Les Aragonais exigent la restitution des fresques de Sigena emportées pendant la guerre civile et aujourd’hui conservées à Barcelone.
ESPAGNE - Le litige concernant les fresques romanes entre la Catalogne et l’Aragon remonte à l’époque de la guerre civile, en 1936, lorsque le monastère Sainte-Marie de Sigena de la province de Huesca, en Aragon, fut incendié. Une équipe de spécialistes catalans, menée par l’historien Josep Gudiol, sauva sur place une magnifique fresque d’époque romane peinte par le maître de Sigena dans la salle capitulaire. Gudiol la rapporta d’urgence à la Casa Amatller de Barcelone afin qu’elle y soit restaurée.
À cette époque, le gouvernement catalan menait une véritable politique de protection patrimoniale et les musées de Barcelone commençaient à enrichir leurs collections. Une fois restaurées aux frais de la municipalité barcelonaise, les fresques entrèrent en 1940 dans le fonds du Musée national d’art de Catalogne (Mnac) puis furent exposées au public à partir de 1960.
Les sœurs de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, chargées du monastère de Sigena, avaient conservé d’autres objets liturgiques des XIIe et XIIIe siècles. Lors de leur déménagement en 1970 en Catalogne, elles laissèrent en dépôt ces objets au Mnac. Le musée devient l’un des plus importants en matière d’art roman, avec pour pièces maîtresses les fameuses fresques de Sigena.
Entre 1982 et 1992, le Mnac rachète progressivement ces œuvres en dépôt au monastère, aidé en cela par le gouvernement régional de la Generalitat. En dix ans, il acquit les 96 pièces pour la somme de 105 millions de pesetas (env. 630 000 €). L’achat des fresques reste quant à lui incertain, aucun contrat formel n’ayant été retrouvé ; les changements de politique territoriale auraient avantagé les Catalans, qui ont pu à l’époque déplacer les fresques sans titre de propriété. L’Aragon réclame depuis le retour de tous les objets de l’abbaye, considérant que la Catalogne ne lui a pas permis d’exercer son droit de préemption.
Une longue bataille judiciaire
C’est le début d’une longue bataille judiciaire entre les deux parties. Un premier procès s’ouvre en 1984 et ne prend fin qu’en 1998, lorsque le Tribunal constitutionnel rejette les plaintes de l’Aragon et donne raison à la Catalogne. Mais, nouveau rebondissement en 2015, la région aragonaise parvient à convaincre le tribunal de Huesca de la nullité des ventes et ouvre un nouveau procès. Le Mnac est alors condamné à restituer 53 objets achetés en 1992, ce que fait le musée en juillet 2016. Les pièces ont retrouvé leur place au monastère de Sigena.
Aujourd’hui, le tribunal de Huesca réclame aux Catalans les fresques de la salle capitulaire, détenues par le musée depuis 1940. Le Mnac devait restituer les peintures du maître de Sigena avant la fin novembre. Son directeur, Pepe Serra, et le conseiller de la culture, Santi Vila, s’opposent à cette décision. Pour les avoir « restaurées et prises en charge pendant plus de soixante ans », ils estiment que les fresques leur appartiennent et mettent en avant le fait que la législation patrimoniale de la Catalogne est indépendante de la loi espagnole. Pour la Catalogne, tout bien culturel présent sur son territoire appartient à ce dernier, quelle que soit son origine. Enfin, la Catalogne souligne le danger que représenterait le détachement des fresques, actuellement fixées sur les arcs d’une des salles du musée. De son côté, la Députation générale d’Aragon affirme que les fresques auraient été déplacées sans aucun titre juridique et se dit prête à rembourser les travaux de restauration aux Catalans. Cet exemple n’est pas isolé en Espagne. Depuis la guerre civile, de nombreux biens patrimoniaux ont été dispersés à travers le monde et plusieurs régions espagnoles exigent à présent leur restitution.
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L’Aragon contre la Catalogne
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Abonnez-vous dès 1 €Les peintures murales de Sigena dans leur état actuel, présentées dans la dernière salle consacrée à l'art roman, Musée National d'Art de Catalogne, Barcelone. © Photo : MNAC
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°469 du 9 décembre 2016, avec le titre suivant : L’Aragon contre la Catalogne