Architecture

Le Kunstmuseum de Bâle se dédouble

Kunstmuseum de Bâle

Par Sophie Trelcat · Le Journal des Arts

Le 24 mai 2016 - 730 mots

Après seize mois de travaux, le musée des beaux-arts rouvre augmenté d’un nouveau bâtiment, monolithique et évanescent, dessiné par les architectes bâlois Christ & Gantenbein.

BALE - La Suisse, un pays spontanément associé au sens de la précision, est peu étendu, mais il connaît une concentration d’art et d’architecture d’un très haut niveau. À Bâle les deux disciplines sont étroitement liées : la cité helvétique connaît la plus forte concentration de musées au monde avec des institutions remarquables telles que le Musée de l’ethnographie par Herzog & de Meuron ou encore celui dessiné par Mario Botta et consacré à l’artiste Tinguely.

À quelques encablures de la gare centrale, non loin du Rhin, dans le quartier de Altstadt Grossbasel, se dresse la nouvelle extension du Kunstmuseum. De loin, et depuis la cathédrale, entre de lourdes bâtisses, la construction se perçoit de manière étonnante : il s’agit sans conteste d’une masse dans le paysage, mais celle-ci est évanescente.En s’approchant, ce coffre-fort pour l’art dévoile son secret. Les dix faces du monolithe anguleux sont recouvertes de briques du Danemark grises, dont la pose, selon des bandes horizontales, forme des débords plus ou moins importants. L’ombre portée de ces éléments les uns sur les autres entraîne un subtil dégradé de gris sur les façades. Semblant relativement clos depuis l’extérieur, il est percé par quelques gigantesques fenêtres équipées de volets en acier galvanisé.

Une transition souterraine
Ce volume totalement autonome se situe juste en face du bâtiment datant de 1936. Outre la mise aux normes du musée originel, le programme du concours demandait de bâtir 2 500 m2 d’espaces d’expositions supplémentaires auxquels s’ajoutait une contrainte de taille : le musée devait être unitaire, bien que réparti dans deux constructions séparées par une rue.

Le choix d’Emmanuel Christ et de Christoph Gantenbein a été de franchir la chaussée par la construction d’une grande salle en sous-sol. Pour cela, il aura fallu déplacer les canalisations à quinze mètres de profondeurs. Depuis le Kunstmuseum, on ne décèle pas immédiatement que l’on pénètre dans une partie nouvelle et le passage de l’ancien vers l’extension se fait tout à fait naturellement par deux escaliers à l’allure officielle. Dans cette dernière, le plan est tout à fait simple. Il est fait d’une enfilade de salles classiques, bien éclairées, se succédant selon deux parcours en boucle.

Sobriété d’une déclinaison de gris
Contrairement à beaucoup d’espaces muséaux visant la flexibilité et le gigantisme, parfois peu propices à la qualité d’exposition, à Bâle la superficie des salles reste modeste. Elles permettent néanmoins de nouvelles configurations. Mis à part le chêne clair du plancher, les matériaux intérieurs immergent le visiteur dans les gris et ils sont une déclinaison de ceux utilisés dans le Kunstmuseum : escaliers de marbre, menuiseries en métal, enduit sur les murs façon peau d’éléphant, parois en plaques d’acier galvanisé. Au final, le tout d’une très forte présence physique, noyé dans une overdose de détails, prend un aspect monumental, voire presque funéraire mais dans une version réconfortante. Le duo, loin de s’en défendre maintient une position claire : « Aujourd’hui la durabilité est une valeur essentielle pour les architectes. Ici, il est important de se sentir dans un espace réel, authentique, concret et non dans une foire. L’extension parle la même langue que l’ancien. C’est notre réponse par rapport à la dématérialisation de notre époque ».

Cette prise de position mérite d’être soulignée : à l’ère du cloud, la légèreté et la recherche de fusion des limites entre intérieur et extérieur s’avère trop souvent un credo sans fondements. La question de la matérialité est clairement posée dans l’ensemble de la production de Christ et Gantenbein qui affectionnent les matériaux gris. Toutefois, cette radicalité n’est en rien systématique et la couleur sait aussi être présente.

Au final, l’extension se trouve être le frère contemporain du musée d’origine, tout en évitant le mimétisme, pour au contraire réussir un fondu enchaîné de l’ensemble. Kenneth Frampton, l’un des plus grands critiques de l’architecture du XXe siècle, déclarait en 2008 : « La Suisse compte actuellement au moins une soixantaine d’architectes de très grande qualité et de niveau mondial. » Point n’est besoin de demander la liste, nul doute qu’y figurent Emmanuel Christ et Christoph Gantenbein.

Fiche technique

Superficie : extension 2 555 m2 d’exposition

Bâtiment d’origine : 4 630 m2

Concours : 2010

Coût : 90 358 000 € (50 % public et 50 % Fondation Laurenz)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°458 du 27 mai 2016, avec le titre suivant : Le Kunstmuseum de Bâle se dédouble

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