PARIS
Le Musée Cernuschi rouvre ses portes après neuf mois de travaux. La nouvelle et riche présentation permet d’étendre le propos scientifique à l’Asie orientale.
Paris. Les amateurs le savent : le Musée Cernuschi, musée des arts de l’Asie de la Ville de Paris, fait figure de référence aux côtés du Musée national des arts asiatiques-Guimet, ce dernier étant spécialisé dans les arts de la Chine. Moins connus, ses fonds consacrés aux autres aires culturelles de l’Asie orientale (Japon, Corée et Vietnam en particulier) sont remis à l’honneur dans le nouvel accrochage du musée, rouvert au public le 4 mars.
« Nous avons été très inspirés par la recherche actuelle sur les échanges culturels », explique Éric Lefebvre, directeur de l’institution depuis 2015. « On espère piquer la curiosité des visiteurs avec de vraies découvertes. » Si le chantier de la refonte scénographique n’a duré que neuf mois, le projet est en réalité l’aboutissement d’une quinzaine d’années de publications et d’expositions, et de cinq années de campagne de restauration intensive, qui se traduit par un renouvellement de plus de 60 % des œuvres présentées, en très grande majorité sorties des réserves. « Les échanges culturels intéressaient déjà Cernuschi et l’idée était déjà en gestation» lorsque l’amateur a constitué sa collection dans le dernier quart du XIXe siècle, rappelle le directeur, ajoutant : « On pouvait faire fond sur ce point. » Dans l’hôtel particulier qu’il fait édifier pour abriter sa collection, Henri Cernuschi (1821-1896), républicain et grand bourgeois, tour à tour banquier, proscrit de la Commune puis collectionneur, réunit entre 1871 et 1873 un ensemble extraordinaire d’objets asiatiques au cours d’un périple en Asie.
En haut de l’escalier d’honneur de l’actuel musée, ouvert en 1898, les collections japonaises de Cernuschi ont pris place dans les vitrines du palier monumental. « Les collections japonaises du musée comptent quelques œuvres iconiques, comme le grand Bouddha de Meguro », relève Manuela Moscatiello, responsable des collections japonaises au musée. Mais Cernuschi expose à son époque beaucoup d’objets japonais contemporains : brûle-parfum en bronze, vases pour l’ikebana (art japonais de la composition florale), ou des verseurs d’alcool que l’on prend alors pour des théières. Ces objets ont été remisés au début du XXe siècle, lorsque leur intérêt décroît auprès du public au profit d’œuvres plus anciennes, absentes de la collection Cernuschi. La Chine prend le dessus dans le goût. Aujourd’hui, ces objets ressortis des réserves permettent d’évoquer le goût d’un collectionneur et la cohérence de sa collection, une des rares à ne pas avoir été dispersée à la mort de son propriétaire grâce à son legs à la Ville de Paris.
Puis, au fil du parcours chronologique qui déroule l’histoire et les arts de la Chine depuis la préhistoire jusqu’au XXIe siècle, des vitrines « grand angle » ouvrent l’exposé chinois à la diversité culturelle des pays voisins. Il en va ainsi du Vietnam : « la collection n’était plus présentée », explique Anne Fort, conservatrice responsable des collections vietnamiennes et d’Asie centrale, alors même que le musée abrite une collection archéologique d’un grand intérêt scientifique. Dans les années 1930, le musée a été l’un des récipiendaires de fouilles menées par l’archéologue suédois Olov Janse dans l’Indochine d’alors, qui en rapporte un matériel inédit pour les époques anciennes de la région. Cette petite collection riche de près de 1 300 œuvres présente « un grand intérêt archéologique : sans le biais du marché de l’art, son authenticité est indiscutable », insiste Anne Fort. Victimes du désintérêt du public, les objets ont été eux aussi mis en réserve dans l’après-guerre. La guerre d’Indochine, traumatisme pour les scientifiques aussi, a sans nul doute pesé sur cette disparition selon la conservatrice. Dans ces vitrines « grand angle », le visiteur apprend ainsi l’interpénétration culturelle de la Chine et du Vietnam, entre sinisation des cultures et expressions singulières. « C’est un champ scientifique qui reste encore largement à explorer », confie Anne Fort.
Le parcours a également été enrichi par des acquisitions récentes, à l’instar des céramiques du peintre franco-chinois Zao Wou-ki (1920-2013), dont plusieurs vases sont issus des donations successives de Françoise Marquet-Zao.
La scénographie tranche volontairement avec le faste très second Empire des volumes et des motifs décoratifs du bâtiment. « Nous avons créé une identité très contemporaine pour que rien ne perturbe le visiteur », explique Maciej Fiszer, dont l’Atelier du même nom a été chargé du projet muséographique. Pari gagné : les vitrines, sobres et minérales, s’effacent efficacement au profit des objets exposés. « La pietra serena [la pierre utilisée pour les piédestaux et les encadrements de vitrine] donne l’unité du design », souligne le scénographe, qui a redonné au majestueux Bouddha de Meguro une position judicieuse, en hauteur et au centre de la salle dans laquelle il trône depuis plus d’un siècle [voir ill.]. Débarrassée d’un dosseret inesthétique, la divinité se découpe nettement et se découvre à 380° dans cette large salle aux accents rouge carmin retrouvés.
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L’Asie en grand à Cernuschi
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : L’Asie en grand à Cernuschi