Siqueiros y travaille d’août à octobre 1932. Il dessine une jungle dense envahissant les ruines d’une pyramide maya. La veille de l’inauguration, il donne congé à ses collaborateurs, puis, armé d’une bombe de peinture, passe la nuit à compléter son œuvre : au centre de la fresque, il rajoute un Indien mexicain crucifié, surmonté de l’aigle américain. Le scandale est immédiat. La partie de l’œuvre visible depuis la rue est aussitôt recouverte de peinture blanche et, au cours de l’année suivante, l’ensemble de la fresque disparaît sous des couches d’enduit. Siqueiros, alors professeur à la Chouinard Art School de Los Angeles, ne peut obtenir le renouvellement de son visa et est expulsé du territoire américain. Quant à F.K. Ferencz, il doit rendre des comptes au sénateur McCarthy.
Le mural est demeuré dans l’oubli durant des décennies, avant qu’en 1988, le GCI ne s’associe à El Pueblo – l’administration municipale dont dépend Olvera Street –, à la Ville de Los Angeles et aux Amis de la Fondation Arts of Mexico, pour le restaurer et le rendre accessible au public. Le mur du bâtiment servant de support à la fresque a été stabilisé, et les couches de peinture blanche ont pu être éliminées. D’ici dix-huit mois, l’œuvre, qui a souffert du soleil, de la pluie, de la pollution et des tremblements de terre, sera remise en état. La construction d’une enceinte de protection ainsi qu’une exposition permanente sur son historique sont prévues.
Le Getty, qui a participé à hauteur de 25 millions de dollars à différents projets de conservation dans le monde en 1996, n’a pas pour habitude de financer des projets aussi proches géographiquement de son siège. Giora Solar, directrice du département de conservation du GCI, affirme que ce n’est pas faute d’avoir essayé : “Nous sommes rarement contactés par les institutions locales, et nous sommes heureux de pouvoir aider la région dans laquelle nous sommes installés.”
Cependant, la restauration de la fresque ne fait pas que des heureux. Dans une déclaration au Washington Post, Leslie Dutton, animatrice d’une émission sur la vie publique pour une chaîne câblée, a accusé les conférenciers du Getty d’avoir dénigré les hommes politiques de Los Angeles responsables de l’effacement du mural. Ils les auraient décrits comme des “capitalistes élitistes et impérialistes aux intentions racistes”. Leslie Dutton, qui a consacré un cycle d’émissions télévisées à la fresque, a demandé son avis à Michael Warder, vice-président de la commission pour le développement au Claremont Institute, un conservateur pur et dur. Il estime que le projet est un gaspillage de l’argent des contribuables mais, surtout, considère l’œuvre comme une menace, car elle encourage les gens à penser en termes de “race” et de “classe sociale”. Il a même déclaré : “Si Siqueiros avait été un artiste nazi et s’il avait dessiné une croix gammée, pourrait-on dire : ‘Oui, c’est vrai, c’était un nazi, mais c’était aussi un bon muraliste’ ?”.
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Subversif Siqueiros
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : Subversif Siqueiros