Après une importante restauration, les fresques romaines s’offrent à nouveau au regard des visiteurs au Musée royal de Mariemont, en Belgique, dans un nouveau pavillon aux lignes épurées.
Les visages aux yeux grands ouverts des fresques de Boscoreale n’en reviennent toujours pas. Ensevelis comme à Pompéi lors de l’éruption du Vésuve en 79 après J.-C., ils toisent désormais les visiteurs venus les admirer au Musée royal de Mariemont, dans un nouveau pavillon spécialement conçu pour ces fresques, « trésor classé de la Fédération Wallonie-Bruxelles » depuis 2020. Une longue restauration conduite par le Centre d’étude des peintures murales romaines de Soissons a permis de consolider ces chefs-d’œuvre de la peinture romaine antique, exhumés à la toute fin du XIXe siècle, revenir avec délicatesse sur les restaurations abusives du passé et mettre en valeur leur beauté d’antan. Les huit panneaux exposés proviennent de Boscoreale, au nord de Pompéi, où des colons romains érigèrent au Ier siècle avant J.-C., des villae rusticae, résidences d’agrément implantées sur des exploitations agricoles. Après des siècles sous les cendres, les fresques ornant l’une d’elles doivent leur retour à la lumière à un dénommé Vincenzo De Prisco, député local, archéologue à ses heures, qui, à la toute fin du XIXe siècle, obtient une autorisation de fouilles sur son terrain. Dès 1895, il exhume un ensemble de pièces de vaisselle, d’objets de toilette et de bijoux, essentiellement en argent, chef-d’œuvre de l’orfèvrerie romaine, « trésor de Boscoreale », aujourd’hui conservé au Musée du Louvre. Et voilà qu’en 1899, l’homme met au jour les vestiges d’une luxueuse villa, ornée au milieu du Ier siècle avant J.-C. de fresques aux décors foisonnants, qui firent la joie des propriétaires successifs du lieu pendant un siècle. « Malgré des contestations d’archéologues, il fait enchâsser les fragments des fresques dans des cadres de bois, qu’il envoie à Paris, concédant une série de panneaux au Musée de Naples, en “compensation” de l’exportation, qui se fait ainsi dans la légalité », explique Nicolas Amoroso, conservateur des antiquités grecques et romaines du Musée royal de Mariemont. Parmi les 46 panneaux qu’il présente ainsi dans les Galeries Durand-Ruel, le plus bel ensemble est acheté par le Metropolitan Museum. Le « seigneur de Mariemont », Raoul Warocqué, mécène belge qui constitue alors une collection dont il entend faire un musée, en acquiert pour sa part huit, ainsi qu’une mosaïque, qu’il présente dans un pavillon de sa propriété. Cette dernière deviendra le Musée royal de Mariemont en 1920, après sa mort, et les fresques de Boscoreale en seront l’un des chefs-d’œuvre.
Voici un décor à la pointe de la mode ! Caractéristiques des décors en trompe-l’œil du deuxième style pompéien, des carrés peints dans un enduit encore frais qui n’a pas eu le temps de sécher, a fresco, figurent des corniches au-dessus d’une architrave donnant l’illusion d’un relief. « On crée un monde fictif, inspiré des modèles d’Athènes ou de Bergame, profondément marqué par la culture grecque », observe Nicolas Amoroso. Ainsi, les monstres marins de la mythologie grecque figurés sous la corniche renvoient au monde des océans, limite du monde habité pour les Grecs. La couleur rouge, obtenue à partir d’un pigment extrêmement onéreux, le cinabre, témoigne de l’opulence du propriétaire de la villa. « Dans certaines maisons, on trouve simplement un carré rouge, à l’entrée, à travers lequel les maîtres de maison entendent montrer qu’ils ont eu les moyens de payer un tel pigment sur certaines zones ! », raconte le conservateur des antiquités grecques et romaines du Musée royal de Mariemont.
« Je suis belle, ô mortels !, comme un rêve de pierre », semble murmurer cette femme couleur d’or, le bras gauche levé vers la chevelure. Ce détail témoigne de la magnificence de la frise architecturale qui ornait la salle de banquet de la villa découverte en 1899 par Vincenzo De Prisco à Boscoreale. Il montre une statue de la déesse Vénus au moment de sa naissance, reconnaissable à son geste pour se sécher les cheveux au sortir de l’écume. Au-dessus d’une porte fictive avec fronton, la peinture de cette statue d’or témoigne du deuxième style pompéien, selon une classification établie au XIXe siècle, qui répartit les peintures pompéiennes en quatre « styles », en fonction de catégories formelles et chronologiques. « Le premier style figure des colonnades inspirées de l’architecture orientale ou des bossages par des reliefs en stuc peint ; le deuxième style, au milieu du Ier siècle avant J.-C., représente ces éléments architecturaux sur des surfaces planes », explique Nicolas Amoroso. Ainsi, l’espace, très scénographié, est structuré avec des colonnades en trompe-l’œil, des portes d’entrée ouvrant sur des sanctuaires ou des décors architecturaux.
Qu’est-ce que cette danse de masques de tragédie grecque et de comédie ? « Il est possible que les fresques des villae aient été réalisées par des ateliers qui concevaient également les décors de théâtre, peints en trompe-l’œil sur du bois », répond Nicolas Amoroso. Ils auraient ainsi figuré dans leurs représentations architecturales des masques pour agrémenter les résidences des colons romains, venus vivre une vie de luxe et de plaisirs dans la campagne pompéienne, sur les pentes d’un volcan qu’ils tiennent pour une montagne fertile. Ces derniers entendaient y vivre une vie heureuse et douce, riche en divertissements, semblable à celle des rois des grandes villes hellénistiques, loin des tourments et de la rigueur morale de Rome. Cette luxueuse villa avait cependant été abandonnée avant l’éruption du Vésuve en l’an 79. « On n’y a retrouvé que très peu de pièces de mobilier. Suite à certains signes avant-coureurs de l’éruption du Vésuve, comme des tremblements de terre dans les années 60 de notre ère, certaines propriétés, comme celle-ci, ont été abandonnées par leurs habitants », justifie Nicolas Amoroso.
Que nous raconte cette tête de satyre aux oreilles pointues, flottant sous cette guirlande luxuriante ? « Elle évoque le mythe de Penthée, ce roi de Thèbes qui s’oppose au culte dionysiaque dans son royaume et qui, épiant une bacchanale cachée dans un arbre, se retrouve décapité par les Ménades », observe Nicolas Amoroso. Au-dessus de lui, se déploie une guirlande bacchanale, luxuriante, composée de feuillages et de fruits de toutes les saisons. Elle évoque les richesses de la nature aussi bien que le culte de Dionysos, dieu de cette vigne qui pousse sur les pentes du Vésuve, du vin, de la musique et du théâtre, qui aurait en effet pour origine une célébration du culte de Dionysos. « La décoration de la villa obéit à un programme global », relève Nicolas Amoroso. Cette fresque décorait l’exèdre, salle de conversation donnant sur le jardin où l’on se réunissait pour parler de sujets élevés, comme la philosophie ou la poésie.
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Les fresques de Boscoreale
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°761 du 1 janvier 2023, avec le titre suivant : Les fresques de Boscoreale