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Fusion-acquisition

Los Angeles : le MoCA face à son destin

Cinq ans après son sauvetage financier, le MoCA est encore en plein naufrage. Il a pour l’instant refusé que le Lacma lui porte secours

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2013 - 999 mots

Cinq ans après le plan de sauvetage orchestré par le philanthrope milliardaire Eli Broad, le Museum of Contemporary Art de Los Angeles doit une nouvelle fois choisir entre son indépendance et un mariage salvateur. Son nouveau directeur n’a pas su renflouer son fonds de dotation, la programmation s’est étiolée et la conservation a été fragilisée.

LOS ANGELES - Et bis repetita. Pour la seconde fois en cinq ans, le Museum of Contemporary Art de Los Angeles (MoCA) se retrouve dans une situation inquiétante. En 2008, les déboires du musée d’art contemporain le plus important du pays avaient déjà fait les gros titres. Aussi riche soit sa programmation, aussi révérées soient ses expositions, aussi intelligentes soient ses acquisitions, le musée tournait à perte. Il s’était même résolu à enfreindre son règlement en puisant dans son maigre fonds de dotation. Sa réputation était alors telle que les artistes, l’élite philanthropique de la ville et le public se sont mobilisés. Les administrateurs se sont dit ouverts à toute proposition, et l’auguste Los Angeles County Museum of Art (Lacma) a aussitôt offert de prendre le musée sous sa coupe. Chérissant son indépendance, le MoCA lui préféra le plan de sauvetage de l’un de ses anciens administrateurs-fondateurs, Eli Broad : 15 millions de dollars potentiels sur cinq ans pour la programmation, et 15 autres millions  pour le fonds de dotation – pour toucher un million d’Eli Broad, le musée doit en avoir levé autant de son côté.

Enchaînement de choix inconséquents
Le musée a-t-il vraiment été sauvé ? Le directeur Jeremy Strick, auquel le musée doit son excellente réputation scientifique, fut remplacé sous les sifflets par une star du marché new-yorkais Jeffrey Deitch. Comme pour conjurer le sort, un nouvel esprit tape-à-l’œil souffla sur le musée qui multiplia les événements à sensation, tandis que la programmation s’étiolait. En juin dernier, Paul Schimmel, le chef historique de la conservation, fut renvoyé. En signe de protestation, les artistes John Baldessari, Barbara Kruger, Ed Ruscha et Catherine Opie rendirent leurs tabliers d’administrateur. Jeffrey Deitch, dont l’intérêt pour la gestion financière et le talent de leveur de fonds se révélèrent nuls, s’empressa d’endosser le rôle de Schimmel. Si la mésentente entre les deux hommes est connue, un témoin proche remarque que Deitch, conscient de l’atout que représentait Schimmel, est trop intelligent pour être soupçonné d’avoir demandé sa tête. Un détail mérite d’être relevé : l’annonce du départ de Schimmel fut faite par le conseil du musée, et non son directeur. Et notre observateur de souligner que des administrateurs faisant preuve d’une telle ingérence trahit la faiblesse et la fragilité institutionnelle du MoCA. En cinq ans, la situation a empiré. Jeffrey Deitch est devenu un directeur fantôme, les licenciements économiques se multiplient et seuls subsistent deux conservateurs. La campagne de collecte de fonds n’a atteint que 6,25 millions de dollars, privant le fonds de dotation de 8,75 millions potentiels. Et en 2013, le musée jouira de ses 3 millions annuels pour la dernière fois. Forcé de trouver une solution, le conseil poursuit sa politique interventionniste et a rouvert son carnet d’adresses.

L’ombre d’Eli Broad
Le Lacma saute à nouveau sur l’occasion rêvée d’absorber une collection riche de 6 000 pièces, estimée entre 2 à 3 milliards de dollars. Son directeur Michael Govan a même promis de lever 100 millions de dollars en guise de dot. Le couple deviendrait, de fait, l’institution la plus importante de la côte Ouest des États-Unis, et ce pour une bouchée de pain. Cette fois, point de levée de bouclier comme en 2008. La résignation s’est emparée des défenseurs du musée car, tenu d’une main de fer par Eli Broad, le MoCA de 2012 n’est plus celui de 2008. Pourtant, quinze jours après l’annonce de la proposition de mariage du Lacma, le MoCA brouille les pistes et réaffirme haut et fort son désir d’indépendance… Rappelons qu’Eli Broad et Michael Govan sont les meilleurs ennemis du monde. Derrière son sourire de façade, le directeur du Lacma n’a jamais pardonné au mécène de lui avoir promis sa collection pour ensuite préférer construire un musée à son nom… pile en face du MoCA.

À moins que tous ses richissimes administrateurs passent à la caisse, le MoCA devra se résoudre à une alliance. Créé avec un fonds de dotation chétif, il n’a jamais pu rivaliser avec les institutions locales – le Lacma est financé à 40 % par le comté de Los Angeles, le Hammer Museum a été absorbé 4 ans après sa création par l’University California Los Angeles (UCLA). Or Eli Broad, en sauvant le musée de la faillite, a dûment verrouillé le terrain en imposant une clause de non-fusion valable jusqu’à 2019. Si, et seulement si, le MoCA devait déposer le bilan, ou accumulait deux années de déficit, une commission tripartite indépendante pourrait alors envisager une fusion avec une institution tierce, et sa décision ferait autorité. Si toutefois Broad y était opposé, l’argent versé au fonds de dotation devrait lui être remboursé. Soupçonné de vouloir in fine mettre la main sur la collection du MoCA, ce qu’il a toujours nié, l’administrateur-fondateur peut se réjouir d’un MoCA indépendant. Son Broad Museum of Art doit ouvrir ses portes en 2014, et les échanges entre voisins n’en seraient que facilités. Dans cette clause de non-fusion sont cependant exceptés toute structure éducative et tout musée situé au-delà d’un rayon de 150 km. Contactée par Eli Broad, la National Gallery of Art de Washington se dit prête à passer un accord sur le prêt d’œuvres et de production d’expositions. Or aucun accord financier n’est prévu. Déjà sollicitée en vain en 2008, l’University South California réfléchit officiellement depuis décembre à un partenariat. En prenant le musée sous sa coupe, l’université donnerait un relief inespéré à son école d’art, la Roski School of Arts, et dynamiserait la plus ambitieuse campagne de levée de fonds jamais lancée – l’objectif est de réunir 6 milliards de dollars d’ici à 2018. Dans les deux cas, le MoCA ne serait pas celui à sortir grandi d’une telle union.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°388 du 29 mars 2013, avec le titre suivant : Los Angeles : le MoCA face à son destin

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