LAUSANNE / SUISSE
Depuis le 1er janvier, cet historien suisse dirige la fondation Plateforme 10 à Lausanne, un pôle muséal qui dessine le nouveau « quartier des arts » de la ville. Il le veut vivant et convivial, à l’image du Lieu unique à Nantes qu’il vient de quitter.
Lausanne (Suisse). « Le mot-clé de mon parcours, c’est l’histoire, les histoires, mettre en récit un projet », confie Patrick Gyger ; une profession de foi bien en adéquation avec sa formation d’historien. Après une enfance passée au Brésil où il naît en 1971 et un retour en Suisse à l’âge de 8 ans, cet adepte des romans de chevalerie choisit d’étudier l’histoire à l’université de Lausanne et se spécialise en histoire médiévale. Sa thèse se voit même publiée en 1998 sous le titre : « L’épée et la corde. Criminalité et justice à Fribourg (1475-1505) ». Puis, tout va très vite pour le jeune historien suisse : en 1999, à 27 ans, il est nommé directeur de la Maison d’Ailleurs, un ovni muséal créé en 1976 par un Français passionné de science-fiction, Pierre Versins. Cette collection unique spécialisée dans « la science-fiction, l’utopie et les voyages extraordinaires », qui avait emménagé en Suisse dans la ville thermale vaudoise d’Yverdon-les-Bains avant de tomber en déshérence, représente une étape fondatrice pour Patrick Gyger : « La Maison d’Ailleurs a été très importante car j’y ai fait mes armes. » Daniel von Siebenthal, ancien conseiller municipal chargé de la culture, raconte : « Lorsque Patrick Gyger est entré en fonction à la Maison d’Ailleurs, il a dû reconstruire un lieu culturel en ruine. Il l’a fait avec beaucoup de tact et de patience. Il a su se faire humble. Il sait créer pas à pas, faire avec les moyens à disposition. » Filant la métaphore, l’ancien responsable politique n’hésite pas à le décrire comme un « extraterrestre », « doté d’une grande culture, transversale, d’une capacité tout à fait extraordinaire à créer les passerelles entre les mondes politique, culturel et scientifique ».
En l’espace de douze ans, Patrick Gyger a su asseoir la crédibilité et favoriser le rayonnement de ce lieu original, notamment avec l’ouverture d’un espace consacré à Jules Verne en 2008 grâce à la donation d’un collectionneur suisse. Sa stratégie a porté ses fruits : « J’ai montré qu’il était possible, pour un lieu petit mais à la programmation pointue, avec des partenaires importants et internationaux, d’attirer l’attention du public et de l’intérêt de partout, d’être pertinent localement également. »
Jules Verne, le natif de Nantes, aurait-il été à l’origine d’un certain appel du large ? En 2011, Patrick Gyger quitte les rives du lac de Neuchâtel pour prendre les commandes du grand vaisseau culturel de la cité nantaise, le Lieu unique. Il restera dix ans à la tête de ce pôle culturel et artistique qui naquit dans les années 1990 sur le site abandonné d’une usine de la biscuiterie LU. « Un lieu de veille sur l’art et sur la ville ; un lieu d’expérimentations et d’utopies utiles », comme il a pu le décrire au quotidien genevois Le Temps à la veille de sa prise de fonction en 2011. L’utopie, un second mot-clé qui a cadré avec cette étape nantaise : « Je m’intéresse à l’histoire, au chemin parcouru, mais aussi, en parallèle, à des visions d’un avenir désirable, qu’il reste à construire et qu’il me paraît indispensable d’invoquer. La science-fiction est inféodée à cette notion », reconnaît-il. Suivant cette ligne rouge, l’impulsion a été multiple : les « arts numériques, étranges, populaires, bruts » sont les bienvenus ; le spectre des activités culturelles est élargi avec la création de nouveaux festivals, l’ouverture aux débats géopolitiques, à la littérature ou aux questions philosophiques – au détriment peut-être, pour de rares voix critiques, de la création théâtrale ou chorégraphique. Son ancrage dans le territoire nantais s’affirme et son succès se mesure à une fréquentation évaluée à 500 000 visiteurs annuels.
Cette dernière décennie a eu des répercussions importantes sur l’historien suisse : « Le Lieu unique m’a transformé en tant que professionnel, en dirigeant une équipe importante, en gérant un budget conséquent, en créant un espace de liberté très fort. Nantes m’a transformé dans son rapport à l’art, à l’accueil du public, à la métamorphose d’une ville par la culture. Et puis, j’y ai eu un enfant, j’y ai construit des rapports personnels forts, aussi », confie-t-il.
Son retour en Suisse, et qui plus est dans le canton de Vaud, était, de son propre aveu, non programmé. Choisi en septembre 2020 parmi 50 candidats par les ministres vaudois qui vantent autant ses « qualités managériales » que sa « capacité d’innover », c’est un vrai défi qui attend Patrick Gyger à la tête de cette fondation nouvellement créée, « Plateforme 10 » : l’entité rassemble trois musées (le Musée cantonal des beaux-arts, le Musée de l’Élysée spécialisé dans la photographie et le Mudac [Musée de design et d’arts appliqués contemporains], ainsi que deux fondations, Félix Vallotton et Toms Pauli) sur le même site d’une ancienne friche ferroviaire réaménagée dans le quartier de la gare à Lausanne. Le Musée des beaux-arts a été inauguré en octobre 2019 tandis que les deux autres devraient emménager en 2022.
Patrick Gyger ambitionne de donner vie à un quartier des arts animé et convivial d’un genre nouveau. S’il relève que les quartiers des arts sont aujourd’hui nombreux, il déplore qu’ils soient« le plus souvent des additions de musées qui ne sont liés que par des structures administratives ». L’expérience nantaise demeure donc pour lui une source d’inspiration pour le projet lausannois car cette bouillonnante institution culturelle a fait ses preuves : « Nous avons démontré avec le Lieu unique que l’expérience sensible associée à la qualité intellectuelle et artistique des projets sont compatibles avec la convivialité et l’attractivité. Nous avons proposé des projets forts et parfois complexes à un public qui ne venait pas forcément pour les propositions culturelles. » Mais comment s’imagine-t-il aujourd’hui en chef d’orchestre de ce projet, collaborant avec trois directeurs de musée ? « Il faut mutualiser trois institutions qui étaient administrativement différentes, fédérer les équipes et les énergies. C’est un travail d’harmonisation globale, en imaginant un tout qui dépasse les parties. Et pour moi, le défi c’est d’impulser, de donner des lignes, tout en laissant de la liberté aux entités qui composent le projet.»
Pour réussir, le nouveau directeur devra vraisemblablement user d’un talent de négociateur, une qualité que lui prête Daniel von Siebenthal qui le décrit comme un « rassembleur, non polémique », de même que le photographe Mario Del Curto qui a travaillé avec lui au Lieu unique et qui note que « tout en étant exigeant, il sait rassembler, patiemment, pour réaliser son projet ». Reste donc à écrire, à plusieurs mains, l’histoire de Plateforme 10.
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Patrick Gyger, un chef d’orchestre pour « Plateforme 10 »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°560 du 5 février 2021, avec le titre suivant : Patrick Gyger Un chef d’orchestre pour « Plateforme 10 »