Avec sa nouvelle extension, le musée d’art moderne et contemporain britannique veut se propulser, plus que jamais, à la fois au rang d’acteur local et de vitrine pour le monde.
LONDRES - La capitale britannique se décrit souvent comme une « ville-monde », et son nouveau maire, Sadiq Khan, n’a pas manqué de le rappeler lors de la conférence de presse pour l’inauguration de l’extension de la Tate Modern, le 14 juin dernier. La Tate ambitionne, elle, d’être à la fois un « musée-monde » et un musée local. En a-t-elle les moyens ?
Un atout pour Londres
La Tate Modern est indiscutablement un musée-local au sens d’une locomotive pour son environnement proche. D’une certaine façon, elle a provoqué un effet Bilbao à l’échelle du quartier. Grâce au musée, le district, en bordure de la Tamise, ne ressemble plus du tout à ce qu’il était lors de la fermeture de l’usine électrique en 1981, ni même à l’ouverture du musée en 2000. Les immeubles ont poussé comme des champignons tout autour et le quartier est devenu un lieu de promenade. L’extension, signée Herzog & de Meuron – le même duo d’architectes suisses qui avait réhabilité l’usine –, s’intègre parfaitement à la fois au bâtiment existant et à son environnement. Le revêtement en briques qui recouvre la nouvelle tour de dix étages en forme de pyramide, forme une continuité avec celui de l’ancienne usine (avec cependant une trame différente sous forme de treille).
Il y a du monde qui déambule dans ce musée et beaucoup de Londoniens, c’est d’ailleurs une des raisons qui a poussé le directeur général des différentes Tate Nicholas Serota à lancer l’extension quatre ans seulement après l’ouverture. Après un record de visiteurs en 2014 à 5,8 millions d’entrées, la fréquentation a cependant chuté à moins de 5 millions en 2015 derrière le British Museum (6,7 millions) et la National Gallery (6 millions). Il faut dire que l’accès aux collections permanentes est gratuit et qu’il y a beaucoup à voir. De sorte que les visiteurs viennent tant pour la promenade en bord de Tamise que pour admirer les œuvres en accès libre. On peut déjà parier que le dixième étage, qui offre une vue panoramique sur la ville, va constituer une nouvelle attraction.
Nicholas Serota et Frances Morris, la directrice de la Tate Modern, veulent que les Londoniens s’approprient le site. Plusieurs étages du nouvel édifice sont consacrés à l’enseignement et au dialogue avec des groupes sociaux. Le musée est aussi truffé de restaurants et de boutiques. Il faut bien compenser la gratuité d’accès par des recettes annexes en complément de la billetterie des expositions temporaires.
Des ambitions internationales
La Tate est-elle aussi un musée-monde ? Tout dépend du point de vue adopté. Les brochures publicitaires de la Tate ressassent qu’il est le musée d’art moderne et contemporain le plus visité au monde. Ce qui est vrai, puisqu’il devance le Centre Pompidou (3 millions) et le MoMA de New York (3,2 millions). Et l’extension de 60 % des surfaces devrait lui permettre d’aller bien au-delà ; les architectes ont aménagé de larges espaces de circulation dans la Switch House (l’extension) bien dotée en larges escaliers et surtout en ascenseurs (pas de moins de huit). La circulation entre les deux édifices séparés par l’immense Turbine hall, qui est maintenant au centre du musée, est assurée à deux niveaux.
Au plan des collections, son ambition est plus contestable. Son fonds d’art moderne est moins riche que celui du Centre Pompidou et du MoMA et il lui sera difficile de combler l’écart en raison des prix atteints sur le marché par les œuvres majeures de cette période. C’est pour cela, que la Tate se détourne des accrochages chronologiques qui trahiraient des manques, au profit d’accrochages thématiques, notamment dans le premier bâtiment (la Boiler House) censé présenter les œuvres de 1900 à 2016, tandis que l’extension (la Switch House) n’expose que des œuvres depuis 1960. Toutes périodes confondues, la Tate revendique 70 000 œuvres contre 100 000 pour notre Musée national d’art moderne.
En revanche le musée entend être un miroir de la création contemporaine internationale et renouveler la lecture habituelle de l’art. Il met ainsi en avant l’étendue des pays représentés (plus de cinquante), une place plus importante accordée aux femmes artistes et la diversité des formes d’art dont les performances qui disposent d’un lieu dédié : les Tanks (anciens réservoirs) dans le sous-sol de l’extension. Mais dans cet exercice de représentation de la création mondiale, il est en compétition avec le MoMA de New York, qui dispose de moyens à la mesure de la capitale économique des États-Unis, qui est aussi la capitale économique du monde. Et les moyens sont le tendon d’Achille de la Tate. Pour preuve, sur les 260 millions d’euros de coûts de construction, les pouvoirs publics n’ont apporté que 58 millions, les mécènes 172 millions, et il manque toujours 30 millions pour payer les fournisseurs.
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La Tate Modern, musée local et « musée-monde »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : La Tate Modern, musée local et « musée-monde »