États-Unis - Collectionneurs

Los Angeles prise à nouveau de vertige

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2017 - 558 mots

LOS ANGELES / ETATS-UNIS

ART CONTEMPORAIN. Digne d’Hollywood, Los Angeles redonne le vertige. Autrefois, ici comme ailleurs aux États-Unis, les collectionneurs soucieux de pérennité remettaient leurs trophées à des institutions publiques.

En 2015, le riche Eli Broad a brisé ce rituel en préférant ouvrir un musée affichant son nom, de surcroît en face de l’institution publique phare de la ville, le MoCA (Museum of Contemporary Art). Moins de deux ans plus tard, les fondateurs des jeans Guess, les frères Paul et Maurice Marciano lui emboîtent le pas dans la métropole californienne et inaugurent leur fondation, autre visage d’une génération d’entrepreneurs-collectionneurs faisant leurs armes avec la création de la dernière décennie.

Après avoir quitté, au début des années 1980, la France pour la Californie, la fratrie fait fortune grâce à une relance opportune du tissu denim et à d’ostentatoires publicités avec Claudia Schiffer. Les Marciano disent avoir commencé à acheter sérieusement le contemporain il y a dix ans seulement, sans conseiller, suivant leur impulsion, en contact direct avec des artistes et des galeristes. Une compulsion accélérée si l’on songe à Eugenio López, héritier des jus de fruits Jumex, collectionneur d’art latino-américain et international, qui a attendu vingt ans avant d’ouvrir son propre musée à Mexico, en 2013. C’est l’année où les Marciano achètent un temple maçonnique. « Ce sera l’un des espaces les plus importants pour l’art contemporain dans tout le pays », disait Jeffrey Deitch, à l’époque directeur du MoCA. En convertissant un tel bâtiment plutôt qu’en construisant du nouveau, la Marciano Art Foundation (MAF) voulait déjà se distinguer. Aujourd’hui, elle récuse le terme de musée pour s’affirmer comme un « forum », ouvert, gratuitement, trois jours par semaine mais sur réservation uniquement, laquelle est complète jusqu’à fin juin.

La MAF prétend ne pas vouloir entrer en compétition avec les institutions présentes à L.A. Mais déjà des comparaisons s’établissent. 1 500 œuvres pour la MAF (5 100 mètres carrés d’exposition), 2 000 pour « The Broad » (4 600 m2). 39 des 310 artistes présents dans la première le sont également dans le second, tels El Anatsui, Mark Bradford, George Condo, Damien Hirst, Thomas Houseago, Mike Kelley, Jeff Koons, Louise Lawler, Richard Prince, Christopher Wool… Glenn Ligon et Takashi Murakami. Pour ces deux derniers, chacune des collections possède une édition de la même œuvre. Cela permet à la critique américaine de parler de consensus, de déjà-vu, et au Los Angeles Times d’avoir eu l’impression de visiter l’alignement des stands d’une foire.

Et Paris, face à ces initiatives ? Deux faits majeurs interviendront l’an prochain. D’abord, la fermeture de La Maison rouge, lieu d’exposition de la Fondation Antoine-de-Galbert. Depuis 2004, expositions thématiques et monographies ont consacré sa singularité dans l’art contemporain. La Maison rouge est en droit d’affirmer qu’elle a « toujours ignoré les méthodes de l’industrie culturelle, critiqué l’opportunisme des coups faciles ». Ce sera une perte indéniable. Faute de capitaux, Antoine de Galbert réoriente son initiative individuelle de mécène. À l’inverse, à la fin de l’année 2018 devrait ouvrir en plein centre de Paris, à la Bourse de commerce, le « musée François Pinault », soit 4 000 mètres carrés s’ajoutant aux 5 500 de ses espaces d’exposition à Venise. Un musée qui sera situé à quelques bordées de la Fondation Louis Vuitton et très proche du Centre Pompidou. Mais, comme à L.A., il serait inconvenant de parler de compétition.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : Los Angeles prise à nouveau de vertige

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