En proie à des difficultés financières récurrentes, la Corcoran Gallery of Art, envisage de se séparer de son bâtiment, soulevant une vive opposition dans la capitale américaine.
Washington - Le Corcoran n’est pas seulement le plus vieux musée privé de Washington : c’est également la principale école des beaux-arts de la région. Fondé en 1869 par William Wilson Corcoran, il abrite une importante collection d’art américain.
En juin dernier, le président et directeur du musée, Fred Bollerer, et le Président du conseil d’administration, Harry Hopper, ont annoncé dans un communiqué commun envisager la vente du bâtiment du musée et de l’école, situé en face de la Maison Blanche. L’ensemble, musée et école, pourrait s’installer dans la banlieue de Washington, à Alexandria dans l’État de Virginie, ou bien dans le Maryland. Ils justifient cette décision par un déficit budgétaire chronique : le budget du Corcoran a accusé un déficit de plus de 7 millions de dollars lors de l’année fiscale close en juin dernier. Au-delà de ce problème récurrent, une étude évalue à 130 millions de dollars les travaux nécessaires à la réhabilitation du bâtiment du musée, qui ne correspond pas aux standards muséaux actuels. En 2010, l’exposition « De Turner à Cézanne » avait dû fermer ses portes une dizaine de jours en avance, en raison de problèmes de climatisation.
La Corcoran Gallery of Art, plus grand musée privé de Washington, subit la concurrence d’institutions publiques situées à proximité. La National Gallery of Art, ainsi que les musées de la Smithsonian Institution, sont tous gratuits. Au-delà de la difficulté pour le Corcoran d’être un des seuls musées payants du secteur, il subit une forte concurrence de ces deux institutions prestigieuses dans la collecte des fonds privés.
Mais l’origine récente des difficultés financières remonte à 1989 et l’exposition avortée de Robert Mapplethorpe. À l’époque, face à de fortes pressions politiques, le musée avait renoncé avant même son ouverture à une exposition homo-érotique du photographe pour cause d’obscénité. Ce recul devant le pouvoir est devenu un cas d’école de censure et de débat sur l’utilisation des fonds publics dans les musées, le Corcoran ayant reçu des subventions de l’état l’année précédant l’exposition. Une immense polémique s’en était suivie, ainsi que de vifs mouvements de protestations. Le Corcoran ne s’en est jamais vraiment remis. Au début des années 2000, un projet d’extension de l’école des beaux-arts par l’architecte Frank Gehry semblait pouvoir relancer l’institution. Les fonds nécessaires n’avaient cependant pas pu être réunis et le projet avait été abandonné en 2005.
De Charybde en Scylla
La suite n’est qu’une longue série de fuite en avant : au lieu d’envisager une solution pérenne, le Corcoran a décidé de se séparer progressivement de ses actifs immobiliers afin de parer aux besoins les plus pressants. En 2010, l’institution a vendu un bâtiment destiné à l’extension de l’école des beaux-arts à un groupe dirigé par les collectionneurs américains Rubell. La concomitance de cette vente et de l’exposition de la collection Rubell au Corcoran avait fait débat. La même année, le musée a loué pour 99 ans une partie de son terrain, également destiné à l’extension de l’école. Au-delà d’une mauvaise gestion financière et d’une absence de vision pour l’avenir du musée, les critiques d’art de Washington, à l’instar de Philip Kennicott du Washington Post, évoquent également une trop grande complaisance vis-à-vis des collectionneurs dans l’élaboration des expositions. « Les directeurs du conseil d’administration […] sont plus motivés par l’opinion publique que par l’art, qui est notoirement oublieux de l’opinion publique comme il se doit. L’art crée des tendances, il ne les suit pas », déclare Mark Longhaker, critique d’art local.
La mobilisation contre le projet de vente du bâtiment a été immédiate. Pour l’occasion, l’association créée, Save the Corcoran (Sauver le Corcoran), qui avait organisé une manifestation devant le musée en août dernier, a réuni 3 200 signatures contre le projet de vente. L’association propose des solutions concrètes : « Nous voulons mettre en place une campagne de collecte de fonds majeure, afin de prendre en charge les besoins immédiats du bâtiment. Mais nous devons d’abord obtenir l’assurance que le bâtiment ne soit pas vendu », déclare Jayme McLellan, professeure associée de l’école du Corcoran, membre fondateur de Save the Corcoran. La ville de Washington pourrait abonder les fonds ainsi réunis, ajoute-t-elle. L’étape suivante serait de définir une politique viable avec le nouveau directeur, le directeur actuel partant à la retraite à la fin de l’année. Le Corcoran s’est montré insensible aux protestations et a engagé le 12 septembre dernier une agence immobilière afin d’évaluer le prix du bâtiment. Seul point positif de cette polémique, le conseil d’administration a réaffirmé être attaché à l’inaliénabilité des œuvres.
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La Corcoran Gallery of Art à vendre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°376 du 5 octobre 2012, avec le titre suivant : La Corcoran Gallery of Art à vendre