Matthieu Gilles, conservateur du Musée départemental d’art ancien et contemporain d’Épinal, a sélectionné Le Bain de Diane, une œuvre d’Antoine Coypel.
À la fin d’une journée de chasse, Diane et ses compagnes s’arrêtent au bord d’un ruisseau pour le bain de la déesse ; les rayons du soleil couchant éclairent les jeunes suivantes qui s’occupent de dévêtir leur maîtresse : l’une lui enlève sa sandale, une autre son carquois, une troisième lui présente un panier de fruits. Tout dans cette scène au coloris chaud et chatoyant respire une sensualité fraîche et légère, pas trop appuyée : les jeunes filles et la déesse sont en train de se dénuder, mais on ne voit tout au plus qu’un bout de sein. Si Antoine Coypel montre, par son talent de coloriste, qu’il a médité l’exemple des poésies du Titien ou du Corrège, la mode, en cette France de la fin du xviie siècle, est plus aux nudités voilées. Deux personnages à peine visibles courent au fond du tableau à gauche, donnant une légère touche de mystère à l’œuvre : s’agit-il de deux chasseresses rejoignant la déesse et ses compagnes, ou y a-t-il là une allusion à un autre mythe, celui d’Actéon ou de Callisto ? L’échelle de ces figures est trop réduite pour le déterminer sans conteste. Cette toile est tout à fait typique du renouveau qu’Antoine Coypel, l’un des élèves les plus originaux de Charles Le Brun, insuffle à la peinture française à la fin du règne de Louis XIV : les tonalités chaudes sont très largement dominantes et indiquent clairement que le peintre fut l’un des principaux acteurs de la victoire des rubénistes (ou coloristes), qui luttaient contre les poussinistes dans la querelle du coloris qui agita la France quelques années auparavant. La magnifique nature morte du panier de fruits est d’ailleurs, quasiment à elle seule, un manifeste : Roger de Piles, héraut et théoricien des coloristes, comparait le tableau à une grappe de raisin qui accroche la lumière et renvoie des reflets colorés ; or, si l’on regarde bien, le tableau est lui-même construit sur ce principe de la grappe éclairée, avec sa composition en demi-cercle. Au tournant du siècle, on assiste à une détente très nette dans l’art français : la hiérarchie des genres commence à se disloquer, l’aimable est préféré à l’héroïque ; Watteau n’est pas loin. Le but avoué de la peinture d’Antoine Coypel est alors de séduire et de plaire, en s’inspirant des réussites des plus grands maîtres. Le risque de cet éclectisme est, bien sûr, de tomber dans le pastiche et la fadeur ; Coypel parvient ici à éviter cet écueil grâce aux magnifiques morceaux de peinture du tableau (la nature morte, les éclaboussures dans l’eau), et par ces types de visages de jeunes adolescentes qui, s’ils empruntent au Corrège, n’en sont pas moins pour certains une création très personnelle de l’artiste, donnant une fraîcheur inédite à l’œuvre. Pour Diane d’ailleurs, par contraste, le peintre choisit un visage assez typé, un peu joufflu, au point qu’on pourrait se demander s’il ne s’agit pas d’un portrait, camouflé ou non ; le commanditaire de l’œuvre n’est malheureusement pas connu avec certitude. Toujours est-il que ce tableau fut acheté par les princes de Salm dans la seconde moitié du XVIIIe siècle pour leur château de Senones dans les Vosges, où il fut saisi lors de la Révolution avec le reste de la collection, formant ainsi le tout premier fonds du Musée départemental d’art ancien et contemporain d’Épinal.
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Matthieu Gilles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Matthieu Gilles