Préservation nucléaire

La technologie de l’atome au service de l’archéologie

Le Journal des Arts

Le 1 février 1997 - 687 mots

Installé dans l’enceinte du Centre d’études nucléaires de Grenoble, l’Atelier régional de conservation (ARC) Nucléart est spécialisé dans le traitement des bois gorgés d’eau et des matières organiques venus de toute la France. Il développe depuis plus de vingt ans des techniques dérivées du nucléaire pour permettre aux objets de fouilles, restés stables aussi longtemps que leur milieu d’immersion ou d’enfouissement n’est pas altéré mais qui se déforment et disparaissent dès qu’ils sont exposés à l’air, de conserver leur aspect initial.

GRENOBLE - Après plusieurs siècles au fond d’un puits de Corrèze, le ramassis de lanières en cuir exhumé lors d’une fouille archéologique a retrouvé sa forme initiale : un seau à pans cousus. Mais entre la découverte et l’exposition, les étapes nécessaires à sa reconstitution ont mis en œuvre une technologie hautement sophistiquée et un savoir-faire unique.

Ces reliques humides sont lentement imprégnées de polyéthylèneglycol (PEG). Le cuir ainsi apprêté passe alors dans un lyophilisateur qui réfrigère l’eau à moins 25° : à cette température, l’eau ne se dilate pas et se condense sous forme de micro-billes, le PEG agissant comme un cryo-protecteur. Les lanières sont alors mises sous vide d’air, et l’eau passe directement de l’état solide à l’état gazeux, laissant sa place au PEG. L’opération est dénommée poétiquement "sublimation de l’eau". Cette délicate phase technique effectuée, il faut ensuite assembler le puzzle, ce qui sera fait par le restaurateur spécialisé dans les cuirs. L’objet retrouve alors son apparence et jusqu’à sa souplesse originelle.

Les pièces en bois sont en général traitées par un autre procédé tout aussi impressionnant d’efficacité, même s’il est nettement plus long puisqu’il peut s’étendre sur deux années. Le bois est immergé dans une solution d’acétone qui se substitue à l’eau. Ensuite, on ajoute une résine radiodurcissable qui prend à son tour la place de l’acétone. Enfin, la pièce est bombardée aux rayons gamma (cobalt 60) dans une casemate en béton. La résine se solidifie alors au cœur même du bois et le rend quasiment imputrescible.

GIPC subventionné
Installé depuis 1970 dans l’enceinte du Centre d’études nucléaires (CEA) de Grenoble, le laboratoire ARC Nucléart a commencé à susciter l’intérêt du ministère de la Culture en 1981. L’impressionnant dispositif qui permet la préservation des matériaux de fouilles venus de toute la France – plus de 8 000 objets sont en attente dans les réserves ! – est logé dans un bâtiment de 3 000 m2 où travaillent seize personnes, dont cinq ingénieurs en physique-chimie et trois restaurateurs spécialisés. ARC Nucléart dispose d’un budget annuel de dix millions de francs, dont deux proviennent de ses clients, musées et collections publiques pour l’essentiel. 

Nucléart est aujourd’hui doté d’une structure juridique solide, un Groupement d’intérêt économique culturel (GIPC), formule originale qui permet au laboratoire de multiplier les soutiens institutionnels. Il est subventionné par le CEA, le ministère de la Culture, la Région Rhône-Alpes, la Ville de Grenoble, et bientôt par le département de l’Isère. Ce statut lui permet aussi de développer des brevets et licences avec des par­tenaires industriels.

Il a ainsi sous-traité sa technique de solidification du bois avec Densbois, une société installée dans l’Aube. Densbois fabrique des parquets quasiment indestructibles, utilisés dans les lieux de fort passage. Il s’agit là d’une première application, mais cette technique permet aussi de travailler le bois comme un plastique. Nucléart devrait se tourner prochainement vers d’autres entreprises, comme par exemple la fabrication de tableaux de bord pour la construction automobile…

Développer la recherche
Si Nucléart est très performant pour le traitement des objets, ses capacités de recherche sont limitées du fait même de son succès. Le laboratoire doit notamment se perfectionner pour les objets en bois où se trouvent des restes de fer, car le traitement endommage les parties métalliques. Aussi Nucléart essaie-t-il de développer de nouvelles techniques, ce qui, de l’aveu même de son directeur Philippe Cœuré, n’est "pas simple, car les ingénieurs font de la recherche entre deux prestations de services. Dans ces conditions, les progrès sont très lents". Cependant, Nucléart bénéficie d’un environnement favorable et peut s’immiscer dans des recherches menées par le CEA, comme celles portant sur les techniques d’imprégnation du CEA de Cadarache.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : Préservation nucléaire

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