À quelques mois de l’inauguration de la nouvelle extension du Prado à Madrid,
le directeur, Miguel Zugaza, dévoile ses projets pour l’institution.
MADRID - Miguel Zugaza, directeur du Musée du Prado, vient de dévoiler son plan de modernisation pour le musée madrilène. Parmi ses projets figure une programmation régulière d’expositions d’art contemporain, ce malgré l’opposition des traditionalistes. Lancée en avril 2003 pour un coût total de 48 millions d’euros, la nouvelle extension du musée devrait être inaugurée au printemps 2007. Entre-temps, l’institution a accueilli sa première exposition consacrée à un artiste du XXe siècle, Pablo Picasso, une manifestation organisée cet été en collaboration avec le Musée national centre d’art Reina-Sofía, à Madrid.
Miguel Zugaza, ancien directeur adjoint du Reina-Sofía, assure qu’il entend conduire très progressivement ce programme de modernisation. Cette prudence découle de son expérience malheureuse en 2003 avec l’artiste espagnol contemporain Miquel Barceló, invité à exposer au Prado. Ce dernier avait utilisé comme matériaux des insectes, de la viande et des végétaux en décomposition. « Je me souviens encore du scandale qui en a résulté », confie le directeur. L’exposition fut annulée, les administrateurs du musée refusant de la soutenir, et l’initiative déclencha des polémiques sur la politique du Prado, suspecté de vouloir empiéter sur des domaines couverts par des institutions voisines, tel le Musée Thyssen-Bornemisza. « Cette méfiance s’est peu à peu adoucie avec le temps », affirme Miguel Zugaza.
Un Vélasquez différent
L’art contemporain aura-t-il donc sa place dans le musée ? « Le Prado doit être un lieu de dialogue constant entre le passé et le présent. Nous inviterons artistes, écrivains et philosophes à se confronter aux œuvres de nos collections. Le premier à le faire sera le photographe allemand Thomas Struth, avec un projet autour des Ménines de Vélasquez. […] Le Prado doit être radicalement moderne, il n’est pas contradictoire pour un musée historique de tenter d’être à l’avant-garde, mais le Prado doit garder en tête qu’il est un musée serein, plus calme qu’un musée d’art contemporain. D’autre part, cette institution est dans un processus de réinvention constante d’elle-même, mais ces changements ont leur limite : elle ne doit jamais perdre sa dignité. »
« Picasso, la tradition et l’avant-garde », qui s’est achevée le 3 septembre, a amorcé un virage radical pour le musée, selon la co-commissaire de l’exposition Carmen Giménez. « Nous repoussons les limites chronologiques du musée au moins jusqu’au XXe siècle, comme cela s’est déjà fait au Louvre et au Metropolitan Museum of Art à New York. » L’art vénitien, flamand et espagnol des XVIe et XVIIe siècles constitue toujours le cœur de ses collections, et la fin du XIXe siècle, la limite imposée pour les nouvelles acquisitions. Dans le cadre de l’exposition « Picasso », l’institution espagnole a présenté pour la première fois deux œuvres prêtées par le MoMA [Museum of Modern Art] de New York, dont Garçon avec cheval (1906).
L’extension du Prado, dont les premiers plans remontent à 1995, a été maintes fois retardée du fait des changements fréquents de direction. L’architecte espagnol José Rafael Moneo a été choisi en 1999 pour superviser la transformation d’un monastère médiéval voisin en une nouvelle aile du musée, ajoutant 20 000 mètres carrés aux 33 000 déjà occupés. Si cette extension comportera deux espaces réservés aux expositions temporaires, ces dernières ne sont pas une priorité pour Miguel Zugaza. « Ce serait une erreur de nous focaliser sur l’organisation d’événements au détriment de nos collections permanentes seulement parce que nous disposons de nouvelles salles. Il y a beaucoup de musées au bord de l’épuisement parce qu’ils ont investi toute leur énergie dans la réalisation d’expositions temporaires. Nous n’organiserons que celles que nous croyons nécessaires. Ces expositions ne devraient être ni traditionnellement thématiques, ni consacrées au travail d’un artiste unique. Elles chercheront à offrir de nouveaux angles de vue, par exemple, une façon de regarder Vélasquez sous un jour différent. »
L’extension va aussi permettre au Prado de montrer 3 500 œuvres conservées jusqu’à présent dans les réserves. « Nous allons être en mesure de montrer des chapitres entiers de l’art moderne, tout notre fonds d’art du XIXe siècle et des aspects méconnus de la peinture flamande, des natures mortes surtout, mais aussi de la peinture baroque », précise-t-il tout en espérant que l’extension attire davantage de mécénat privé.
Pourtant, le directeur émet des réserves quant à la capacité de ce musée agrandi à attirer une foule de visiteurs. « Presque tous les grands musées américains ont bénéficié d’extensions construites récemment. Je suis cependant persuadé que, dans un avenir proche, les gens cesseront de visiter les musées aussi fréquemment qu’aujourd’hui. » Il critique aussi la tendance aux installations monumentales : « J’ai visité cette année l’exposition de Rachel Whiteread [Embankment], une colossale installation présentée dans le Turbine Hall de la Tate Modern de Londres. Elle m’a fait réfléchir aux musées comme lieux de spectacle et à leur besoin de créer des attentes. C’est un processus qui s’impose naturellement aux musées d’art contemporain, non aux musées historiques. Une ambiance très commerciale a été introduite dans les musées où le succès des expositions dépend du nombre de visiteurs. Cela ne fera jamais partie de mes objectifs. »
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Le Musée du Prado cherche sa voie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°242 du 8 septembre 2006, avec le titre suivant : Le Musée du Prado cherche sa voie