Collection

Le prince du Liechtenstein ouvre un musée à Vienne

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 19 mars 2004 - 934 mots

Le Liechtenstein Museum sera inauguré à la fin du mois de mars à Vienne. Plusieurs centaines de chefs-d’œuvre de la collection princière retrouvent le chemin du Gartenpalais.

VIENNE - Le public viennois pourra à nouveau découvrir à partir du 29 mars la collection d’art du prince du Liechtenstein. Le Gartenpalais, ancienne résidence de la maison princière dans le quartier de Rossau, va accueillir en effet quelque 250 tableaux et sculptures appartenant à la famille régnant sur la petite principauté. Un accord entre le prince Hans-Adam II et le gouvernement autrichien a mis fin à un différend datant de la Seconde Guerre mondiale, provoqué par le transfert clandestin de la collection de Vienne vers le château familial de Vaduz.
Méconnu sur le plan international, l’ensemble constitue pourtant la plus belle collection aristocratique au monde après celle de la reine Elizabeth II d’Angleterre. Constituée sur près de quatre siècles, celle-ci comprend 1 500 objets d’art allant du début de la Renaissance au romantisme autrichien, dont des chefs-d’œuvre signés Lucas Cranach, Franz Hals, Raphaël, Rembrandt, Guido Reni et Anthony van Dyck. Parmi les trente tableaux de Pierre Paul Rubens, l’imposant cycle de Mort et triomphe du consul romain Decius Mus (1618) a réintégré la grande galerie du Gartenpalais, son emplacement initial. À ce riche ensemble de peintures vient s’ajouter une magnifique collection de sculptures, pietra dura, porcelaine, émaux, ivoires, armurerie, tapisseries et mobilier.
Construit à l’initiative du prince Johann Adam Andreas I du Liechtenstein, le Gartenpalais était jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale la résidence principale de la famille princière. Une grande partie de la collection d’art était même accessible au public viennois depuis 1805, le reste étant disséminé dans une douzaine de palais princiers en Autriche, Moravie, Bohême et Silésie. Peu après l’Anschluß de 1938 qui vit l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne, la collection du Liechtenstein fut répertoriée par le gouvernement nazi et interdite de sortie de territoire. Vers la fin de la guerre, la famille régnante du Liechtenstein craignit que l’Armée Rouge, en pleine avancée, ne s’empare de la collection. En mars 1945, les forces soviétiques menaçant Vienne, le prince régent du Liechtenstein, François-Joseph II, transféra la plupart des œuvres de la collection vers l’Allemagne. Celles-ci furent secrètement conservées dans le palais du comte suédois Bernadotte sur l’île de Mainau, au cœur du lac de Constance. L’Autriche étant devenue partie intégrante de l’Allemagne nazie, la circulation des œuvres était libre à l’intérieur des frontières des deux anciens États.
De plus en plus inquiet pour sa collection, François-Joseph II se décida finalement à passer clandestinement la majorité des tableaux de l’Allemagne vers la Suisse. Les nazis autorisèrent l’exportation de quelques toiles mineures. Cependant, les descriptions figurant sur les documents officiels étaient suffisamment vagues pour permettre l’exportation de l’ensemble de la collection. Une fois les tableaux arrivés en Suisse, ils furent acheminés vers le Liechtenstein, resté inoccupé pour avoir, comme la Confédération, conservé sa neutralité pendant le conflit.

Politique de revente
Après la guerre, le gouvernement autrichien ordonna le retour des tableaux, au motif que ceux-ci figuraient sur la fameuse « liste rouge » qui interdisait leur exportation. François-Joseph II en réfuta la validité, soulignant que, dans les années 1930, les œuvres étaient dispersées dans plusieurs pays et que, par définition, une « collection » se trouve à un seul endroit. Le prince conserva la plupart de ses tableaux dans des réserves à Vaduz, hormis quelques toiles exposées dans son palais de Vienne. Le différend entre ces deux nations voisines a duré plus d’un demi-siècle. Mais lorsque, il y a vingt ans, François-Joseph II souhaita la construction d’un musée pour exposer cette collection à Vaduz, la capitale du Liechtenstein, l’électorat du pays s’y opposa, au motif que le projet aurait attiré trop de visiteurs pour la petite ville de 5 000 habitants. La famille princière se tourna alors vers Vienne, mais l’ancienne querelle sur l’exportation frauduleuse de 1945 refit surface. La signature d’un accord en avril 2001 entre le gouvernement autrichien et le chef de l’État du Liechtenstein, le prince Hans-Adam II, mit finalement un terme à ce conflit. Selon cette conciliation, les autorités autrichiennes acceptaient d’abandonner leurs objections à l’exportation des tableaux datant de 1945, à la condition que les chefs-d’œuvre de la collection soient exposés à Vienne.
Fief de ce nouveau Liechtenstein Museum, le Gartenpalais a longtemps abrité le Musée d’art moderne de Vienne. La collection dédiée à l’art d’après guerre a depuis intégré un nouveau bâtiment, dans le cadre de la création récente du Quartier des Musées. En 2001, le palais a subi une restauration placée sous la supervision de Johann Kräftner, qui occupe aujourd’hui les fonctions de directeur du Liechtenstein Museum. Le coût de la restauration, à hauteur de 20 millions d’euros, a été entièrement pris en charge par le prince.
Si le prince Hans-Adam II est un client régulier du marché de l’art international, la collection Liechtenstein ne cède plus ses œuvres. Cette politique de revente avait culminé avec la décision de François-Joseph II de vendre son magnifique portrait de Ginevra de’ Benci par Léonard de Vinci à la National Gallery of Art de Washington en 1967. Par ailleurs, le prince a récemment fait l’acquisition, de manière anonyme, du Portrait d’un homme signé Franz Hals, chez Sotheby’s New York le 23 janvier 2003, pour 2 920 000 dollars (2 354 375 euros). D’autres acquisitions montrent l’étendue du pouvoir d’achat du prince et soulignent le succès financier de sa principale source de richesse, la banque Liechtenstein Global Trust (LGT), basée à Vaduz.

Liechtenstein Museum

Ouverture le 29 mars, Fürstengasse 1, Rossau, Vienne, Autriche, tél. 43 1 319 5767 252, tlj sauf mardi 9h-20h, www.liechtensteinmuseum.at

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°189 du 19 mars 2004, avec le titre suivant : Le prince du Liechtenstein ouvre un musée à Vienne

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