Dans le cadre de la restauration de la place de la Concorde, les seize colonnes rostrales vont être redorées par les artisans des Ateliers Gohard, la maison la plus importante de France, connue outre-Atlantique pour avoir redoré la flamme de la statue de la Liberté en 1986. Ce sera le dernier chantier du fondateur de cette maison, Robert Gohard, qui passe la main à son fils après cinquante et un ans d’artisanat.
PARIS - "J’ai fait ce métier par hasard." Ni affectation ni fausse modestie dans l’aveu de Robert Gohard. Pourtant, après cinquante et un ans de travail, la liste des monuments "soignés" par le maître doreur est impressionnante. Elle va des statues du Trocadéro à celle de Jeanne d’Arc, du bulbe slave de l’Église russe au dôme des Invalides, de la flamme de l’Alma aux quatre Pégases du pont Alexandre III, sans oublier les chambres royales de Versailles, la flamme de la statue de la liberté à New York ou les résidences du Roi Fahd.
La soixantaine fringante, Robert Gohard a les yeux qui pétillent derrière ses lunettes cerclées d’or quand il évoque "le hasard" qui a décidé de son métier. D’une famille modeste de six enfants, Robert Gohard ne veut pas suivre les traces de son père, cheminot. A quatorze ans, il est placé chez un menuisier. Mais l’expérience tourne court. La maison ne fournit pas les outils et cette dépense est impensable pour la famille Gohard.
Patience, goût, doigté
Robert se retrouve alors apprenti dans une des plus grandes maisons de dorure, la Maison Tellier, rue de la Pompe à Paris. "Une fois entré, il a fallu s’accrocher car les vieux compagnons se cachaient pour ne pas dévoiler leurs secrets." Pendant dix-huit ans, il apprend son métier. "On nous prend pour des artistes. C’est une erreur : il faut bien vingt ans avant de pouvoir dominer ce métier." En réaction, Robert Gohard aura à cœur dans son atelier de former systématiquement des apprentis chaque année et de transmettre son savoir.
Patience, goût, doigté, ce sont les trois qualités primordiales du doreur selon lui. Si la dorure seule comprend vingt opérations, il y a aussi l’apprêt, la reparure et la finition. Un bon artisan se distingue, selon lui, par la patine. "Comme un coloriste, il faut chercher les tons de couleurs qui redonneront à l’objet la richesse de son âge." En 1961, il décide de se mettre à son compte ; son pavillon lui sert d’atelier. Petit à petit, les commandes arrivent. Il peut s’installer au printemps 1968 dans son bel atelier de la rue des Entrepreneurs. Le bouche à oreille et le coup de pouce de l’architecte en chef de Fontainebleau le lancent définitivement dans la restauration monumentale. "Il m’ a imposé pour refaire la salle du Conseil." Dès lors, les grands chantiers se bousculent : l’Hôtel Amelot à Paris, l’Hôtel Beauharnais, la chambre de l’Empereur et de l’Impératrice à Compiègne... L’atelier Robert Gohard, où travaillent en permanence une vingtaine d’artisans – ce qui en fait la maison la plus importante en France –, est maintenant une référence.
L’exportation
La restauration du dôme des Invalides, en 1989, devient son morceau de bravoure. L’appel d’offre aux entreprises avait divisé le dôme en six lots pour plus de rapidité dans l’exécution. Les Gohard ont proposé un devis global, et ont été choisis parmi vingt-six entreprises. En quatre mois, ils ont couvert le dôme grâce à sept artisans grimpés à cent mètres d’altitude. Quand François Mitterrand décide, in extremis, de redorer les quatre chevaux du Pont Alexandre III, les Gohard mobilisent dix-huit personnes pour redorer en huit jours les Pégases !
L’arrivée du fils, Fabrice, dans l’atelier donne une autre perspective à l’entreprise familiale. A dix-neuf ans, Fabrice, éducateur de quartier, était revenu à ses origines : "Je suis né dans la poussière des feuilles d’or." Il s’attache à faire passer l’atelier artisanal à l’ère de l’entreprise. "Quelle révolution quand j’ai installé le téléphone ! Il a fallu aussi que j’explique la nécessité d’un fax !" Aujourd’hui, après vingt ans de maison, cet "artisan d’entreprise", comme il se définit, a développé les chantiers à l’étranger : "Je passe en moyenne une semaine par mois aux États-Unis et, ces dernières années, 30 à 50 % de notre chiffre d’affaires s’est fait à l’exportation." Mais le fils de l’ancien patron a passé comme tout le monde son CAP, car, chez les Gohard, l’apprentissage est la seule valeur reconnue.
• Avec 1 kg d’or, on fait 86 956 feuilles d’or de 0,2 micron ou un fil de 3 000 km.
• Les feuilles sont disposées en carnets de vingt cinq feuilles, d’une épaisseur d’1/10 000e de millimètres.
• L’or utilisé par les Gohard a un titrage de 980 pour 1 000, soit 23,5 carats.
• Pour dorer un siège, il faut en moyenne 125 feuilles soit 1,5 g d’or. Pour le dôme des Invalides, 550 000 feuilles d’or double ont été utilisées, soit 12,650 kg.
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Le dernier chantier du doreur Robert Gohard
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Abonnez-vous dès 1 €• L’apprêt est la partie la plus délicate du métier car elle détermine la réussite de la dorure. On dégraisse les impuretés visibles (graisses, colle...). Puis vient l’encollage qui consiste à recouvrir le support de couches de blancs, composés à base de blanc de Meudon ou de blanc d’Espagne et de colle de peau de lapin. Une fois blanchi, poncé, adouci, l’objet paraît trempé dans de la crème fouettée.
L’adoucissage est un ponçage très doux à l’eau avec une herbe, la presle, ou une pierre, l’agate.
• La reparure consiste à resculpter les nervures, les cheveux ou les entrelacs des ornements empâtés dans les blancs avec des outils spéciaux (fers à réparer, à refendre, grain d’orge, langue de chat). Le repareur doit connaître sa grammaire des styles par cœur, pour rendre exactement l’état d’origine de l’objet. Il doit ensuite passer une couche d’ocre jaune là où la feuille d’or peut casser, puis un ocre rouge, "l’assiette", pour "asseoir" la feuille d’or.
• La dorure : tel un peintre devant son chevalet, le doreur tient sa palette, qui est un coussin de velours sur lequel il effeuille les tranches d’or. Avec un large pinceau il attrape les feuilles d’or impalpables autrement. La feuille épouse alors n’importe quelle pièce. Il ne reste plus qu’à effacer d’un coup de pinceau les petits plis.
• La finition : la patine se fait à l’aide de couleurs de gouache ou d’aquarelle qui reconstituent l’empreinte des siècles.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Le dernier chantier du doreur Robert Gohard